LE PS SUR DES CHARBONS ARDENTS
Les masques, enfin, tombent. Les manches sont retroussées. Le parti de la Rose est désormais obligé de sortir de sa torpeur pour tracer les voies de sa destinée et rassurer ses militants
Au Parti socialiste, visiblement les lignes bougent. Les langues se délient. L’eau de la marmite boue. Le couvercle ne devrait plus tarder à sauter. La réserve, voire le mutisme jusqu’ici imposé par le secrétaire général du parti, Ousmane Tanor Dieng, s’étiole ? Et comment ? Presque avec fracas devrait-on dire ? La rentrée solennelle de l’école du Parti socialiste aura servi de déclencheur à un mouvement d’humeur jusqu’ici couvé et contenu par les apparatchiks.
La sortie de Khalifa Sall (samedi 16 janvier) devant ses nombreux et survoltés militants de la coordination régionale de Dakar à Grand Yoff ajoute un degré de plus à la tension feutrée. Le maire de Dakar a rappelé à qui voulait l’entendre que c’est bien le comité central du PS qui a consacré la candidature du PS. Et surtout que Ousmane Tanor Dieng son frère siamois, se situerait dans le même sillage que lui. Ainsi soit-il !
Une pétillante mise au point à Serigne Mbaye Thiam, qui avait déclaré le 31 décembre dernier que cette rencontre prévue le 9 janvier ne figurait pas au calendrier officiel du PS, dont le même Tanor, est le seul tenancier. Comme pour lui dire : «Moi c’est Tanor, Tanor c’est moi.» Qu’en dirait OTD ?
A Abdoulaye Wilane, porte-parole du PS, la réplique de Khalifa Sall est encore plus cinglante. Le maire de Dakar, rafraîchit la mémoire de l’édile de Kaffrine : il est bien ancré au PS et reste fidèle au grand Manitou, l’incontournable Tanor de qui rien ne pourrait le séparer. Si ce n’est une passe d’armes à fleurets mouchetés, cela y ressemble fort. Même à doses homéopathiques pour l’instant !
Voilà qu’au PS, les masques, enfin, tombent. Les manches sont retroussées. Le parti de la Rose est désormais obligé de sortir de sa torpeur pour tracer les voies de sa destinée et rassurer ses militants dans la cire depuis leur mémorable défaite de 2000.
Installé dans un dilemme cornélien, entre le besoin d’exister, d’assumer sa liberté de penser et de parole et le devoir de loyauté, de solidarité au Président Sall, le Ps n’en finissait d’être assis entre deux chaises, dans un exercice d’équilibrisme particulièrement délicat. Au risque d’en perdre son âme et se réduire en parti godillot, le PS peut-il tenir longtemps cette posture du soldat, au garde à vous, pieds joints, le petit doigt sur le pli du pantalon ?...
En attendant que des ordres du Palais viennent lui indiquer la conduite à tenir dans ce flou artistique sur le calendrier républicain, entretenu à dessein par le pouvoir.
Et pourtant durant toute l’année 2015, Ousmane Tanor Dieng n’avait cessé de lâcher cette sentence proverbiale : «Le PS aura bien un candidat en 2017.» Quoi de plus normal pour un parti historique de sa trempe ? Et tout le monde en avait accepté l’augure en se demandant bien comment il pouvait en être autrement. Mais apparemment, l’assurance tous risques de glissement sémantique ou d’ambivalence rhétorique tanorienne n’était pas garantie.
La maxime style OTD est en réalité intensément polysémique. Le revers de la médaille de cette historicité socialiste si reluisante, pouvait être aussi, crânement hideux. Il appartiendra à Abdoulaye Wilane, spécialiste en SAV, nouvellement nommé porte-parole du parti d’élargir subtilement les bases de l’assiette du choix socialiste.
Explication de texte : le candidat du PS peut, dit-il, être choisi en dehors du PS. Suivez notre regard ! C’est suffisamment clair pour qu’on n’ait besoin de farfouiner pour saisir toutes les facettes de cette nuance axiale exprimée subrepticement en creux. Mais en relief, le message selon Saint Wilane est sans équivoque : Khalifa Sall est certes le candidat naturel du PS, mais, le seul candidat souhaitable et possible. Et pourquoi pas le Président Macky Sall ? La messe est presque dite. Qu’en serait-il après mars 2017 ? Mystère et boule de gomme !
Pour première fois en 2017, nous apprend Wilane le PS, le patron de la communication du PS, pourrait manquer le rendez-vous électoral auquel il est abonné depuis plus de soixante ans.
Il n’en fallait pas plus que pour le Président Sall saisissant la balle au bond, lançât l’idée d‘un Haut Conseil des Collectivités locales (un sénat bis), dont le locataire (semble-t-il) serait Ousmane Tanor Dieng. Un strapontin, certes, à côté de l’éternel rival, Niasse, indéracinable au Perchoir. Mais sûrement un petit lot de consolation, en attendant, l’après 2017, que le secrétaire général du PS, soit payé des services rendus. Il aura balisé la voie d’un second mandat au Président Sall en tenant en laisse, le tonitruant Khalifa Sall, qui ne voit que le Palais de l’Avenue Senghor. Cette offre incidente du Président (et insidieux appel du pied au PS,) est assurément suffisamment aguichante pour autoriser des surenchères chez les jeunesses sociales, qui réclament, pas moins que la moitié des postes ministériels. Autrement, le PS s’arrogerait le droit de trouver un candidat socialiste, dont l’habit irait parfaitement bien à Khalifa Sall.
Bel exercice de troc politique par médias interposés à défaut des agissements en sourdine, sous forme de deal dont Tanor a nié l’existence et rejeté l’éventualité par cette succulente et stoïque sortie : «Qui ose me regarder moi Tanor et me proposer un deal ?»
Et pourtant le silence pesant d’OTD sur la candidature de Khalifa Sall constitue un quasi désaveu de la démarche des jeunes socialistes. Mieux, l’ancrage des ministres socialistes dans le gouvernement de coalition est de plus en plus prégnant. Serigne Mbaye Thiam, ministre de l’Éducation, Aminata Mbengue, celui de l’Élevage, Abdoulaye Wilane porte-parole du PS, Cheikh Seck membre du comité directeur se lancent dans une panégyrie récurrente du Président Sall. Dans le même temps, Ousmane Tanor Dieng remet au goût du jour ses talents diplomatiques pour aider le Président Sall dans ses conquêtes diplomatiques (élection du Sénégal membre du non permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, lutte contre le terrorisme). Ce précieux coup de main le rapproche davantage de Macky Sall et lui permet de garder Khalifa sous l’éteignoir.
Alors que l’édile de Dakar venait de donner un coup d’arrêt à la prolifération des mouvements de soutien en faveur de sa candidature, cette douche froide a tétanisé ses partisans. La mise en œuvre au forceps de l’Acte 3 de la Décentralisation, renforce le pouvoir des nouvelles communes et déleste le maire de Dakar de ses puissants moyens budgétaires et de force de frappe électorale. Qui plus est, en bloquant son emprunt obligataire pourtant cautionné par la Banque Mondiale, il le prive de leviers importants pour réaliser ses projets et valoriser davantage son image.
Ces entraves manifestes à l’envolée du maire de Dakar ne suscitent qu’une légère indignation de la part de Tanor prompt à pratiquer l’art de l’esquive avec la même dextérité. Khalifa Sall n’a d’autre choix que de lâcher la bride à ses souteneurs qui reprennent du poil de la bête. Se sentant de plus en plus isolé dans la maison socialiste alors que l’extérieur bruisse de mille et un soutiens affectifs, Khalifa Sall ressort de son chapeau des projets d’infrastructures et d’embellissement de Dakar : un nouvel hôpital dans la banlieue, des parkings souterrains et autres aménagements à la Place de la Nation, des aires de jeu, l’internet très haut débit à plusieurs endroits stratégiques de la capitale. Et pour tout couronner, un budget modulable d’une soixantaine de milliards virtuels et d’une quarantaine réels. Un vrai calcul de probabilité selon que le gouvernement et la mairie s’entendent sur la faisabilité des projets du maire de Dakar.
Paradoxalement en effet, les deux institutions se bousculent aux portillons des certains projets, chacune en revendiquant la légitimité et la légalité. Dos au mur le Maire de Dakar refuse de céder devant tant de blocages qui laissent pantois, plus d’un. Il retrouve ses accents guerriers durant la rencontre de Grand Yoff du samedi 16 ? Ses partisans jubilent. Dans la tête des citoyens sénégalais, l’affrontement des deux Sall est devenu inévitable.
Talonné par le gouvernement et progressivement lâché par les siens, le maire de Dakar ravive ses troupes et se présente à la rentrée solennelle de l’Ecole du PS avec une escouade d’aficionados qui scandaient à tue-tête son nom et réclamaient son intronisation comme candidat. Le maire de Ndindy Cheikh Seck est furax et déclenche ses salves sur Khalifa qu’il accuse de manipuler des jeunes. Wilane lui emboîte le pas et crève l’abcès : «On ne peut imposer un homme au PS». La cuirasse socialiste se fissure. Tanor comme à ses habitudes se mure dans un pesant silence, au moment où l’armure est presque fendue.
Visiblement la tension monte chaque instant et à chaque déclaration à Colobane siège du PS. Le scénario d’une issue semblable à celle de l’AFP semble se dessiner pour le PS. Mais personne, ni Khalifa Sall ni le clan tanorien ne semble vouloir tirer le premier coup de chevrotine. Qui franchira le premier, la ligne Maginot ?
Une chose est certaine, le PS est sur des charbons ardents, et l’heure de la clarification a déjà sonné. Le Président Sall ne tiendra pas longtemps, la ligne de l’énigme sur la suite du calendrier républicain. Il suffit qu’il se détermine, pour embrouiller les cartes socialistes. Macky Sall arbitre de la brouille socialiste ? Il semble bien qu’on en soit là maintenant. La publication du décret instituant le cadre référendaire par les réseaux sociaux ce dimanche 19 janvier donne un nouveau coup de chaleur au thermomètre politique. Les socialistes parce qu’ils sont dans l’embarras du choix, ont certainement choisi l’embarras.