LE RAISONNEMENT D'AMINATA TOURE FRISE L'HÉRÉSIE
Moussa Taye, le conseiller en politique de Khalifa Sall revient sur les raisons qui ont conduit le maire de Dakar à ne pas déposer une caution pour éviter son emprisonnement
La sortie de l’ancien Premier ministre Aminata Touré sur l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar n’a pas laissé indifférent Moussa Taye. Dans cet entretien, le conseiller en politique de Khalifa Sall revient sur les raisons qui ont conduit le maire de Dakar à ne pas déposer une caution pour éviter son emprisonnement. Pour ensuite aborder la question des Législatives du 30 juillet prochain et la crise au Parti socialiste.
Comment appréciez-vous la sortie de l’ex-Premier ministre, Aminata Touré qui déclare que Khalifa Sall avait la possibilité de cautionner pour éviter la prison ?
Je pense que le raisonnement de Madame le Premier ministre Aminata Touré frise l’inconséquence pour ne pas dire l’hérésie. Parce que parler de caution ou de cautionnement dans l’affaire Khalifa Sall, pour moi, ce n’est pas sérieux. Mais cela se comprend. Parce que cette affaire de cautionnement a une histoire. Il faut peut-être l’expliquer aux populations.
Et quelle est cette histoire ?
Khalifa Sall n’a jamais voulu verser une caution.
Mais pourquoi ?
Parce que d’abord, il n’a pas les moyens. Ça, c’est premièrement. Deuxièmement, lui-même, il dit qu’il est innocent et ne voit pas la nécessité de verser une caution. Mais le fond du problème, c’est qu’au niveau de l’Alliance pour la République, on a essayé d’amener Khalifa Sall à déposer cette caution qu’ils paieraient eux-mêmes. Le but du jeu, c’était de montrer aux Sénégalais que Khalifa Sall est coupable de détournement de deniers publics parce qu’il a payé une caution. Aux yeux de l’opinion, il peut sembler difficile de comprendre que quelqu’un qui se dit innocent puisse verser une caution de 1,8 milliard de F CFA.
Donc deux choses étaient recherchées dans cette affaire : montrer aux Sénégalais que l’édile de Dakar détenait de l’argent par devers lui, et que deuxièmement, il se sentait coupable. C’est la raison pour laquelle Khalifa Sall a dit, non seulement il n’avait pas ces moyens, mais il n’entendait pas les trouver pour verser une caution, ni directement ni indirectement. Il faut comprendre le principe de la caution.
Avec le cautionnement, la liberté n’est pas automatique. On peut verser une caution et rester en prison. C’est le juge qui doit apprécier. Dans cette affaire, depuis le début, on était très clair. On s’est dit que puisque nous n’avons rien à nous reprocher, nous ne cherchons pas à verser une caution ou à ce que des Sénégalais le fassent. Khalifa restera le temps qu’il faut en prison.
Vous parlez d’innocence du maire de Dakar dans cette affaire. Mais dans les faits, est-ce qu’il n’a pas prêté le flanc ?
Ça, on l’a dit et redit. L’affaire de la caisse d’avance est une vieille pratique à la mairie de Dakar.
Est-ce que cette vieille pratique est légale ?
Il faut demander à celui qui a pris le décret en 2003, aux régies financières de l’Etat et au ministère des Finances qui acceptaient de faire sortir l’argent tous les mois et de le remettre au maire. Nous avons expliqué à maintes reprises que la caisse d’avance n’existe même pas.
Ce sont des dépenses diverses et la caisse d’avance n’est qu’une modalité d’exécution de ces dépenses qui sont laissées à l’appréciation du maire. Ça, on l’a dit et redit. Les autorités étatiques le savent parce qu’elles ont pratiqué et utilisé cette caisse d’avance. Donc, on ne peut pas reprocher au maire de détournement de deniers publics.
La chambre d'accusation de la Cour d'appel vient de débouter les avocats du maire de Dakar qui y avaient introduit une requête en annulation. On dirait que ça se corse pour Khalifa Sall.
La requête en annulation fait partie de notre stratégie de défense et repose sur le principe de la libre administration des collectivités locales constitutionnellement consacrée. En vertu de ce principe, l’IGE ne peut pas auditer les collectivités locales. Nous allons nous pourvoir en cassation en espérant que le droit sera dit en dernier ressort.
Avec le Pds et d’autres formations politiques, vous avez mis en place la coalition Manko Taxawu Senegaal pour aller ensemble aux Législatives. Pouvez-vous nous en dire plus sur les motivations qui vous ont conduit à aller avec l’opposition ?
Il faut clarifier les choses. Avec Khalifa Sall, nous avions décidé, lorsque nous avons constaté que le PS était prisonnier de l’alliance BBY, de nous organiser avec tous les camarades qui partagent notre vision pour présenter une liste parallèle.
Est-ce qu’il était prévu dans vos plans d’aller avec l’opposition ?
Bien avant que Khalifa Sall ne soit en prison, on avait dit clairement que nous ferions une liste avec les socialistes tout en restant ouverts à toutes les forces vives du pays, qu’elles soient politiques, sociales ou citoyennes. C’est cette dynamique qui a conduit à la mise en place de la coalition Initiatives 2017/Taxawu Senegaal, une plate-forme politique autour de Khalifa Sall avec ses soutiens, ses sympathisants et des partis alliés. Il y a, à ce jour, six à sept partis et des mouvements dans cette coalition.
Mais l’objectif de cette plate-forme politique était de nouer des alliances victorieuses avec d’autres forces politiques. C’est la raison pour laquelle nous avons entamé des démarches avec Manko wàttu Senegaal. Et la fusion a donné Manko Taxawu Senegaal qui est une convergence d’aspirations sociales et de principes politiques autour d’un programme avec 11 mesures phares dont le socle est le redressement du Sénégal à travers l’amélioration des conditions de vie des populations, le renforcement de la démocratie, la promotion de la bonne gouvernance notamment dans le secteur pétrolier et minier.
Est-ce que cette coalition a des chances de gagner devant le bloc BBY ?
Au moins, nous avons réussi à faire en sorte qu’il y ait aujourd’hui deux blocs : BBY et MTS. Sous ce rapport, je pense que c’est un premier signe de victoire, cette volonté de regroupement de l’opposition et cette dynamique unitaire pour aller ensemble à des élections. Maintenant, une élection se gagne sur le terrain et nous pensons que chacune des forces coalisées aujourd’hui, dans chaque localité, peut jouer un grand rôle. Si donc nous fédérons nos forces, nous pouvons facilement avoir une majorité au niveau des départements. MTS peut remporter plusieurs départements pour avoir une majorité parlementaire.
Quel avenir politique donnez-vous à cette coalition ?
MTS a un bel avenir. Une fois qu’on aura gagné ces élections le 30 juillet 2017 et qu’on aura une majorité parlementaire à l’Assemblée, nous aurons la latitude d’amorcer les réformes nécessaires au plan institutionnel, politique et social. Ces réformes permettront d’avoir une gouvernance apaisée. Donc l’avenir de MTS, au-delà du 30 juillet, c’est d’avoir un Parlement responsable, des députés utiles, et d’imposer au chef de l’Etat, non pas la cohabitation au sens conflictuel du terme, mais une co-gouvernance, c’est-à-dire une gouvernance partagée et apaisée.
Est-ce que cette cohabitation ne risque pas d’installer le pays dans une instabilité institutionnelle ?
Nous évitons nous, de parler de cohabitation conflictuelle. Nous parlons de co-gouvernance, de gestion concertée. C’est cela la démocratie participative et plurielle.
Que répondez-vous à ceux qui pensent que MTS est un conglomérat de frustrés ?
Ça, on l’a toujours reproché à l’opposition. Mais si nous pouvons, au sein de MTS, recueillir tous les Sénégalais mécontents du régime et proposer une alternative, c’est tant mieux. Je pense que dans un pays, c’est cela le rôle d’une opposition.
Est-ce qu’il est inscrit dans vos plans d’aller avec cette coalition à la présidentielle de 2019 ?
Il faut qu’on respecte les calendriers. Nous sommes dans le cadre d’élections législatives. Nous avons réussi par la grâce de Dieu et par la volonté de nos hommes politiques à avoir une coalition solide qui va aux Législatives dans l’espoir de les remporter. Une fois qu’elle les aura remportées, la gouvernance parlementaire sera améliorée et nous pourrons réaliser nos réformes. Maintenant, après cela, on pourra penser à 2019.
Quel est aujourd’hui l’avenir de Khalifa Sall et de tous ceux qui sont avec lui dans le PS ?
L’avenir de Khalifa Sall est radieux. Dans le PS, nous incarnons ce que j’appelle le dynamisme opérant face à l’immobilisme handicapant des autres. Nous sommes la partie la plus visible, la plus vivante. Nous sommes aujourd’hui la sève nourricière du parti. C’est la raison pour laquelle nous pensons que le parti dans son entièreté va nous revenir au soir du 30 juillet, parce que nous incarnons la ligne du progrès, de la démocratie et des dignes héritiers de Senghor.
Ne risquez-vous pas d’être exclus du PS avant d’aller aux élections ?
Personne ne peut nous exclure du PS. Nous sommes des socialistes et nous entendons rester dans le parti.
Le mot d’ordre qui a été donné au sein du PS est de ne tolérer aucune liste parallèle. Est-ce qu’en présentant une liste parallèle, vous ne vous auto-excluez du PS ?
Ce qui est grave dans cette question, c’est que vous venez de confirmer que le PS ne décide plus pour lui-même. C’est Benno et Macky Sall qui décident pour le PS.
Je n’ai pas dit cela, je vous ai posé une question.
Oui ! Mais les faits sont là. J’ai entendu le responsable du PS dire qu’à son âge, il ne part plus à l’aventure et il sait où mettre les pieds. Je veux simplement dire que nous, notre aventure est prometteuse d’espoir. C’est une quête de liberté et de mieux être. Notre aventure s’inscrit dans le sillage des grands hommes de l’humanité qui se sont toujours battus pour leurs concitoyens.
Pourquoi vous ne voulez pas prendre l’initiative de démissionner si vous ne vous retrouvez plus dans la ligne du PS ?
La démission est la chose la plus facile. Regardez tous les gens qui ont quitté le PS, ils dirigent aujourd’hui leurs propres formations politiques. C’est le chemin le plus facile. Dans un parti politique, si on n’est pas d’accord sur la ligne de conduite, on doit la dénoncer et se battre en interne. On doit convaincre nos camarades pour qu’ils rallient notre cause. Nous avons réussi à le faire aujourd’hui. Au début, on disait que Khalifa Sall n’avait personne derrière lui.
J’étais avant-hier à Kaolack pour installer le comité électoral de MTS, c’est Djockel Gadiaga, responsable communal du PS, qui a été porté à la tête de ce comité. Sambou Oumani Touré, ancien président du Conseil régional de Kaolack, responsable politique dans le Nioro, est aujourd’hui avec nous.
C’est lui qui portera le comité électoral au niveau de Nioro. Vous allez à Kaffrine, vous verrez l’honorable député, Madame Nafi Ndiogou, responsable des femmes socialistes de la région qui est avec nous. A Thiès, le Dr Jean Baptiste Dionne, responsable départemental du PS est avec nous. Vous allez à Dagana, vous verrez Saliou Sarr, responsable départemental qui est également avec nous. Ce sont là des responsables du PS qui nous ont rejoints dans notre combat.
Mais le PS, c’est 138 coordinations.
Je vous ai simplement cité ces gens. Mais il y en a d’autres. Partout dans le pays, du Nord au Sud, d’Est en Ouest, il y a des responsables de grande envergure qui sont avec nous. Il y a également d’autres qui frappent à la porte. Il y a même des dormants qui, chaque jour appellent pour dire : ‘’Nous sommes avec vous mais pour des considérations stratégiques, nous ne pouvons pas bouger pour le moment.’’
C’est pour vous dire que dans le parti, c’est un combat d’idées que nous sommes en train de mener. Parce que le problème qui nous oppose avec nos camarades, c’est un problème d’ambition. Nous, nous pensons que le PS doit revenir au pouvoir très rapidement. Eux, ils pensent que le PS doit continuer à rester derrière Macky Sall et l’APR en vue de bénéficier de prébendes et de positions matérielles.
Nous avons dit non parce que nous avons des ambitions beaucoup plus grandes que cela. Mais nous pensons que, une fois qu’on aura réglé ces divergences avec notre victoire le 30 juillet, les camarades sauront raison garder et viendront continuer le combat avec nous.