LE REGARD CRITIQUE DE MOUSSA DIAW SUR L'APPEL À L'UNITÉ DE LA GAUCHE
De quel PS s'agit-il ? Quid de l'AFP ? Pourquoi avoir attendu si longtemps pour appeler à l'unité ? Nous sommes dans une sorte de pagaille organisée - VERBATIM
« A mon avis, il faudra d’abord identifier les personnes qui sont derrière cet appel : qui sont-elles et quelles sont leurs motivations ? Parce que si, elles étaient motivées, comme elles le disent, par les valeurs de gauche, de lutte contre l’injustice et surtout, constituer un groupe pour défendre la démocratie, l’État de droit, la stabilité du Sénégal ou de l’Afrique de façon générale, pourquoi ont-ils attendu maintenant au moment où il y a une forte tension dans le paysage sénégalais pour dire voilà, nous, on va essayer de se regrouper. Ensuite, il faut essayer de voir que représentent-elles au sein de leur parti ou mouvement politique et qu’est-ce qui les motive ? Et pourquoi ont-elles attendu jusqu’à maintenant pour faire leur appel au moment où le bateau commence à prendre de l’eau. Donc, il faut vraiment vérifier qui sont les signataires de cet appel qui, à mon avis, risque de ne pas avoir beaucoup d’échos surtout dans le contexte très tendu actuel où les gens cherchent à renforcer les positions plutôt que de s’aventurer dans la construction de nouvelles entités avec des discussions interminables. Car, pour ce qui est du Parti socialiste, son Secrétaire général, Mme Aminata Mbengue Ndiaye, a déjà pris position. Elle a annoncé dans un communiqué qu’à la suite de leur séminaire, une large majorité des responsables du parti qui ne sont pas favorables à une candidature du PS en 2024 s’est dégagée.
Et cela, en raison des procédures longues et compliquées mais aussi de l’insuffisance du temps pour trouver un candidat. Ainsi, elle a confirmé l’ancrage du PS dans la coalition Benno. C’est donc un peu paradoxal que le Bureau politique du PS annonce cette position dans son communiqué du mardi 14 février et qu’un jour après, on voit le même PS signataire d’un appel à l’unité de la gauche. Je me demande donc de quel PS il s’agit, même si j’avoue que le communiqué du Secrétaire général va certainement pousser beaucoup de responsables du PS à quitter encore le navire.
Pour ce qui est de l’Alliance des forces de progrès (AFP), Moustapha Niasse a clairement indiqué lui-aussi que l’AFP n’a investi aucun candidat. Donc, les choses sont claires, il continue son compagnonnage avec le président Macky Sall. Ce que j’ai dit pour le PS et l’AFP est également valable pour les formations signataires de cet appel à savoir : Ld, Aj, Pit et Urd pour ne citer que celles-là. Ceci pour dire qu’on est un peu dans une sorte de pagaille organisée. Cependant, ce qui est important par rapport à l’esprit de ce texte-là, c’est qu’il y a un certain nombre de leaders qui ne souhaitent plus cautionner la candidature du président Macky Sall. Je dis bien ne souhaitent plus cautionner parce qu’ils ont participé à son bilan donc, ils sont comptables de la gouvernance politique de Macky parce qu’ils ont collaboré avec lui et ils étaient à l’intérieur de la coalition ».
« L’autre question que je me pose est relatif au contexte choisi par les signataires de cet appel. Ils attendent qu’on soit à moins d’un an de l’élection présidentielle qui est d’une importance capitale pour dire, voilà, on va organiser des Assises, on va se regrouper pour représenter les forces de gauche. À mon avis, si vraiment ils étaient animés de la volonté de l’esprit de gauche, ils n’attendraient pas maintenant pour faire un appel des forces de gauche. Ils auraient pris leur responsabilité depuis très longtemps notamment, au moment où il y avait un calme politique. Je pense que c’était le moment de prendre conscience de l’importance de coaliser, de regrouper les forces de gauche comme les autres l’avaient annoncé aussi pour les libéraux. Mais, ils attendent la fin d’un régime dont ils sont comptables au même titre que le président Macky Sall pour dire voilà, maintenant on va s’organiser. De même que le président Macky Sall, ils ont aussi des comptes à rendre, parce qu’ils sont restés dans la coalition, même si peut-être certains partis avaient quitté, mais dans tous les cas, ils n’avaient jamais pensé à se regrouper.
Cette démarche me fait donc penser à l’ouvrage écrit par un ami sur les paradoxes de la gauche sénégalaise, intitulé : « De la lutte des classes à la lutte des places ». Aujourd’hui, les membres de ce groupe ont réussi leur lutte de place mais, ils savent que cette lutte de place risque d’être compromise parce que, c’est l’incertitude qui risque de les gagner et maintenant, ils vont se regrouper pour pouvoir trouver les possibilités de se repositionner politiquement. Mais dans tous les cas, cette démarche traduit une désorientation de ce groupe-là. Et je pense que c’est trop tard. Car, à mon avis, ce qui est important aujourd’hui, c’est peut-être de rejoindre les groupes qui sont déjà-là et qui défendent les idéaux qu’ils revendiquent que de vouloir former, un groupe à part parce que tout cela, c’est un peu problématique compte tenu du temps. Ensuite, les problèmes qu’ils ont dans leurs propres partis vont les retrouver dans ce groupe. Je pense qu’il faut plutôt intégrer les groupes qui existent déjà et qui sont en train de se battre ».