LE SÉNÉGAL CHAMPION DE LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE
Cette troisième révision de 2019 de la constitution consacrant la suppression du poste de Premier ministre, contribuera-t-elle à rendre effectif le mode « fast-track » souhaité par Macky ou mènera-t-elle à un certain « autoritarisme » du chef de l’Etat ?
« …La pratique montre que les balises juridiques érigées en vue de protéger la quiétude et la stabilité de la loi fondamentale se révèlent inefficaces, en tous les cas, non dissuasives. Des changements intempestifs et opportunistes de la Constitution sont souvent réalisés par les différents régimes qui se sont succédé. Ainsi, au plan strictement quantitatif (avec un nombre très élevé de révisions), le Sénégal serait sans nul doute le champion mais aussi le détenteur du record en la matière… » ainsi parlait le professeur et constitutionnaliste Ismaïla Madior Fall, dans sa contribution « La révision de la constitution au Sénégal » publiée en décembre 2014. Un texte de 46 pages dans lequel, le constitutionnaliste revient sur deux grands points que sont la malléabilité de la procédure de révision et l’ambivalence du contenu des révisions.
La constitution est définie par le lexique juridique comme « un ensemble de textes juridiques qui définit les différentes institutions composant l’État et qui organise leurs relations. Une Constitution écrite est généralement organisée en plusieurs parties appelées titres, eux-mêmes divisés en articles et alinéas. Elle peut comporter également une charte des droits fondamentaux. Quelle que soit sa présentation et son contenu, la Constitution est considérée comme la règle la plus élevée de l’ordre juridique de chaque pays ».
Entre juridiquement faisable et le politiquement risqué
Comme en 2011, avec le débat sur le 3ème mandat de Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, aujourd’hui encore, le débat refait surface avec son successeur Macky Sall, chef de l’Etat sénégalais depuis mars 2012.
En effet, la révision constitutionnelle du 20 mars 2016 souhaitée par le Président Sall a été soumise à un référendum. Le texte prévoit notamment comme nouveautés la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux (de 5 ans). Il propose également la mise en place d’un Haut conseil des collectivités territoriales en remplacement du Sénat qui a été supprimé dès l’accession du Président Macky Sall à la Présidence de la République. Les Sénégalais résidant à l’étranger éliront également leurs députés à l’Assemblée nationale.
Arrêtons-nous sur la question des mandats puisque c’est l’objet de cet article. En effet, dans le Titre III de la constitution du 22 janvier 2001, l’article 27 dispose que « la durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire ». Auparavant, avec la constitution de 1963 modifiée révisée pour la 13ème fois en 1991 par la Loi constitutionnelle n° 91-46 du 6 octobre 1991 portant révision de la Constitution, dispose en son « TITRE III – DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ET DU GOUVERNEMENT, article 22 » que « La durée du mandat présidentiel est de sept ans ». Situation qui a été à l’origine de la crise politico-sociale née en 2011 pour se prolonger jusqu’à la présidentielle de février 2012, où le 3èmemandat voulu par le Président Wade a été jugé conforme à la constitution par le conseil constitutionnel sénégalais.
Comme si l’histoire bégayait…
Comme si l’histoire se répétait, le scénario Wade semble se dessiner avec son « fils spirituel » et successeur à la magistrature suprême, Macky Sall. Ce dernier élu pour 7 ans, promet de faire un mandat de 5 ans. Il opérera avant la fin de la cinquième année un revirement, avec la saisie du conseil constitutionnel pour avis. Les Sages, 5 à l’époque (7 aujourd’hui avec la révision constitutionnelle de 2016) rendent ainsi en matière consultative la « décision n°1/C/2016 du 12 février 2016 » dans lequel le conseil fait décide « au fond, pour la conformité du projet dans son ensemble, l’esprit général de la constitution du 22 janvier 2001et aux principes généraux du droit :
Article 2 : l’article relatif aux mesures abrogatoires ne doit viser que l’alinéa de l’article 26 de la constitution.
Article 3 : la disposition transitoire prévue à l’article 27 dans la rédaction que lui donne l’article 6 du projet et aux termes de laquelle ‘’cette disposition s’applique au mandat en cours’’ doit être supprimée, elle n’est conforme ni à l’esprit de la constitution, ni à la pratique constitutionnelle, la loi nouvelle sur la durée du mandat du Président de la République ne pouvant s’appliquer au mandat en cours ».
Décision jugeant non conforme à la constitution la volonté du chef de l’Etat de réduire son mandant de 7 à 5 ans, invitant à la suppression de la disposition selon laquelle « …cette disposition s’applique au mandat en cours… » parce que « … la loi nouvelle sur la durée du mandat du Président de la République ne pouvant s’appliquer au mandat en cours ».
Ce qui relance la question de la légalité ou non d’un troisième mandat pour Macky Sall. En effet, selon le Professeur Jacques Mariel NZOUANKEU dans sa contribution du 12 octobre 2017, « l’élection de 2019 n’est pas le renouvellement de celle de 2012. C’est une élection nouvelle. C’est la première élection d’un nouveau cycle institué par l’article 27 de la Constitution, qui dispose que la durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Le mandat est renouvelable une seule fois. Cette disposition ne peut être révisée que par une loi référendaire ».
Chez les juristes, les thèses se posent et s’opposent…
Pour le constitutionnaliste et professeur de droit à la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Ameth Ndiaye « le Sénégal ne peut être assujetti à la loi des juristes que nous sommes. L’interprétation doit prendre fin quand la loi issue de la Constitution est claire. Un troisième mandat n’est pas envisageable, au regard de la Constitution, au regard de l’esprit de la Constitution ».
Son collègue le Pr Abdoulaye Dièye invité le 14 avril 2019 à l’émission ‘’Objection’’de la radio Sud FM, alerte que « Si jamais demain, par une pression ou une influence quelconque, il (le Président Macky Sall) se mettait à dire qu’il va demander au Conseil constitutionnel si c’est son dernier mandat, il va faire un troisième mandat ».
Un avis que partage le constitutionnaliste Ngouda Mboup, « … Qu’on ne recherche pas l’avis du Conseil constitutionnel sur cette question, conseille-t-il. Le Président de la République ne peut pas braver la Constitution. L’article 27 est clair. Il ne parle pas de principe, ni d’exception. Il stipule : Nul ne peut exercer deux mandats consécutifs ».
Le juge Hamidou Dème démissionnaire de la magistrature s’est également invité au débat à travers une contribution « La constitution piégée par un 3ème mandat »publiée sur sa page Facebook le 26 mars 2019.
Le Pr Babacar GUEYE, pour sa part, invité le dimanche 9 octobre 2017 à l’émission Grand Jury de la RFM a déclaré que « le Président Macky Sall peut briguer un troisième mandat s’il est réélu en 2019 ». Pour étayer ses propos, le constitutionnaliste soutient que « La révision constitutionnelle de 2016 a été rédigée de telle sorte qu’on peut raisonnablement penser qu’il est possible que le Président Macky Sall brigue un 3e mandat. Il y a dans cette affaire un problème de succession de lois. La première est relative à l’article 27 issu de la Constitution de 2001 et cette révision constitutionnelle de mars 2016 qui ne mentionne plus le mandat de 7 ans ».
Le Président Macky Sall, seul maître du jeu…
La balle est ainsi dans le camp du chef de l’Etat, seul capable de couper court à ce débat avec soit des dispositions transitoires soutenant clairement que ce mandat est son dernier, ou à travers un renoncement public à se présenter pour un troisième mandat. Ce que Macky Sall avait tenté dans une vidéo qui date d’avant la présidentielle de février 2019, dans laquelle il lâchait « le 3ème mandat, on n’y pense même pas ». Mais certains observateurs restent sceptiques, surtout que l’épisode avec la révision de son mandat est toujours dans les mémoires.
Le 11 mars 2019 son ancien Ministre de la justice et actuel ministre auprès du Président de la République, Ismaïla Madior Fall, lors d’un entretien avec les confrères du journal ‘’Enquête’’ laissait entendre que « En principe, c’est le deuxième et le dernier mandat… À mon avis, les dispositions sont claires. D’autres ont donné leur avis en disant que les dispositions ne sont pas claires. Il appartient au président de la République d’apprécier ».
La question d’un troisième mandat valse ainsi entre le « juridiquement faisable et le politiquement risqué ».
Révisions constitutionnelles portant suppression du poste de Premier ministre
D’ailleurs, il semble en être de même pour ce qui est du projet de révision de la constitution portant suppression du poste de Premier ministre. Ce projet voté à l’assemblée nationale (composée à la majorité absolue de députés de la majorité présidentielle) ce samedi 04 mai 2019, va opérer un bouleversement sur le plan des rapports entre les différents pouvoirs que sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
Le projet dans son ‘’exposé des motifs’’ renseigne que « considérant la fonction primatoriale de transmission et d’animation gouvernementale, le Président de la République se place dés lors au contact direct des niveaux d’application … des politiques publiques. C’est pour atteindre cet objectif que le présent projet de révision de révision instaure un régime présidentiel caractérisé par un pouvoir exécutif rationnalisé, avec notamment la suppression du poste de Premier ministre… ».
Cependant, cette suppression du chef du gouvernement engendre de facto après adoption de la loi, l’instauration d’un régime « présidentialiste fort » où la plupart des pouvoirs sont concentrés entre les mains du président de la République, chef de l’exécutif.
A part la suppression pour le chef de l’Etat du pouvoir de dissoudre l’assemblée nationale, et celle de cette assemblée qui ne pourras plus aussi voter une motion de censure pour faire démissionner le gouvernement, cette situation sur le plan historique n’a presque rien d’inédite. En effet, dans la 2ème révision – Loi n° 62-62 du 18 décembre 1962 portant modification de la Constitution, le président Léopold Sédar Senghor avait pris « Article unique : Il est ajouté à la Constitution de la République du Sénégal un article 66 bis, ainsi libellé :
Art. 66 bis : Par dérogation aux dispositions des articles 25, 53 et 66 de la Constitution fixant les pouvoirs et les attributions du Président du Conseil, le Chef de l’Etat devient Chef de l’Exécutif.
Il peut soumettre au référendum un projet de révision constitutionnelle, après avis du Président de l’Assemblée nationale, du Conseil des ministres et d’une commission spéciale de l’Assemblée ». Une disposition renforcée par « la LOI n° 63-22 du 7 mars 1963 portant révision de la Constitution de la République du Sénégal ». Un texte qui confirme la suppression du poste de président du conseil (ndlr : équivalent du Premier ministre),et le renforcement des pouvoirs du Président de la République. Le Sénégal passait ainsi à l’adoption de son premier régime présidentiel, après celui parlementaire de 1960, juste après les indépendances. Le poste reviendra avec la 5ème Révision – Loi n° 76-27 du 6 avril 1976 portant révision constitutionnelle, à travers son article 35 alinéa 2 que « En cas de décès ou de démission du Président de la République ou lorsque l’empêchement est déclaré définitif par la Cour suprême, le Premier ministre exerce les fonctions de Président de la République jusqu’à l’expiration normale du mandat en cours. Il nomme un nouveau Premier ministre et un nouveau Gouvernement dans les conditions fixées à l’article 43 ».
Le chef du gouvernement est une nouvelle fois supprimé avec la « 8ème Révision – Loi n° 83-55 du 1er mai 1983 portant révision de la Constitution » qui dispose que
« Ainsi, dans un monde en crise qui exige des décisions rapides mais aussi dans un Etat de droit… La suppression du poste de Premier ministre, et partant la correction de tous les articles se référant à cette fonction, au Gouvernement ou à ses membres, oblige à modifier un nombre élevé d’articles… », pour revenir 8 ans plus tard grâce à la « 10ème Révision de la Loi constitutionnelle n° 91-20 du 16 février 1991 modifiant les articles 52 et 57 de la loi constitutionnelle n° 63-22 du 7 mars 1963, modifiée »disposant que « Tout en demeurant présidentialiste, notre Constitution organisera désormais la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale. Dans leurs principales caractéristiques, les mécanismes constitutionnels introduits par la révision du 26 février 1970 seront donc rétablis ».
Ce qui consacre le retour du Premier ministre chef du gouvernement.
Cette troisième révision de 2019 de la constitution consacrant suppression du poste de Premier ministre, contribuera-t-elle à rendre effectif le mode « fast-track »souhaité par le président Macky Sall ou mènera-t-elle à un certain « autoritarisme »face aux pouvoirs renforcés du chef de l’Etat ?