LE TOURNANT DÉCISIF DE L’APRÈS-TANOR
L’inquiétude est tout à fait légitime. Qu’adviendra-t-il du Parti socialiste (Ps) après la disparition de son secrétaire général et ses 23 ans de règne ?
Entre la nécessité de préserver cet héritage politique, les dissensions internes, et l’absence d’une figure consensuelle, le compagnonnage Bby, les ‘‘Verts’’ vivent un tournant décisif.
La grogne, les frondes, les courants, les départs, et les purges au sein du Parti socialiste (Ps) ne sont pas inédits. Ils sont même intrinsèquement liés à l’histoire des ‘‘Verts’’. La crise de 1962 passée, Senghor était le seul à bord du navire socialiste. Le passage de témoin Senghor à Diouf a été relativement calme et la gestion de ce dernier assez homogène. Cependant le longiligne président procédera à des purges de la garde ‘‘senghorienne’’ en neutralisant les Alioune Badara Mbengue, Amadou Cissé Dia, Amadou Clédor Sall..., pour dérouler en toute tranquillité après le congrès de 1984. Sa gestion est relativement bien maitrisée, malgré les batailles de positionnement des fortes têtes. Il a fallu attendre la décennie 1990 et le fameux congrès sans débat pour que la contestation émaille, par intervalles réguliers, ce qui allait devenir la longue gestion de 23 ans d’Ousmane Tanor Dieng. Entre passage par le haut de l’entonnoir, ce 30 mars 1996, où il a été nommé secrétaire général du parti réformant du coup les structures du Ps, jusqu’à son décès ce lundi 15 juillet 2019, le timonier du navire socialiste aura tenu ferme. Mais dans les galères, de vives contestations n’auront pas manqué avec des courants lancés par les barons qui l’ont précédé, ses contemporains, ainsi que la jeune garde qu’il a aidé à gravir les échelons du Ps. Les expulsions, par vagues, des animateurs de différents courants de pensée dans le parti (Djibo Ka, Moustapha Niasse, Souty Touré, Robert Sagna, Mbaye Touré, Mamadou Diop...), l’éviction de Me Aminata Tall Sall, après le dernier congrès en juin 2014, les affrontements du 5 mars 2016 où le pire été évité, et l’expulsion de 64 membres du Ps en décembre 2018, ont été les principaux pics de tension qui ont élevé l’électrocardiogramme d’une gestion ‘‘tanorienne’’ qui se voulait plat. ‘‘A partir de 1996, il y a eu des difficultés liées à la légitimité du secrétaire général Tanor Dieng. Juste avant 2000, s’il avait toléré les courants à l’intérieur du parti comme cela s’est fait avec le Ps français, si cette crise des identités remarquables avait été surmontée, le Ps ne se serait pas affaibli à ce point. Mais il s’est appuyé sur les leviers du parti pour balayer les résistances’’, analyse l’enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université Gaston Berger de St. Louis, Moussa Diaw.
Les caciques contestés d’office
La règle est que les différents secrétaires généraux du Ps ont toujours triomphé des frondes. L’exception, en l’état actuel, est que le Ps n’a plus de secrétaire général. La vacance actuelle du poste va-telle provoquer l’éclatement du parti qui se vante d’être le plus structuré du Sénégal ? Ou va-t-elle faire prendre conscience à l’establishment socialiste de la nécessité de se fédérer pour préserver l’héritage le plus convoité de l’espace politique sénégalais ? Les pronostics du professeur sont plutôt peu engageants, si les figures tutélaires ne se concertent pas pour surpasser les divergences et éviter les frustrations. Une situation qui pourrait même profiter à l’Alliance pour la république, maitre d’œuvre de la coalition Benno Bokk Yaakar (Bby), qui tient les rênes du pays depuis 7 ans et pour les 5 autres à venir. ‘‘Pour l’instant, il va falloir trouver rapidement une solution pour le Ps. Le danger qui le guette est le risque d’être absorbé par l’Alliance pour la république (Apr). S’il ne trouve pas une solution consensuelle, comme une direction collégiale, en attendant d’organiser un congrès, ça va être de plus en plus compliqué. S’il se laisse tenter par le prolongement de l’aventure dans Bby, ce sera la dislocation et les militants vont aller dans tous les sens, captés pour l’essentiel par l’Apr et on risque de voir ce qui est arrivé au parti socialiste français actuel’’, croit savoir Moussa Diaw. Le congrès ordinaire du Ps se tient, tous les quatre ans, mais un congrès extraordinaire peut avoir lieu sur décision du Comité central ou à la demande de la majorité (moitié plus une) des coordinations. Le dernier a lieu les 6 et 7 juin 2014.
En l’état actuel, les dignitaires et proches collaborateurs qui semblent les mieux placés dans l’ordre protocolaire sont contestés. Serigne Mbaye Thiam et Aminata Mbengue Ndiaye ne font déjà pas l’unanimité dans les rangs du parti, puisqu’à leur reconduction dans le gouvernement actuel, les fissures ouvertes se sont agrandies. Le Bureau politique élargi et un Secrétariat exécutif national du Ps se sont réunis, juste avant la formation du gouvernement actuel, en avril dernier. Aucune contestation apparente n’avait marqué les débats. Mais à l’annonce de la nouvelle formation gouvernementale, les frustrations ont éclaté. Le porte-parole adjoint du Ps, maire de Ourossogui, Me Moussa Bocar Thiam, a démissionné avec fracas rejoignant leur commensal dans la coalition Bby, l’Alliance pour la République (Apr). Concomitamment, le Front pour la vérité et la justice au Ps est créé à l’intérieur du Ps par Abdoulaye Gallo Diao et d’autres membres du Bureau politique et du Comité central en guise de protestation.
Le secrétaire aux relations internationales du Ps, Gorgui Ciss, maire de Yène, s’y met également en exigeant une rotation, après 7 ans de présence des deux ministres dans le gouvernement précédent. Une ‘implosion’ que le professeur Diaw attribue au poids électoral des deux figures tutélaires de l’aprèsTanor. ‘‘Ses deux plus proches collaborateurs (Ndlr : Aminata Mbengue Ndiaye et Serigne Mbaye Thiam) n’ont pas cette envergure politique. Serigne Mbaye Thiam n’a pas le background politique qui lui permettrait de dépasser les contradictions internes. Quant à Aminata Mbengue Ndiaye, elle a perdu tous ses actifs politiques même au niveau local et n’a plus cette assise d’antan. Si elle quitte le gouvernement, elle risque d’être marginalisée’’, avance le professeur Diaw. D’ailleurs les positions, à l’interne, sont tranchées sur cette question. D’aucuns soutiennent que leur principal allié, le Président Macky Sall, a reconduit les deux socialistes dans le gouvernement sans concertation préalable avec Tanor, alors que d’autres soutiennent l’inverse.
Khalifa, retour du fils prodigue
Vendredi dernier une réunion a été convoquée par le maire du Plateau à la maison du parti de Colobane sur les grandes lignes à adopter, en attendant le retour d’OTD. L’annonce de sa mort a surpris plusieurs hauts cadres socialistes, puisque certains étaient dans la conviction que leur secrétaire n’était pas malade à ce point. ‘‘Avant sa disparition, il y avait eu une tentative de rassemblement, car ayant perçu les frustrations internes et externes, suite à la non-participation à la Présidentielle de 2019. C’est une décision qui a été très loin de faire l’unanimité’’, avance l’enseignant-chercheur. Après l’investiture de Macky Sall, le 2 avril dernier, Ousmane Tanor Dieng appelait les socialistes de tous bords à se réunifier, car ‘‘l’histoire du parti est de scissions et de retrouvailles’’. Le professeur d’université estime qu’il était un peu trop tôt pour expier le mal causé par la répression de la dernière dissidence au sein du Ps. ‘‘Le dernier appel n’a pas réussi, car le contexte n’était pas favorable. Il lui a été reproché son indifférence par rapport aux démêlés judiciaires de Khalifa Sall, Barthélémy Dias et même de Bamba Fall dont son cas en justice a directement à voir avec la vie du parti. S’il avait conditionné la poursuite de son compagnonnage avec Bby à la non-poursuite de Khalifa et autres, il y aurait eu réflexion, avant la poursuite de l’action judiciaire’’, estime Moussa Diaw.
Dans ce charivari politique, le maire révoqué de Dakar, Khalifa Sall, semble le profil le plus consensuel au Ps. Le professeur est d’avis que sa légitimité et son parcours chez les ‘‘verts’’ sont à son avantage pour tenir la barre socialiste, malgré les épreuves qu’il y a subies. Le parti n’est pas dans une posture enviable, mais a de beaux restes qu’il peut faire prévaloir. ‘‘L’avantage du Ps, c’est sa structuration et son maillage national où les leaders départementaux qui ne sont pas contestés restent très actifs, contrairement à d’autres partis qui n’ont pas fini leur formation’’, avance le professeur Diaw. Si l’étincelle qui pourrait illuminer la grandeur du Ps viendra de cet ‘‘excommunié’’, beaucoup de problèmes se posent. ‘‘Khalifa Sall pourrait être le sauveur du Ps, mais il faudra en finir avec Dame Justice. La procédure est épuisée. Maintenant, il ne reste que la grâce ou l’amnistie. C’est très hypothétique. Le cas échéant, rien ne dit qu’il va accepter de revenir dans le parti’’, explique l’enseignant chercheur Pr Diaw. Khalifa Sall doit encore purger un peu plus de deux ans, après avoir été condamné à cinq ans de prison, dans l’affaire de la caisse d’avance de la Ville de Dakar. Sera-t-il toujours autant intéressé par ce parti où il a été député en 1983, adjoint au maire de Dakar Mamadou Diop un an plus tard, ministre en 1993, maire de Grand-Yoff en 1996, et élu maire de Dakar en 2009 et 2014 ? Rien n’est moins sûr. Depuis le prononcé de son exclusion du Ps, en décembre 2017, et de 64 dissidents, l’officialisation n’a pas été rendue publique par notification. Khalifa Sall lui-même et ses fidèles lieutenants ont un signé un communiqué utilisant l’appellation de ‘‘Parti socialiste des valeurs’’, histoire de toujours revendiquer une part de légitimité chez les ‘‘Verts’’. ‘‘Compte tenu de ses ambitions, s’il veut avoir une présence dans l’espace politique, il aura besoin de l’appareil du Ps, car ça lui sera indispensable pour conquérir le pouvoir. De toute façon, c’est lui qui pourra relancer le parti et lui permettre de survivre’’, estime Moussa Diaw.