LE TRIOMPHE DU SOPI
Le 19 mars 2000, après quatre tentatives infructueuses, Abdoulaye Wade remporte l’élection présidentielle - Il devient ainsi le troisième président de la République sénégalaise et offre au pays la première alternance politique de son histoire
Après quatre tentatives infructueuses, Abdoulaye Wade remporte l’élection présidentielle de 2000. Il devient ainsi le troisième président de la République sénégalaise, et offre au pays de la Téranga la première alternance politique de son histoire. Jeune Afrique revient sur ce tournant historique, dix-huit ans après.
Aux alentours de 22 heures le dimanche 19 mars 2000, à Dakar, les rues commencent à se remplir. Les « Sopi ! Sopi ! [« Changement », en wolof]» se font de plus en plus sonores. Les observateurs savent que la victoire de l’avocat Abdoulaye Wade est consommée.
Ils la pensent évidente, elle sera écrasante : 58,5 % contre 41,5 %. L’éternel opposant remporte, à 73 ans, l’élection présidentielle contre Abdou Diouf, au pouvoir depuis près de vingt ans.
Une longue marche vers le pouvoir
En 2000, Abdoulaye Wade est loin d’être un inconnu dans le paysage politique sénégalais. Comme l’indique à Jeune Afrique l’historien sénégalais Mamadou Diouf, professeur d’Études africaines à l’université de Columbia (New York), à partir des années 1970 « il n’est plus possible de faire quoi que ce soit [politiquement] sans Wade ».
En 1974, il crée le Parti démocratique sénégalais (PDS). Opposant historique du président Léopold Sédar Senghor, puis du président Diouf, il se présente, en vain, aux élections présidentielles de 1978, 1983, 1988 et 1993. Dans les années 1990, il est également ministre d’État à plusieurs reprises.
Une campagne sous le signe du « Sopi »
Rapide et efficace, la campagne d’Abdoulaye Wade est menée sous le slogan du « Sopi ». Une devise qui touche particulièrement la jeunesse sénégalaise, comme le rappelle Mamadou Diouf : « Avec lui, les gens ont pensé que tout était possible. »
L’historien insiste d’ailleurs sur le « rôle centrale de la jeunesse ». Abdoulaye Wade « a cette extraordinaire capacité à mobiliser les jeunes par le “Sopi” ». Un cas de figure qui peut étonner, par la différence d’âge entre le favori et ses partisans, mais l’historien l’explique par le fait que Wade « a parfois même un discours plus jeune que les jeunes politiques ».
Si la jeunesse supporte Abdoulaye Wade dans les campagnes électorales récentes, elle est peu présente sur les listes. C’est le travail le plus conséquent du « Ndiombor » (« lièvre », en wolof) : à partir de 1988, il s’acharne à convaincre les jeunes électeurs de s’inscrire.
La victoire n’est pourtant pas acquise : à l’issue du premier tour, Wade obtient 31 % contre 41,3 % pour Abdou Diouf. Dans l’entre-deux tours, Abdoulaye Wade parvient à rassembler l’opposition autour de lui, et inverse la tendance.
Tournant historique
Si le Sénégal fait figure de modèle en Afrique de l’Ouest en matière de démocratie et de stabilité, le pays est pourtant dirigé depuis l’indépendance par un seul et même parti, le Parti socialiste. D’abord représenté par le père de la patrie, Léopold Sédar Senghor, puis par son successeur, Abdou Diouf, le pays de la Téranga peine à faire évoluer sa démocratie. Au sein de la société civile, la volonté de changement est de plus en plus manifeste.
La victoire d’Abdoulaye Wade aux élections présidentielles est un tournant à deux titres : le PS est défait dans la plupart de ses fiefs historiques, et le Sénégal est la première démocratie africaine qui vit une alternance par les urnes.
Une situation dont « Maître Wade » a bien conscience. Dans les pages de Jeune Afrique, quelques jours après sa victoire, il assène qu’il « doi[t] [s]a victoire à la seule volonté du peuple et non pas, comme certains, à un “dauphinat” ! Elle n’en est donc que plus savoureuse. »
L’arrivée au pouvoir d’Abdoulaye Wade a également « amené une nouvelle génération au pouvoir », selon Mamadou Diouf : « Il n’y a jamais eu autant de femmes et de jeunes dans le jeu politique que durant les douze années de sa présidence. »
Transition pacifique
Au soir du 19 mars, la crainte de tensions, voire de violences, à l’annonce des premiers résultats est très forte. Une appréhension entretenue par le mutisme du président Diouf, qui évoquera cette soirée électorale dans ses Mémoires. « Durant la nuit du 19 au 20 mars 2000, […] j’écoutais les résultats à la radio. […] Vers 23 heures, alors que les résultats commençaient à tomber, Babacar Touré [journaliste] m’a téléphoné. Je lui ai dit que c’était perdu. »
Pendant ce temps, si les résultats favorables continuent à tomber, Wade reste anxieux. Lui, le perpétuel candidat malheureux, n’y croit toujours pas et attend une seule chose : une prise de parole d’Abdou Diouf.
Au matin du 20 mars 2000, Abdoulaye Wade, à peine réveillé, reçoit un appel téléphonique : « Félicitations, je te souhaite plein de succès ! » Cette phrase, toute simple, prononcée par Abdou Diouf est la reconnaissance de la victoire du Lièvre. D’une voix cassée, le désormais nouveau président sénégalais lui répond sobrement : « Ah, merci ! » La transition pacifique est amorcée.