ÉRECTION DE KEUR MASSAR EN DÉPARTEMENT, L’EQUATION DU LEADERSHIP POLITIQUE
Etant une localité avec un manque d’hommes politiques d’envergure nationale, la grande bataille qui se jouera à Keur Massar avec cette nouvelle donne est celle du leadership
Le président de la République Macky Sall a décidé de faire de Keur Massar un département. Avec une superficie de 25 km2 et plus de 500 mille habitants, cette décision sonnait presque comme une évidence. Toutefois, étant une localité avec un manque d’hommes politiques d’envergure nationale, la grande bataille qui se jouera à Keur Massar avec cette nouvelle donne est celle du leadership.
Les régions, départements, communes sont parfois consubstantiels aux hommes politiques qui y habitent et qui en sont pratiquement l’âme. Par exemple, on ne peut pas parler de Mermoz Sacré-Cœur, Kaffrine, Bambey, Podor ou Rufisque sans penser automatiquement et respectivement à Barthélémy Dias, Abdoulaye Wilane, Aïda Mbodji, Aïssata Tall Sall ou encore le défunt Mbaye Jacques Diop. Quelles que soient leurs obédiences politiques, leurs noms sont collés à ceux de leurs localités. Malheureusement, on ne peut en dire autant pour Keur Massar. En effet, depuis qu’elle est devenue une commune en 1996, l’évocation de cette localité ne renvoie à aucun homme politique d’envergure. Et Avant les inondations qui ont touché près de 58 des 140 quartiers que compte Keur Massar, poussant cette commune à être sous le feu des projecteurs actuellement, et son camouflet sur les plateaux de télé, le maire Moustapha Mbengue était dans l’anonymat politique bien qu’il soit député. Et il est loin d’être un cas isolé.
LE FONCIER, LE TALON D’ACHILLE DE TOUS LES MAIRES
Les trois maires qui ont dirigé cette commune durant ces 24 années ont du mal à se projeter au-delà des frontières de la localité. D’abord le maire Mbacké Diop, un proche du défunt secrétaire général du Parti Socialiste (PS), a dirigé la commune de 1996 à 2001. Revenu en 2009 après avoir cédé son portefeuille au maire libéral Gamou Boye qui est par ailleurs son cousin, de 2002 à 2009. Mais ni l’un ni l’autre n’a su amener la commune vers des horizons lumineux. Empêtrés dans des malversations foncières, ces deux édiles ont eu souvent maille à partir avec la justice. Au détriment d’une gestion vertueuse et d’un projet ambitieux pour Keur Massar. En 2014, à l’issue d’une élection locale très disputée, Moustapha Mbengue, un fidèle du Président Macky Sall, prend les commandes de la mairie. Plus jeune que ses prédécesseurs et issu du mouvement «Navétane», il avait suscité l’espoir malgré quelques déboires avec la justice, toujours à cause du foncier. Mais manifestement, lui aussi n’a pas su créer le déclic que les populations attendaient. Outre des résultats peu probants concernant sa gestion, les habitants lui reprochent surtout son manque d’empathie et son indifférence envers ses administrés.
DES FORCES EMERGENTES
Toutefois, si ses prédécesseurs sont presque devenus des reliques politiques, le maire de Keur Massar compte, malgré des sondages qui lui sont peu favorables, briguer un deuxième mandat. Une tâche qui ne sera pas une aisée pour le premier magistrat de la commune qui n’aura pas facilement l’aval du chef de l’Etat.
L’on se souvient en effet qu’en 2014, le Président Macky Sall avait porté son choix sur lui les yeux fermés et en tordant le bras à l’ancienne ministre déléguée Fatoumata Tambédou qui avait aussi l’ambition de diriger la mairie. Seulement, force est de constater que 6 ans après, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, et l’actuel maire a perdu politiquement de sa superbe. Et à cela s’ajoute le fait que des membres non moins importants de son parti sont en train de tisser leur toile comme le ministre du Commerce Assome Aminata Diatta. Cette dernière y multiplie les actions sociales. Son nom commence à circuler à Keur Massar et au plus haut sommet de l’Etat. Des mouvements de soutien sont créés à son nom.
Ses partisans et ceux du maire Moustapha Mbengue se sont même donnés en spectacle lors de la dernière visite du président de la République. Parmi les leaders qui luttent aussi pour avoir une place sous le soleil dans cette partie très convoitée de la banlieue, il y a Idrissa Wélé. Celui qui fut le très puissant directeur de cabinet du maire Mbacké Diop lors de son premier magistère et connu pour sa loyauté indéfectible à Ousmane Tanor Dieng est aussi un homme aimé et respecté, surtout par les jeunes, grâce à son investissement dans le mouvement Navétane. Il était le président de l’équipe de Médina Kell, l’une des ASC les plus titrées de la localité, et il a aidé beaucoup de jeunes sportifs à émerger. Il est peut-être le plus populaire des hommes politiques de Keur Massar mais lui aussi à des démêlés avec la Justice, toujours à cause du foncier qui freine et compromet son ascension, même si le concerné clame son innocence. L’ancien sénateur Amadou Barry a aussi créé son mouvement et compte jouer un rôle important lors de la prochaine élection locale. On peut citer aussi, parmi les prétendants à la mairie, l’entrepreneur et proche du Président Macky Sall, Abdoulaye Sow, le conseiller Mounirou Kane du PDS, Djiby Sow du parti CREDI dirigé par le professeur Hamidou Datt, Mahfouz Guèye du Ps ou encore Seydina Bilal du PASTEF. «Waaw Meuna Nek», un sursaut citoyen qui a fait tache d’huile Dans cette guerre de positionnements, il faudra aussi compter avec les nombreux mouvements citoyens qui poussent comme des champignons à Keur Massar depuis 2014.
En effet, lors de la dernière élection locale, «Waaw Meuna Nek», un mouvement citoyen sorti de nulle part et dirigé par des jeunes qui n’ont jamais fait de la politique, est venu bousculer la hiérarchie en faisant trembler tous les politiciens traditionnels. Sans parrain, ni ressources financières, ces meneurs qui ont pour nom Ngouda Sall, Abdou Wélé, l’imam Oustaz Dramé, Pathé Diakhaté, Amadou Camara Guèye ont su néanmoins, par des discours révolutionnaires, dénoncer surtout la gabegie et l’enrichissement des politiciens traditionnels par le biais du patrimoine foncier de la commune, capter l’attention des habitants de Keur Massar.
Séduits, les jeunes Massarois ont voté pour ce mouvement citoyen qui a eu à avoir des conseillers en 2014. Et depuis lors, emboitant le pas à leurs précurseurs, des mouvements citoyens ont émergé à Keur Massar. Ces derniers comme «Keur Massar Debout, «Set Jeef» et tant d’autres nouvelles dynamiques locales ne ménagent aucun effort pour venir au chevet des populations et multiplient leurs actions citoyennes comme les «Set Setàl» et les reboisements. Ils ne ratent en outre aucune occasion pour fustiger la mauvaise gestion du maire. Par ailleurs, avec la départementalisation, il est fort probable que la commune de Mbao fasse partie de Keur Massar et devienne le chef de lieu de département.
Rien n’est encore sûr, mais si ce découpage se confirme, la bataille va davantage se corser. Tout le monde sait que le ministre de l’Environnement Abdou Karim Sall habite dans cette localité et compte jouer sa partition. C’est une commune où s’activent aussi beaucoup de mouvements citoyens.