LES PRISONNIERS DE BIYA
Dans les prisons camerounaises, surpeuplées et en proie à la violence, le pouvoir a fait de l’accès aux soins un moyen de régulation politique - Tout se passe comme si l’autorité s’était arrogé le droit d’assister ou de laisser mourir qui elle veut
Un jour ou l’autre, ils finissent par être admis dans ce bâtiment discret, pompeusement baptisé « pavillon haut standing », construit dans l’ombre du vieil Hôpital central de Yaoundé. Comme pour empêcher toute comparaison avec la crasse et le délabrement des murs de l’hôpital public, bâti à l’époque coloniale. Ou comme s’il fallait protéger l’identité de certains de ses pensionnaires.
Car c’est ici que sont hospitalisés VIP du régime et dignitaires déchus, ceux-là mêmes qui croupissent en prison, qu’ils aient été jugés ou non, et que l’on extrait discrètement de leurs cellules pour qu’ils soient soignés sous bonne garde.
L’autre soir, un petit groupe y a été aperçu. Des gardiens de prison et des membres du personnel hospitalier poussant un fauteuil roulant sur lequel était assise une silhouette recroquevillée, les jambes calées sur les repose-pieds. Une main était agrippée à l’accoudoir tandis que, de l’autre, le malade tentait de dissimuler son visage à l’aide d’une serviette. Peine perdue. L’éphémère couvre-chef n’a pas empêché les témoins de reconnaître Ephraïm Inoni.
Violence
Premier ministre du 8 décembre 2004 au 30 juin 2009, il a été arrêté et emprisonné en avril 2012 pour une affaire de détournement d’argent public. Battu et laissé pour mort par ses codétenus lors de l’émeute du 22 juillet dernier à la Prison centrale de Kondengui, Inoni ne s’est pas encore remis de ses blessures. Sa famille affirme qu’il dépérit et rêve d’une évacuation sanitaire à l’étranger.
Incarcéré depuis 2008 et victime de sévices similaires durant la même émeute, l’ex-ministre de la Santé, Urbain Olanguena Awono, est lui aussi toujours hospitalisé. Au début d’août, Inoni et lui ont été rejoints dans une chambre voisine par l’ex-secrétaire général de la présidence, Marafa Hamidou Yaya, qui multiplie les séjours à l’hôpital, signe d’une santé précaire.
Dans les prisons camerounaises, surpeuplées et en proie à la violence, personne n’est véritablement bien loti, et de celles-ci rares sont ceux qui parviennent à s’« échapper ». Il a fallu que le cas d’Yves-Michel Fotso, atteint d’un cancer, soit extrêmement préoccupant pour que cet ancien patron de la Camair, emprisonné depuis neuf ans, puisse se rendre au Maroc, le 18 août, pour y recevoir des soins.
Seul le président Paul Biya pouvait l’y autoriser. Avant Fotso, l’ancien ministre des Finances, Essimi Menyé, a été l’unique bénéficiaire de ce « traitement de faveur ». Évacué vers les États-Unis en 2015, alors qu’il était en détention provisoire, il s’est établi en Virginie-Occidentale (un tribunal camerounais l’a condamné par contumace à la prison à perpétuité en 2019). Les anciens ministres André Booto à Ngon et Henri Engoulou n’ont pas eu cette chance. En dépit des supplications de leurs familles, ils n’ont pas été autorisés à aller se faire soigner et sont morts en prison, à l’instar d’une demi-douzaine d’anciens directeurs d’établissement public.
Opacité et arbitraire
Tout se passe comme si, dans ce champ carcéral, l’autorité politique s’était arrogé le droit d’assister ou de laisser mourir qui elle veut. Dans le secret de son cabinet et sur la base de critères connus de lui seul, le prince décide de qui peut bénéficier des soins des meilleurs hôpitaux étrangers, de qui devra confier son sort aux praticiens locaux et de qui meurt dans sa cellule. L’opacité a fait le lit de l’arbitraire.
Le pouvoir camerounais a fait de l’accès aux soins un moyen de régulation politique. On peut toujours accabler les intéressés, arrogants zélateurs d’hier aujourd’hui broyés par un système qu’ils ont contribué à construire. Mais le peuple, au nom duquel la justice est censée être administrée, n’en demande pas tant. Nul ne souhaite que le droit s’arrête à la porte du pénitencier.
Il est temps que soit mis en place un processus de pardon. Il offrirait à ceux qui ont pris conscience de la gravité de leurs actes une possibilité de repentance. Rien de tel n’existe à ce jour. Un pays qui dénie à ses brebis galeuses toute possibilité d’expiation est profondément hypocrite. Cela revient à appliquer une peine de mort qui ne dit pas son nom. Qui tue lâchement mais sûrement.