LES REPERCUSSIONS AU SENEGAL D’UN SUCCÈS DU POUVOIR SPIRITUEL VIS-A-VIS DU POUVOIR POLITIQUE
Selon Moussa Diaw, enseignant, chef de la section politique de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, l’exemple du célèbre prêcheur malien et figure de proue de la contestation du M5, Imam Dicko peut bien inspirer nos leaders politiques religieux
Au Mali, le président IBK est contesté pour sa gestion de la situation sécuritaire jugée calamiteuse par ses détracteurs. Toutefois, en ligne de mire de cette coalition hétéroclite, le M5 auquel est confronté Ibrahima Boubacar Keita, un imam à la place d’un opposant au régime. Pourtant, Mahmoud Dicko est l’un des artisans de la victoire de l’actuel Président Malien en 2013. Au Sénégal voisin où l’Islam joue un rôle de premier plan dans la résolution de conflits politiques et sociaux, l’influence de Dicko pourrait à bien des égards changer les rapports entre le spirituel et le temporel et instaurer un nouveau paradigme. Une assertion très plausible selon Moussa Diaw. A en croire l’enseignant, chef de la section politique de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, l’exemple du célèbre prêcheur malien et figure de proue de la contestation du M5, Imam Dicko peut bien inspirer les leaders politiques religieux sénégalais.
Il va sans dire que la configuration islamique du Sénégal et du Mali ne sont pas les mêmes. En proie à des assauts répétés des djihadistes dans le Nord du pays depuis 2012, le gouvernement malien est confronté, depuis le grand rassemblement organisé le 5 juin dans la capitale Bamako par une coalition hétéroclite dirigée par le célèbre prédicateur Imam Mahmoud Dicko, à une nouvelle problématique qui risque de faire basculer le pays dans une impasse politique. Car le M5 est catégorique.
D’ailleurs, la coalition contestataire est toujours déterminée à utiliser la voix de la rue pour faire abdiquer IBK. En outre, à la suite du sommet tenu lundi par visioconférence sur la situation du Mali après l’échec de la médiation des Chefs d’Etats dont Macky Sall, la CEDEAO a demandé la démission immédiate de 31 députés y compris le président du Parlement.
Toutefois, il est à constater que celui qui a tenu tête au pouvoir malien n’est même pas un opposant au régime encore moins un politique. Mais un imam, un religieux. Mais qu’en est-il de son influence sur l’espace politique sénégalais et de la sous-région ? Toutefois, il est à rappeler que les relations entre les politiques et les religieux ont connu quelques soubresauts. A ce titre, il faut noter la farouche opposition des guides religieux à la pénétration occidentale.
En outre, l’exemple le plus patent de ces relations conflictuelles entre le spirituel et le temporel est l’incarcération du leader politico-religieux Ahmed Tidiane Sy Al Maktoum, par ailleurs fondateur du Parti de la Solidarité Sénégalaise avec d’autres personnalités en 1959, par le régime de Senghor après qu’ils ont contesté les résultats issus des élections.
Toutefois, il faut rappeler que les hommes religieux sont aussi distingués par leurs capacités à être des régulateurs sociaux. Les guides spirituels interviennent souvent dans la sphère politique pour réconcilier des hommes politiques qui se sont brouillés.
Des fois, ils sont appelés à la rescousse par l’administration centrale afin de jouer les médiations entre l’Etat et les populations. A ce titre, il faut noter la sortie fracassante du Khalife général des Tidianes sur la gestion de la crise de Covid-19.Il avait demandé, en présence du président de la République, au pouvoir public de tenir un langage de vérité envers les populations en disant toute la vérité sur la maladie. Tout ceci montre que les hommes religieux, bien que restés dans la tradition c’est-à-dire concentrés sur leurs missions divines, n’hésitent pas à s’immiscer dans le champ politique pour diverses raisons.
Mais avec le succès ou le triomphe de l’Imam Dicko qui s’est présenté comme une alternative crédible face aux difficultés du peuple malien, va-t-on assister au Sénégal à un changement de rapports entre le pouvoir politique et celui spirituel ? D’ailleurs, il est même assez fréquent dans des débats que des personnalités politico-religieuses, notamment celles proches des familles religieuses, présentent les leaders religieux comme des détenteurs de salut face aux difficultés du peuple.
MOUSSA DIAW : «MAHMOUD DICKO PEUT CONSTITUER UNE REFERENCE POUR LES LEADERS POLITICO-RELIGIEUX»
La figure de proue de la Coalition M5, Imam Mahmoud Dicko peut bien inspirer les leaders religieux sénégalais. C’est du moins l’analyse de l’Enseignant-chercheur à l’UGB. « L’imam Dicko peut constituer une référence pour les leaders politiques religieux. Parce qu’au Sénégal, il y a certains parmi ces leaders qui jouent sur deux tableaux à savoir celui de la politique et du religieux. Il peut même inspirer certains dans leurs discours » a commenté l’analyste politique pour « L’AS ».
D’autant que ces leaders, poursuit-il, sont en mal de construire un discours car au Sénégal, il y a des confréries. Mieux, à l’en croire, même si le religieux se considère toujours à part, quand on observe bien la laïcité au Sénégal, on se rend compte que c’est une laïcité exceptionnelle tout à fait différente de ce qui se passe en France. Ce qui fait que, dit-il, au Sénégal, la collaboration étroite entre le politique et le religieux est bien visible.
En témoigne, martèle l’Enseignant-Chercheur, la position des religieux dans les crises sociales. « L’exemple de Mahmoud Dicko peut être une référence pour les leaders religieux politiques dans leurs stratégies de mobilisation pour la conquête de l’espace politique, puisqu’il y en a parmi eux qui ont des partis politiques », argumente Moussa Diaw. Mais le problème, dit-il, c’est qu’au Sénégal, nous avons un Islam confrérique. Donc, agrémente-t-il, pour conquérir toutes ces confréries, il faudrait tenir un discours rassembleur. Ce qui, note-t-il, n’est pas évident. « Car il faudrait un discours qui va transformer les différences confrériques pour pouvoir associer les populations par rapport à une préoccupation. Ce qu’Imam Dicko est arrivé à faire, les leaders politiques religieux sénégalais peuvent aussi le réussir. Il ne suffit, pour eux, que de tenir un discours rassembleur par rapport aux difficultés auxquelles les politiques peinent à trouver des solutions comme la pauvreté, la corruption et autres sujets », note-t-il.
D’ailleurs, ajoute-t-il, c’est là où le discours pourrait percer et cristalliser toutes les tensions et les mécontentements pour pouvoir fédérer afin de jouer un rôle important de mobilisation autour de ces facteurs.
Toutefois, précise-t-il, il faut replacer la situation au Mali dans son contexte. Le Mali, dit-il, comme le Sénégal, est un pays laïc. Mais comme ici au Sénégal, la séparation du pouvoir spirituel et temporel n’est que théorique. Mieux, il faut aussi rappeler la situation difficile qu’est en train de traverser le Mali avec des assauts répétés de djihadistes », commente-t-il.
Ainsi, selon Moussa Diaw, c’est ce vide politique dû à la défaite de l’Etat malien face à la crise sécuritaire qui a propulsé le discours de l’Imam Mahmoud Dick