"L’IDÉE DE NOMMER LE MAIRE DE DAKAR VA DANS LE SENS CONTRAIRE DE LA PROPOSITION FAITE AU SEIN DU DIALOGUE NATIONAL"
Trois questions à Ababacar Gueye, professeur de droit public
Comment appréciez-vous la proposition allant dans le sens de doter d’un statut spécial la ville de Dakar avec un maire qui sera nommé par décret présidentiel ou par un arrêté ministériel?
Déjà Dakar depuis 2016 n’a plus le statut de commune de droit commun. En effet, elle a été érigée en ville depuis cette période. Aujourd’hui, le Haut Conseil des Collectivités Territoriales a proposé de faire évoluer cette situation en renforçant le statut spécial de la ville de Dakar. L’un des points forts de cette proposition est la nomination du maire par le pouvoir exécutif. Cette situation pourrait entraîner une certaine incompréhension d’autant plus que la réforme de l’acte III de la décentralisation est en cours et n’a pas encore fait l’objet d’évaluation. N’oublions que cette réforme avait déjà fait évoluer le statut des villes.
Ensuite dans le cadre du dialogue national, on parle de la volonté d’élire le maire au suffrage universel direct. Or, cette idée de nommer le maire de Dakar va dans le sens contraire de cette proposition qui constituerait une véritable avancée d’un point de vue démocratique.
Quoi qu’il en soit, il ne faudrait pas que l’Etat par cette réforme remette en cause l’autonomie de la ville de Dakar en en prenant le contrôle avec un maire aux ordres parce que nommé par le Chef de l’Etat.
Une telle mesure ne remettrait elle pas en cause la vocation de la décentralisation dont le but est de rapprocher l’administration des administrés mais aussi de permettre aux populations de choisir leur maire ?
Le rapprochement de l’administration des administrés est plus un objectif de la déconcentration que de la décentralisation. Les collectivités territoriales sont davantage des cadres de gouvernance locale et d’impulsion d’activités de développement.
Aujourd’hui, c’est une mesure qui pourrait remettre en cause le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales consacré par l’article 102 de la Constitution du Sénégal qui prévoit que «les collectivités territoriales constituent le cadre institutionnel de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques. Elles s’administrent librement par des assemblées élues. »
La lecture de ce texte pourrait faire penser que l’obligation d’élection ne pèse que sur l’organe délibérant qu’est le conseil municipal en l’occurrence. Mais pour respecter les principes de la démocratie locale, il faudrait que le maire soit au moins élu par les populations en tant que conseiller municipal.
Personne n’ose dire que la démocratie locale est remise en cause aux Pays-Bas et pourtant dans cet Etat, les maires sont nommés par l’exécutif. Mais en général c’est la personnalité présentée par la liste qui a remporté les élections qui est nommée. Donc quelqu’un qui a déjà la légitimité démocratique.
Toutefois compte tenu des différents conflits entre le maire de Dakar et l’exécutif, une telle idée ne pourrait-elle être considérée comme une panacée dans le but de développer la capitale sénégalaise qui semble en pâtir ?
Je ne partage pas du tout cette idée. Un comportement responsable des autorités étatiques et territoriales devrait permettre d’éviter que la ville de Dakar subisse les conséquences de conflits purement politiques. Dakar c’est la capitale du Sénégal, le siège du Gouvernement du Sénégal. Mais c’est aussi une collectivité territoriale et le maire de Dakar, malgré le dédoublement fonctionnel, doit travailler pour satisfaire les besoins des populations locales. C’est la mission que la loi lui confère. Donc, malgré les contingences et les adversités politiques, les deux autorités doivent collaborer pour participer efficacement chacune en ce qui la concerne à la réalisation de l’intérêt général. Tout le reste ne peut que mener vers des situations de blocage et d’inertie. Ce qui est préjudiciable aux intérêts des populations.