L’IDÉE DU TIRAGE AU SORT VIENT DE MOI
Ndiaga Sylla décortique les dossiers électoraux brûlants. L'expert est revenu sur le parrainage, le tirage au sort, l'éligibilité de Karim Wade et Khalifa Sall mais aussi sur le recours contre la Cena à quelques mois de l'élection présidentielle
Ndiaga Sylla était l’invité du dernier Jury du dimanche de l’année. L’expert électoral a décortiqué le parrainage et le tirage au sort dont il dit que l’idée vient lui. Il s’attendait aussi à ce que le Conseil constitutionnel se penche dès samedi sur la complétude du dossier de Sonko. S’il estime que Karim Wade et Khalifa Sall peuvent être tranquilles pour leur éligibilité sur les amendes qui leur sont infligées, il plaint cependant le fils de Abdoulaye Wade quant à sa nationalité qui pourrait le bloquer.
Il ferme le Jdd de l’année 2023. Ndiaga Sylla était l’invité de Aïssata Ndiathie ce dimanche sur iRadio et iTv pour décortiquer la matière électorale qu’il connaît du bout des doigts. Et cela dans un contexte où le contrôle des parrainages a démarré au Conseil constitutionnel. L’expert électoral est revenu sur le tirage au sort. «Je sais que le tirage au sort, l’idée vient de moi, en toute modestie. Parce que nous avons vécu en 2019, au premier jour, avec justement la généralisation des parrainages, toute une cacophonie. Vous vous rappelez à l’époque la bagarre qu’il y a eu (entre Mimi Touré et Malick Gakou) ? A l’époque, l’ordre du contrôle dépendait de l’ordre du dépôt. Donc, tout le monde se précipitait pour déposer en premier lieu. Or, nous savons par expérience qu’en général, s’il n’y avait pas cette contrainte, les candidats déposaient leur liste, justement, au dernier moment. Comme c’est le cas cette fois-ci. Donc, si on doit instaurer un tirage au sort, il ne devrait pas porter sur l’ordre du dépôt des candidats, mais plutôt sur l’enjeu fondamental : l’ordre du contrôle. Et c’est exactement ce que le Conseil a rétabli», a-t-il expliqué. Il estime, qu’a priori, le tirage au sort, «bien qu’il soit aléatoire, est quand même équitable parce que les chances sont égales. Et au moins, ça a le mérite d’éviter la cacophonie». Cependant, Ndiaga Sylla prône des «réformes majeures» en repensant le système de parrainage et rationalisant les candidats. Il indique qu’avec ce système, on peut espérer une vingtaine ou trentaine de candidatures au maximum.
«Le Conseil devait nous dire si le dossier de Sonko est complet»
L’expert électoral estime que le parrainage doit être amélioré. Il a rappelé que la Cour de justice de Cedeao avait ordonné à l’État du Sénégal d’abandonner ce système. Sur le refus de la Direction générale des élections de remettre la fiche de parrainage au mandataire du leader de l’ex-Pastef, il dit : «C’est pourquoi d’ailleurs j’ai longtemps considéré que l’administration électorale sénégalaise n’est pas chargée de recevoir ou de valider des candidats, n’avait pas à faire entrave justement à cette liberté de candidature. Ce n’est pas normal parce que nous sommes dans le cadre d’une élection présidentielle.» L’expert rappelle que les compétences en matière électorale sont attribuées au ministre de l’Intérieur, mais qu’il exerce à travers ses services centraux. «Alors, c’est pourquoi je m’attendais à ce que le Conseil constitutionnel, par rapport à la nouvelle procédure qui découle justement de sa décision, consistant à apprécier la complétude du dossier de candidature, nous dise si effectivement le dossier de Ousmane Sonko est complet ou non», a-t-il dit.
«L’amende ne peut empêcher Khalifa et Karim d’être candidats»
Le débat sur l’inéligibilité ou non de Karim Wade et Khalifa Sall se prolonge en dépit de la modification du Code électoral issu du dernier dialogue. S’il salue cette réintégration, Ndiaga Sylla se livre à une démonstration. L’amende non payée de Karim Wade fait débat et fait douter. «D’abord interrogeons le décret qui a gracié Khalifa Sall. Il est clairement dit qu’il est gracié à la fois de ses peines d’emprisonnement et de ses peines d’amende. Et le code électoral modifié en son article 28 dit que quelqu’un qui bénéficie d’une grâce présidentielle doit rester la période prévue pour la condamnation initiale. Par exemple, pour Khalifa Sall c’était 5 ans. Pour la peine d’amende, c’est le même code électoral modifié qui dit que si quelqu’un a été condamné à une peine d’amende pour retrouver son droit de vote doit rester une période de 3 ans pour être éligible. Donc, si on considère ces dispositions, Khalifa Sall devient éligible», a-t-il conclu. Sur le cas du fils de l’ancien président condamné à 6 ans de prison et à une amende de 13 milliards FCFA par la Crei, il explique : «Le décret de grâce de Karim Wade dit que M. Karim Wade est exempté de la peine d’emprisonnement mais pas du paiement de l’amende. Sauf que maintenant, on ne peut pas appliquer l’article L28 qui prévoit une période de 3 ans, mais plutôt l’article L30 qui règle le cas Karim. Cet article dit que ne peuvent être inscrites sur les listes électorales, à partir de la condamnation définitive, les personnes condamnées pour un certain nombre de délits pour une durée moindre. Cette disposition finit par dire toute personne condamnée à une peine d’amende supérieure à 200 000 francs. Or, Karim Wade est dans cette situation puisque c’est à coup de milliards. La condamnation définitive de Karim Wade est intervenue en 2015 alors qu’on est en 2023.» Ndiaga Sylla relève une différence entre l’amende en tant que peine prononcée par le juge et l’amende retenue par le code des impôts. Il en déduit qu’«aujourd’hui, juridiquement, l’amende infligée à Khalifa Sall et Karim Wade ne peut pas les empêcher d’être candidats».
«Si Karim devrait être bloqué, ce serait sur sa nationalité»
Par contre, entrevoit Ndiaga Sylla, si Karim Wade devrait être bloqué, ce serait sur la question de la nationalité. «Je pense qu’il en est assez conscient parce que c’est une disposition constitutionnelle qui date du Code électoral de 1992 qui dit que pour être candidat à l’élection présidentielle, il faut être exclusivement de nationalité sénégalaise. Et d’ailleurs, c’est tout à fait raisonnable parce qu’il faut quand même protéger la souveraineté de notre pays. Maintenant lui (Karim) étant de nationalité française, il doit y renoncer. Le président Wade (son père) avait dit d’ailleurs, pertinemment, qu’il fallait faire la différence entre bi-nationalité et double nationalité», a dit l’expert électoral.
«Le recours contre la Cena ne peut pas reporter les élections»
Il est l’initiateur du recours contre le décret de nomination des nouveaux membres de la Commission électorale nationale autonome (Cena). Ndiaga Sylla analyse les effets de la décision éventuelle de la Cour suprême qui statue sur ce référé ce 3 janvier. «Ma conviction est que ce recours ne peut pas empêcher la tenue des élections. La première conséquence de l’annulation du décret, c’est que l’ancienne équipe doit rester en place. Encore que le rôle de la Cena sera plus déterminant à l’approche des élections. Ou alors, le président de la République doit tenir compte des griefs que nous avions soulevés, à savoir le renouvellement au tiers qui n’a pas été respecté», a-t-il conclu.