L’OPPOSITION PERD ET GAGNE
Adoptée sans débat à l’Assemblée nationale le jeudi 19 avril dernier, la loi instaurant le parrainage citoyen pour tous les candidats à la présidentielle a fini de cristalliser l’opposition
Adoptée sans débat à l’Assemblée nationale le jeudi 19 avril dernier, la loi instaurant le parrainage citoyen pour tous les candidats à la présidentielle a fini de cristalliser l’opposition. Après avoir contesté en vain la loi en question au niveau de l’hémicycle et dans la rue, le camp opposé au pouvoir en place a décidé, depuis hier, de saisir le Conseil constitutionnel et peut-être la Cour suprême pour procéder à l’annulation de la disposition législative contestée. Seul hic, comme le souligne dans notre édition de jeudi Papa Mamour Sy, enseignant chercheur en droit constitutionnel à l’Ucad, « il y a de fortes chances pour que le Conseil constitutionnel déboute l’opposition ». Au même titre que la Cour suprême qui ne dispose, en l’état actuel du droit positif sénégalais, d’aucune prérogative de contrôle de la constitutionnalité d’une loi. Raison suffisante pour le spécialiste en droit constitutionnel de ne trouver d’autres voies de recours possibles pour l’opposition que dans les juridictions internationales (Cour de justice de la Cedeao, Cour africaine des droits de l’homme). Question : ces juridictions peuvent-elles prononcer l’invalidation de la loi sur le parrainage et donner satisfaction à l’opposition sénégalaise ? Ou faudrait-il seulement voir dans cette saisine envisagée de la Cedeao et de l’Union africaine une simple stratégie pouvant déboucher sur un gain politique réel pour Idrissa Seck et cie ? Eclairages du Pr El Hadji Iba Barry Kamara, enseignant de droit à l’Ucad) et du Dr Mamadou Thiam, expert en communication et Dg de l’Heic.
EL HADJI IBA BARRY KAMARA, ENSEIGNANT DE DROIT À LA FACULTÉ DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES DE L’UCAD : «Il n’y a aucun pouvoir de contrainte que pourraient exercer ces juridictions sur le Sénégal»
Le Sénégal est un état souverain, membre des entités communautaires que sont la Cour de Justice de la Cedeao et la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples mais, il faudrait comprendre le sens de notre participation à ces organisations. Là où on peut penser que ces organisations pourraient avoir compétence, c’est lorsqu’il y a effectivement violation des droits de l’homme. C’est seulement sur la base des recours portants sur ces chefs d’accusation qu’on pourrait considérer que ces juridictions pourraient être compétentes. Mais, si ce n’est pas dans le cadre du respect des droits de l’homme et des droits humains, aucun recours ne pourrait être adressé à ces juridictions. Si donc, ce qu’on reproche à la loi sur le parrainage est en dehors de la violation des droits humains, c’est sûr que ces juridictions vont se déclarer incompétentes. Maintenant, si on considère que le vote de la loi sur le parrainage constitue une violation manifeste des droits de l’homme, il va s’en dire que les recours de l’opposition pourraient être déclarées recevables. Il appartiendra dans ce cas à ces juridictions d’apprécier quel est véritablement le sens ou la nature du recours. Pour cela, il appartient aux responsables de l’opposition de faire préalablement le travail de lien entre cette loi sur le parrainage et le respect des droits humains pour que leur recours soit déclaré recevable.
À cela dit, l’autre problème se trouve au niveau de la portée des décisions rendues par ces juridictions communautaires. Car, ce sont des juridictions qui ont valeur de règles de droit, on considère qu’il y a la coercition qui fait défaut. De manière directe, il n’y a aucun pouvoir de contrainte que pourraient exercer ces juridictions sur le Sénégal parce qu’il n’y a pas de sanctions à priori. De manière indirecte, la sanction est que le Sénégal ne pourra pas participer ou être élu dans certains postes au niveau des instances sous régionales ou continentale. Il n’y a que des sanctions indirectes donc mais pas de façon directe comme on aurait voulu, en cas de violation de la règle de droit. Cela n’existe pas parce qu’il n’y a pas de coercition.
Il faudrait comprendre que les décisions de ces juridictions sont éminemment politiques. C’est sur la base politique que ces organisations agissent. Lorsqu’un pays prévoit dans ses dispositions des règles qui portent atteinte aux droits humains en ce moment, tout citoyen pourrait saisir ces cours qui vont simplement faire injonction au Sénégal de supprimer de ses dispositions juridiques de telles dispositions et condamner éventuellement le Sénégal à payer les dommages et intérêts à celui-là qui a souffert des dispositions incriminées.
DR MOMAR THIAM, EXPERT EN COMMUNICATION ET DG DES HAUTES ETUDES EN INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION : «Ces recours sont un meilleur moyen de maintenir la pression sur le pouvoir»
Si on s’en tient aux conditions dans lesquelles la loi sur le parrainage a été votée (vote sans débat, boycott de certains députés), l’opposition n’a qu’un seul fusil à l’épaule, c’est d’attaquer cette loi d’un point de vue juridique. Autrement dit, déposer dans un premier temps un recours auprès du Conseil constitutionnel pour annulation et devant la Cour suprême pour annulation du décret de transmission du projet de loi et ensuite devant les juridictions sous régionales et régionales. Pour moi, toutes ces actions relèvent d’abord d’un combat juridique qui peut s’avérer vain si toutefois, l’opposition est déboutée par le Conseil constitutionnel et la Cour suprême mais aussi que les juridictions africaines n’accèdent pas à leur requête. C’est aussi un combat politique et médiatique parce que cela permet d’entretenir cette question autour des médias et d’alerter d’avantage l’opinion publique en ce sens que les médias leur constituent de relais auprès de l’opinion publique. Parce que, à partir du moment où cette loi est votée, si l’opposition reste dans un silence assourdissant, il y a ce qu’on appelle l’effet d’agenda en politique. On ne parlera plus du parrainage et il faudrait qu’ils cherchent encore un autre point de divergence avec le pouvoir pour en parler et pouvoir faire opposition.
Ces différents recours peuvent être fondés d’un point de vue juridique parce que l’opposition est en droit de le faire puisqu’on est dans un Etat de droit où on peut contester la constitutionnalité d’une loi ou même le vote d’une loi. Cette démarche de l’opposition, c’est aussi politique médiatiquement parlant parce que c’est le meilleur moyen de maintenir la pression sur le pouvoir et de mobiliser l’opinion publique, à travers les médias avec ces différents recours. Par ailleurs, ce que je voudrais rajouter, c’est qu’on a toujours dit que le Sénégal est une vitrine en démocratie en Afrique de l’Ouest. Certes, mais quand je fais un parallèle avec le vote de la loi sur l’immigration et le droit d’asile en France, je me suis rendu compte qu’il y a eu 7 jours de débats et plus de 60 heures de discussions entre les parlementaires autour de cette loi avec des amendements à l’appui.
C’est ce schéma extraordinaire à l’expression démocratique qui a manqué au débat sur le parrainage à l’Assemblée nationale. Cette loi est entachée quelque part par la non-expression démocratique de l’opposition qui a boudé le vote. En communication politique, cela veut dire que l’Etat, à travers ses différents démembrements (la présidence de la République, le ministère de la Justice…) auraient pu faire mieux en matière de communication autour du parrainage et ne pas laisser des personnes qui n’ont pas de connaissances à la chose juridique en parler de manière politique.