MACKY N’A JAMAIS VOULU EMPRISONNER KARIM
Pape Samba Mboup pousse un coup de gueule à propos du scandale des passeports diplomatiques, des collaborateurs déloyaux du président de la République, prend la défense de Mimi Touré et compagnie et revient sur l’affaire Karim Wade
Fidèle à sa réputation et à son tempérament, ainsi qu’à son franc-parler habituel, l’ancien chef de cabinet du président Wade et actuel souteneur du président Sall pousse un coup de gueule à propos du scandale des passeports diplomatiques, des collaborateurs déloyaux du président de la République, prend la défense de Mimi Touré et compagnie et revient sur l’affaire Karim Wade…
Le Témoin – Pape Samba Mboup, l’actualité, c’est le discours que ton actuel mentor, le président Macky Sall, vient de prononcer devant l’Assemblée générale des Nations unies. Qu’est-ce que ce discours t’a inspiré ?
Pape Samba MBOUP - Permettez-moi tout d’abord de féliciter le président de la République pour ce brillant discours qu’il vient de délivrer devant la 76ème session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies. Ce discours doit être pris en charge par tous les citoyens sénégalais soucieux du devenir de l’Afrique, et, surtout, par l’entourage du Président qui a le devoir de se l’approprier et de le vulgariser. J’apprécie d’autant plus son contenu qu’il se situe dans le droit-fil de celui prononcé en décembre 2019 par le chef de l’Etat lors du Forum sur la Dette et le Développement tenu ici même à Dakar. A l’époque, Macky Sall avait dénoncé avec force les freins à notre développement que constituent le plafonnement du déficit budgétaire et celui de l’endettement. Il avait demandé le remplacement du « Consensus de Washington » sur lequel ces critères sont fondés par un « Consensus de Dakar » qui prendrait en compte nos préoccupations. C’est ce combat qu’il a prolongé lors de son discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies pour demander l’annulation de la dette des pays africains du fait notamment des discriminations que subit l’Afrique dans les évaluations que font les agences de notation des Nations unies. Ce combat, l’Afrique doit le porter. Il est heureux d’ailleurs que des chefs d’Etat aient demandé au président de la République de porter la voix du continent devant cette auguste Assemblée générale de l’ONU. Car, qu’on le veuille ou non, le président Macky Sall incarne le leadership continental. Encore une fois, je le félicite pour ce discours de haute facture.
L’actualité c’est aussi, hélas, ce trafic de passeports diplomatiques dans lequel sont impliqués deux députés de la majorité présidentielle. En tant que soutien du président de la République, comment vois-tu ce scandale ?
C’est une affaire grave, très grave même. La justice doit aller jusqu’au bout et sanctionner les coupables. Ce trafic nous met tous mal à l’aise et place notre pays sur la sellette. Vous vous rendez-compte, même le Rassemblement national, le parti de Mme Marine Le Pen en France, a parlé de délinquance à col blanc ! Je viens de lire à l’instant dans le net un journaliste français, un certain Emmanuel Desfourneaux, qui dit que la République du Sénégal sous Macky Sall est devenue une fabrique de contrefaçon avant d’insinuer que tout y est faux, la Démocratie y compris l’Emergence. Voir dire de telles choses à propos de mon pays me rend triste. Si le Sénégal est montré du doigt, stigmatisé et traîné dans la boue, c’est en partie la faute à ceux qui, autour du Président, auraient dû avoir un comportement irréprochable de manière à ce qu’on ne puisse pas l’atteindre à travers eux. Si le Président n’y prend garde, ce sont ces gens-là qui vont le perdre. Il ne doit pas accepter que certains se prévalent des relations qu’ils ont avec lui pour commettre ce genre de choses. Il faut que, sans états d’âme, il se débarrasse des gens qui abusent de sa confiance. Pour parler plus précisément du trafic des passeports diplomatiques, à cause des agissements de ces deux députés, notre pays est la risée du monde entier. Pis, il court le risque d’être sanctionné à l’instar du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie dont la France a réduit les quotas de visas. A tout le moins, si ce trafic n’est pas sanctionné avec fermeté, des pays pourraient exiger le visa aux porteurs de passeports diplomatiques sénégalais. Ce qui serait bien dommage pour notre pays. Notre justice est interpellée et elle doit agir sans faiblesse…
A côté de ce trafic de passeports diplomatiques auquel se livrent des députés, il y a aussi un trafic de visas dans lequel sont impliqués deux membres du mouvement Y En A Marre. Ça commence à faire beaucoup, décidément…
Là, il convient de faire la part des choses. Cette affaire ne concerne pas Y En A Marre en tant que tel mais deux de ses membres. J’ai d’ailleurs été content d’entendre les responsables de ce mouvement dire qu’ils vont défendre les mis en cause en tant qu’amis tout en condamnant ce qu’ils ont fait. Car, ne nous y trompons pas, tout Etat a besoin d’organisations comme Y En A Marre qui jouent un rôle d’alerte en attirant son attention sur ce qui ne va pas afin qu’il puisse redresser le tir. De ce point de vue, leur rôle est irremplaçable dans une société démocratique. Seulement voilà, cela suppose que ces organisations ou ces mouvements soient réellement de la société civile c’est-à-dire équidistants des partis politiques. Lorsque leurs animateurs sont encartés, évidemment, cela fait désordre. C’est pourquoi, Y En A marre doit sanctionner les auteurs d’agissements comme ceux qui valent à deux de ses membres d’être en prison actuellement. Sinon, cela peut ternir son image et ce n’est pas souhaitable.
Pour parler de tout à fait autre chose, je me suis toujours demandé comment tu vis le fait d’être aujourd’hui l’ami du président Macky Sall qui est quand même celui qui a mis en prison ton « neveu » Karim Wade !
Mes rapports avec le président Abdoulaye Wade étaient excellents. Cela, c’est un secret de Polichinelle. En plus, nous entretenions une complicité qui dépassait tout ce que l’on peut imaginer. Karim m’appelait tonton et me disait que lui et Sindjély savaient tout ce que j’avais fait pour son père et avec lui. Je suis donc particulièrement bien placé pur dire que le président Macky Sall a tout fait pour éviter d’envoyer Karim Wade en prison. Une semaine après son accession au pouvoir, il m’a demandé de venir le voir à Mermoz où il habitait encore avant de déménager au Palais (Ndlr, il est revenu à Mermoz depuis !). Il ma reçu à 1 heure du matin cette nuit-là. Lorsque je suis arrivé chez lui, j’ai trouvé dans sa salle d’attente un journaliste et un homme d’affaires mais c’est moi qu’il a reçu le premier. D’ailleurs, je l’ai trouvé en train de préparer ses valises car il devait effectuer le lendemain son premier déplacement à l’étranger en tant que nouveau président de la République. Naturellement, Me Abdoulaye Wade était au courant de cette audience. Dès que je me suis assis en face de lui, le président Macky Sall m’a demandé : « alors, tu viens travailler avec moi ? » Si j’étais un opportuniste, j’aurais sauté sur l’occasion d’autant plus que le président Wade nous avait fait comprendre qu’il était prêt à ‘’libérer’’ tout collaborateur dont Macky Sall avait besoin des services. Après quoi, il est entré dans le vif du sujet qui l’intéressait. « Viviane est ma mère et Sindjély ma sœur. Je ne ferai rien pour leur nuire. Mais Karim, c’est autre chose. Il correspond à une demande sociale car il a géré beaucoup de choses et il y a une exigence de reddition des comptes le concernant. Il va falloir regarder cela, si on trouve qu’il y a des problèmes de gestion, on peut transiger ».
Dans mon entendement à moi, Pape Samba Mboup, transiger c’est, tout simplement, faire des concessions réciproques qui arrangent toutes les parties. Si le président Macky Sall a proposé à Karim de transiger, c’était pour lui éviter la prison. Quand j’ai rendu compte au président Wade le lendemain, il était d’accord pour que Karim transige. Une semaine après, Macky Sall a reçu une délégation du Pds pour déterminer les contours de l’éventuelle transaction. Au sortir de l’audience, elle devait aller rendre compte elle aussi à Me Wade et revenir avec des propositions. Eh bien, le président Macky Sall ne l’a plus jamais revue ! Pour cause, des gens ont dit à Wade que transiger serait un aveu de culpabilité de la part de son fils. A partir de ce moment, et en l’absence de transaction, le président de la République ne pouvait plus arrêter la machine judiciaire. Tout cela pour dire que ce n’est pas Macky Sall qui a jeté en prison Karim, ce sont plutôt les gens qui conseillaient Wade qui l’ont fait ! Car beaucoup de responsables de notre régime ont transigé pour ne pas aller en prison mais vous me permettrez de ne pas citer de noms (Ndlr, il éclate de rire !).
Pour terminer, quels conseils donnerais-tu à ton mentor Macky Sall dans la situation actuelle ?
Je m’étonne de ne plus voir dans son entourage des gens qui formaient un rempart autour de lui, qui montaient au créneau pour le défendre et qui mettaient efficacement en œuvre sa vision. Des gens qui étaient sur tous les fronts. Parmi ceux-là, son ami éternel Mahammad Boun Abdallah Dionne qui n’a jusqu’à présent qu’une seule ambition : aider à la réussite de son ami Macky Sall. Il y avait aussi Aly Ngouille Ndiaye, un homme discret, loyal, courtois et efficace. Et aussi Amadou Ba, un cadre compétent, grand économiste, bon ministre des Finances qui a beaucoup contribué à la reprise de la ville de Dakar lors de la dernière présidentielle. Je n’oublie pas Mouhamadou Makhtar Cissé, un Inspecteur général d’Etat qui a fait ses preuves à la tête de la Douane puis, plus tard, de la Senelec après s’être illustré aussi au ministère du Budget et en tant que directeur de cabinet du président et aussi de marquer de son empreinte le ministère de l’Energie. Le « fédayin » Moustapha Diakhaté figure dans ce lot. Last but not least, je citerai Mimi Touré, cette grande dame qui a fait ses preuves dans le système des Nations unies avant de venir soutenir le président Macky Sall qu’elle a défendu bec et ongles, et intelligemment, dans toutes les tribunes, sur tous les plateaux, dans tous les studios. Tous ces responsables décrochaient toujours leurs téléphones, ouvraient leurs portes aux militants et aux citoyens en plus de s’acquitter avec compétence de leur travail. Le président de la République a un réel problème de casting et il est trop sentimental, ce sont les deux défauts que je peux lui reprocher à côté de ses innombrables qualités. Or, il devrait savoir, ce qu’à Dieu ne plaise, que s’il devait quitter le pouvoir un jour, ce sont les gens qu’il protège aujourd’hui qui seraient les premiers à lui tourner le dos pour pactiser avec ses vainqueurs. Nous-même avons vécu cette situation à notre détriment lorsque le président Wade a perdu le pouvoir. Les gens qui lui disaient que son fis est le meilleur ont été les premiers à se rallier à Macky Sall !