MACKY SALL VERS L'IMPASSE
Les spécialistes en droit, Ababacar Guèye et Mouhamadou Ngouda Mboup, expliquent en termes simples, la complexité de la réhabilitation du poste de Premier ministre, tel que souhaitée par le président
Supprimé en 2019, sur initiative du président de la République, au nom d’une gouvernance «Fast Track», le poste de Premier ministre, dont le projet de révision constitutionnelle n°38/2021 a été adopté par l’Assemblée nationale, le 10 décembre dernier, devrait faire son retour. Le chef de l’Etat a d’ailleurs annoncé récemment, dans un entretien avec RFI et France 24, que la nomination du futur chef du gouvernement se fera après les élections locales du 23 janvier 2022.
Mais cette décision de Macky Sall risque de porter un coup à l’action gouvernementale. Puisque, selon des constitutionnalistes, le Gouvernement sera considéré comme démissionnaire, dès la promulgation de la loi qui devrait se faire dans les 14 jours francs suivant la promulgation. C’est-à-dire bien avant l’ouverture de la campagne pour les Locales. Maître de conférences en Droit public et Enseignant-chercheur de Droit public à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Ababacar Guèye et Mouhamadou Ngouda Mboup expliquent, en termes simples, la complexité de cette réhabilitation du poste de PM, tel que souhaitée par le président Sall.
L’Assemblée nationale a voté et adopté, le 10 décembre 2021, le projet de révision constitutionnelle n°38/2021 consacrant la restauration du poste de Premier ministre. Qu’est-ce qu’une loi constitutionnelle portant révision de la Constitution ?
A. Guèye. Un projet de loi constitutionnelle est une initiative prise par le président de la République pour faire modifier des dispositions de la Constitution. Au Sénégal, seul le président de la République et les députés ont le droit d'initier une révision constitutionnelle. Si l'initiative vient du président de la République, on l'appelle projet de loi constitutionnelle. Si elle vient des députés, c'est une proposition de révision constitutionnelle.
Ng. Mboup. Il s’agit d’une loi qui modifie la Constitution en vigueur. Elle vient apporter des modifications qui peuvent toucher au préambule - notre Préambule n’a jamais été révisé - ou au corps des règles. Ainsi, elle apporte ou supprime quelque chose dans la Constitution en vigueur (à l’exception des interdictions fixées dans l’article 103). Actuellement, la Constitution qui est toujours en vigueur est celle du 22 janvier 2001 (elle a plus de 20 ans), elle a subi plusieurs modifications depuis lors, dont la dernière en date est celle du 10 décembre 2021.
Pour ce cas précis de la restauration du poste de Premier ministre, le chef de l’Etat est-il tenu par les délais ?
A. Guèye. Il est tenu par les délais de promulgation. En effet, l'article 71 de la Constitution auquel renvoie l'article 103 prévoit que la loi adoptée par l'Assemblée nationale doit être transmise sans délai au président de la République pour promulgation. L'article 72 donne un délai de huit (08) jours au président de la République pour promulguer la loi.
Ng. Mboup. Oui. Le président de la République est tenu de promulguer la loi adoptée par l’Assemblée Nationale dans un délai précisé par la Constitution elle-même. Ce régime de promulgation des lois est fixé par les articles 71 à 75 de la Constitution.
Le président de la République a-t-il l’obligation de promulguer la loi et de nommer un nouveau gouvernement dans un délai de 14 jours ?
A, Guèye. Il a l'obligation de promulguer dans les huit (08) jours après adoption de la loi. Mais nulle part dans la Constitution, il n'est prévu un délai de nomination. Les six (06) jours, c'est pour un recours en inconstitutionnalité prévu à l'article 74. Or, c'est une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel sénégalais de se déclarer incompétent pour contrôler les lois constitutionnelles.
Ng. Mboup. Après son adoption par l’Assemblée nationale à la majorité absolue des suffrages exprimés (la loi constitutionnelle a subi une dégradation depuis la révision de 2012 portant suppression du Sénat. Aujourd’hui, il est plus facile d’adopter une loi de révision constitutionnelle que d’adopter une loi organique), la loi est transmise sans délai au président de la République pour promulgation (article 71). Le président de la République promulgue la loi dans les huit (08) jours francs qui suivent l’expiration des délais de six (06) jours francs pour un éventuel recours devant le Conseil constitutionnel (article 74). Le délai de promulgation est réduit de moitié en cas d’urgence déclarée par l’Assemblée nationale (article 72).
Et si le chef de l’Etat ne respecte pas les délais, quelles peuvent-être les conséquences ?
A. Guèye. Il n'est tenu que par les huit (08) jours de délai de promulgation. S'il ne respecte pas ce délai, l'article 75 oblige le Président de l'Assemblée nationale à procéder à la promulgation.
Ng. Mboup. Dans tous les cas, à l’expiration des délais constitutionnels, la promulgation est de droit ; il y est pourvu par le Président de l’Assemblée nationale (article 75). Dès que la loi sera promulguée, le Gouvernement sera considéré comme démissionnaire. La Constitution ne fixe pas de délai au président de la République pour nommer un Premier ministre (article 49). Il s’agit d’une lacune regrettable. Toutefois, de mon point de vue, le président de la République est tenu de nommer un Premier ministre dans les meilleurs délais, sous peine de ralentir le fonctionnement de l’Etat car les ministres démissionnaires ne pourront qu’expédier les affaires courantes ; ils ne pourront pas prendre d’actes graves. Par définition, les pouvoirs des membres d’un Gouvernement démissionnaire sont limités à l’expédition des affaires courantes. La continuité de l’Etat exige à ce que le président de la République nomme un Premier ministre (en droit constitutionnel, le présent vaut impératif) aussitôt après la promulgation de la nouvelle loi constitutionnelle en vue de la formation d’un nouveau Gouvernement.
Quelles sont les voies qui s’ouvrent au chef de l’Etat, s’il est dans l’impossibilité de respecter les délais ?
A. Guèye. Il n'y a pas d'autre voie. Soit le président de la République promulgue dans les huit (08) jours, soit c'est le Président de l'Assemblée nationale qui pourvoit à la promulgation, en cas de carence du premier. Quant à la nomination du Premier ministre, elle relève du pouvoir discrétionnaire du président de la République.
Ng. Mboup. Dans le délai fixé pour la promulgation, le président de la République peut, par un message motivé, demander à l’Assemblée nationale une nouvelle délibération qui ne peut être refusée. La loi ne peut être votée en seconde lecture que si les trois cinquièmes des membres composant l’Assemblée nationale se sont prononcés en sa faveur (article 73). De mon point de vue, la loi devrait retourner à l'Assemblée nationale pour seconde lecture car elle comporte beaucoup d’erreurs rédactionnelles (article 103) mais surtout d’omissions, notamment le nouvel article 40 qui oublie de citer l’article 87 (droit de dissolution de l’Assemblée nationale) parmi les dispositions non applicables pendant la période de suppléance du président de la République. Ne pas nommer un Premier ministre et attendre après les élections territoriales serait une violation de l’esprit général de la Constitution et du principe de continuité de l’Etat.