LA PRIMATURE EN SURSIS
Alors que le pays bruit des spéculations sur le nom et le profil du futur chef du gouvernement, Le Quotidien a appris que le chef de l’Etat a décidé de supprimer le poste en question - La prochaine équipe aura notamment pour tâche de mener cette réforme
Alors que tout le pays bruit des spéculations sur le nom et le profil du prochain chef du gouvernement, Le Quotidien a appris que le chef de l’Etat a décidé de supprimer le poste en question. L’équipe qui sera mise en place aujourd’hui, aura pour tâche principale et immédiate de mener cette réforme jusqu’à son adoption par l’Assemblée nationale.
Le propos est passé inaperçu dans son discours d’investiture, et pourtant Macky Sall avait annoncé la couleur. Le Président réélu avait déclaré le 2 avril dernier, après sa prestation de serment : «Je compte saisir l’Assemblée nationale afin qu’elle accompagne les changements dans la gouvernance de l’Exécutif pour un meilleur suivi des politiques publiques.» Peu nombreux sont ceux qui se sont interrogés sur le sens de cette phrase et sur les fameux changements dont parlait le chef de l’Etat. Pourtant, Le Quotidien est en mesure d’affirmer aujour¬d’hui qu’il ne s’agit ni plus ni moins que de la suppression du poste de Premier ministre.
Le nouveau chef de gouvernement qui sera nommé aujour¬d’hui, aura pour tâche principale, de faire passer cette réforme auprès de l’Assemblée nationale. Dans cet ordre d’idées, dès le premier Conseil des ministres de la nouvelle équipe gouvernementale, un projet de loi sera élaboré et adopté, en vue d’être soumis dans les plus brefs délais à l’Assemblée nationale.
Avec la majorité confortable dont il dispose à l’Assemblée, le Président peut s’assurer que son projet sera adopté et la réforme actée le plus rapidement possible. Le Pm qui sera nommé aujourd’hui devra alors rendre le tablier et laisser les membres du gouvernement rendre directement compte au président de la République.
Les exemples de Senghor et Diouf
Avec cette réforme, Macky Sall donne l’impression de faire un saut dans le passé. Ce n’est pas la première fois que le Sénégal décide de supprimer le poste de Premier ministre. La première fois, ce fut juste après la crise que le pays avait connue, avec la dualité au sommet de l’Exécutif, entre Mamadou Dia et Léopold Senghor. Victorieux de son bras de fer, le Président-poète décidera de faire pièce à l’institution primatoriale. Le pays connut ainsi un hiatus de 1963 à 1970, quand il décida de nommer Abdou Diouf à ce poste. Ce dernier, qui sera le seul Premier ministre de Senghor après Mamadou Dia, occupera la station pendant dix ans, sans interruption.
Devenu chef de l’Etat en 1981, Abdou Diouf tentera aussi l’expérience en 1983. Habib Thiam qui avait été Premier ministre, sera écarté au profit de Moustapha Niasse, qui cumulait alors le poste avec son portefeuille des Affaires étrangères. Il présentera rapidement un projet de réforme constitutionnelle à l’Assemblée nationale, pour se retrouver après, simple ministre des Affaires étrangères.
Dans les deux cas, les deux chefs de l’Etat avaient leurs objectifs, dont on peut imaginer qu’ils ne sont pas les mêmes que ceux de Macky Sall.
Fast track
Le Président Sall, tout le monde en convient, est tenu d’opérer des réformes pour pérenniser son Plan Sénégal émergent (Pse). Et il n’a que 5 ans pour produire des résultats solides et durables. Il a affirmé, dans son discours d’investiture, que «quand on aspire à l’émergence et qu’on est tenu par l’impératif du résultat, l’urgence des tâches à accomplir requiert de la diligence dans le travail. Ce qui doit être fait aujourd’hui ne peut être remis à demain». Et il avait indiqué que c’était cela, «le cap que j’entends fixer aux équipes qui m’accompagneront dans ce nouvel élan de réformes transformatives». On peut comprendre que dans ces conditions, aussi fidèle qu’il soit, le Premier ministre Boun Abdallah Dionne, pouvait difficilement apporter du nouveau dans les méthodes de gestion.
On sait que, depuis un certain temps déjà, le chef de l’Etat se désolait de la lenteur de certains de ses projets, ainsi que des lourdeurs de son Administration. Il souhaitait très clairement faire bouger les choses et avait une fois de plus déclaré : «Dans la nouvelle dynamique que je compte imprimer à la conduite des affaires publiques, j’ai la ferme intention d’inscrire toutes les actions de l’Etat en mode fast track. Nous l’avons déjà réussi pour des projets et initiatives majeurs. Il nous faut généraliser ces meilleures pratiques.»
Une fois le canevas tracé, le chef de l’Etat veut suivre ses projets au plus près. Détaché de la préoccupation d’une réélection que la Constitution lui interdit, Macky Sall sait qu’il ne pourra marquer l’Histoire que par ses réalisations et ses réformes. Il va assumer la réalisation des projets qui pour certains, pourraient le rendre impopulaire. Mais Il a dit à des proches que cette fois-ci, il va se «retrousser les manches, mettre le bleu de chauffe et descendre sur le chantier». En d’autres termes, Macky va être le Maître d’ouvrage, le contremaitre et le contrôleur. Pour cela, il va travailler avec une équipe gouvernementale resserrée, et mettra le pied à l’étrier à des compétences immédiatement opérationnelles. Le Président ne mettra pas dans son gouvernement des personnes qui viendraient pour se former à l’exercice du pouvoir.
Avantages de la disparition de la Primature
L’un des bons côtés de la suppression du poste de Premier ministre est, pour le chef de l’Etat, d’éviter de se laisser distraire par le débat sur sa succession. Le Président estime qu’en nommant quelqu’un au 9ème étage du Building administratif, il le présenterait, aux yeux de certains, comme son dauphin désigné, à l’image de Abdou Diouf avec Senghor. Cela serait, pour d’autres ambitieux, un signal pour tenter de l’abattre. Sans compter que ce Pm de son côté, pourrait se sentir pousser des ailes et essayer de placer ses hommes, au lieu de chercher à accomplir sa mission. Dans ces conditions, le chef de l’Etat risquerait de passer une bonne partie de son temps à arbitrer des ambitions au lieu de travailler. D’où cette forte parole qu’il a lâchée devant ses proches : «Il n’y a pas de place pour une compétition politique au sein du gouvernement !»
D’ailleurs, des observateurs soulignent que même le Président Wade, au plus fort de la tension entre le Premier ministre Idrissa Seck et lui, avait envisagé la suppression du poste de Premier ministre. C’était au moment du fameux coup d’Etat rampant, couché, et finalement débout, théorisé dans l’entourage du Président. Le dilemme avait été réglé avec l’emprisonnement de Idy. Mais même son successeur, Macky Sall, n’avait pas connu meilleur sort à la fin.
Gain de temps et d’argent
En évitant tous ces déboires à l’occupant de ce poste, le Président, dans sa volonté de simplifier les procédures, met également fin à de nombreux postes budgétivores, en plus d’être des goulots d’étranglement. Dans la nouvelle articulation, les nombreux services à ce jour attachés à la Primature, rendront directement compte à leur ministre de tutelle. Ce dernier de son côté, soumettra directement au chef de l’Etat. D’où un gain de temps et d’argent bien appréciable, induit par la suppression de nombreux postes.
Quid du dialogue ?
Beaucoup de personnes ont exprimé hier au journal Le Quotidien leur préoccupation quant à la sincérité de l’appel au dialogue lancé par le chef de l’Etat, à la lumière de nouveaux développements. Certains ont même affirmé à ce journal que l’on ne pouvait pas appeler à un dialogue inclusif, et décider de manière abrupte et unilatérale, d’une réforme aussi importante que celle qui touche le fonctionnement de l’Exécutif. Ce à quoi, par avance, le chef de l’Etat avait, en quelque sorte, confié à ses proches, qu’il n’y avait pas d’inquiétudes à se faire. Pour Macky Sall, «le dialogue national devra être ouvert de façon inclusive et transparente, et nous en jugerons les résultats. Si ces derniers induisent un élargissement de l’attelage gouvernemental, cela pourrait se faire à l’issue des résultats des Locales».
En attendant, la voix des urnes a parlé et la Présidentielle aura donné à Macky Sall une légitimité suffisante pour décider et agir.