MACKY, UN HOMME DÉROUTANT
Les reculades observées sur sa non candidature pour 2024, sur la gestion du dossier de Sonko, la levée du blocus du domicile du leader de Pastef, le retrait de l’article 87 retiré dénotent d’une stratégie savamment orchestrée par le président

A quel jeu joue le président de la République ? Il avait promis de donner au plus tard le samedi 15 juillet 2023 le nom du candidat de Benno Bokk Yaakar (BBY) pour la prochaine présidentielle — c’est du moins ce qu’avaient fait comprendre ses services. Hélas, à cette date, Macky Sall, il s’était envolé pour l’Ouganda et le Rwanda où il devait effectuer des visites officielles. A son retour le mercredi 19 juillet, il a continué à garder le silence laissant à Moustapha Niasse le soin d’auditionner les candidats déclarés. Et alors que tout le monde attendait qu’il livre enfin le nom de son dauphin, il a encore repris l’avion ce mardi 25 juillet pour Saint Petersburg où il doit assister au 2e Sommet Russie-Afrique les 27 et 28 juillet en emportant dans ses valises « son secret » sur le nom du candidat de BBY. En outre, les reculades observées sur sa non candidature pour 2024, sur la gestion du dossier de Sonko, la levée du blocus du domicile du leader de Pastef, le retrait de l’article 87 retiré dénotent d’une stratégie savamment orchestrée par le président Macky Sall. Un homme déroutant.
« Depuis qu’il gère ce pays, Macky Sall a montré aux Sénégalais qu’il est un homme froid. Macky Sall n’est pas Abdoulaye Wade qui est très influençable par l’opinion. Dans notre pays, l’opinion est fabriquée. Depuis que j’observe la gouvernance de Macky Sall, il agit rarement sous l’influence de l’opinion. Macky Sall agit en toute sérénité sans jamais afficher l’orientation de son choix. Le président est plus à l’écoute du peuple que des influenceurs supposés ou des médias. S’agissant de la prochaine présidentielle, les candidats supposés posent des actes politiques pensant que cela pourrait influencer la décision du président Macky Sall, c’est légitime, mais ce qui est plus rationnel et plus éthique c’est que ces candidats doivent avoir le courage politique de ne pas attendre la décision du président pour déclarer leur candidature. Ils ne doivent pas attendre que le choix du président se porte sur eux pour obtenir une légitimité politique. De tous ces candidats déclarés quiconque d’entre eux ne sera pas choisi par le président ne peut prétendre à aller au deuxième tour » souligne l’ex-député Babacar Gaye dans une émission du site La Quotidienne. Pour illustrer le fait que le président Macky Sall ne soit pas influençable, il cite le fait qu’il ait pris l’avion le samedi 15 juillet pour un voyage au Rwanda et en Ouganda en demandant au président Moustapha Niasse d’auditer les candidats supposés notamment le Premier ministre Amadou Ba, le président du CESE, Abdoulaye Daouda Diallo, le ministre Aly Ngouille Ndiaye et l’ancien ministre Abdoulaye Diouf Sarr. Malgré la pression, Macky Sall est resté zen. Alors que tout BBY et le pays attendent qu’il annonce son choix, le voilà qui quitte encore le pays pour la Russie jusqu’au 29 juillet. Macky Sall est déroutant. En effet, après avoir déclaré qu’il ne serait pas candidat pour la prochaine présidentielle, il lui revient à la demande de ses partisans de leur choisir un candidat. Mais au vu de la pluralité des ambitions, des guerres de positionnement, des velléités de contestations et de démissions, il est fort probable que son choix ne fera pas l’unanimité. C’est pourquoi, face à cette situation très compliquée, d’aucuns soutiennent que le président Sall pourrait, après s’être rendu compte des risques de voir sa formation politique voler en éclats, renoncer à la désignation de son successeur. Ce dans le souci de préserver les chances du candidat de sa coalition. Dans ce cas, il peut soit organiser des primaires ou laisser libre cours à chaque candidat qui le désire de tenter sa chance.
A la surprise générale, il ne sera pas candidat...
Après sa prise de pouvoir en 2012, le président Macky Sall a, fait voter par référendum une modification constitutionnelle où il est prévu entre autres points la limitation du nombre de mandats à deux. Depuis, il a déclaré à maintes reprises que, s’il était réélu en 2019, il n’aurait plus droit de se représenter. Mais, à la grande surprise de l’opinion, le discours a pris d’autres tournures depuis son fameux «ni oui ni non» déclaré dès sa réélection. Un flou qui a plongé le pays dans un débat juridico-politique passionné entre souteneurs et opposants d’une possible candidature du président Macky Sall et ceux qui sont contre. Le président de la République a prolongé le suspense et refuse de donner une position claire sur la question en évoquant les risques de voir sa coalition et son parti éclater et son gouvernement ne plus travailler s’il se prononçait trop tôt sur cette question. Dans la coalition présidentielle, des voix s’élèvent de plus en plus pour soutenir la possibilité d’un « deuxième quinquennat » qui n’est que l’autre nom d’une troisième candidature ! L’opposition quant à elle se mobilise contre toute violation de la Constitution qui, selon elle, empêche le président Macky Sall de se représenter. Elle maintient la pression et mène un combat politique avec l’appui de la Diaspora et de la société civile. Finalement, le président de la République, contre toute attente, décide de renoncer à une troisième candidature et surprend son entourage alors que l’opposition crie à la victoire et parle de reculade.
L’article 87 finalement retiré...
Dans le souci de préserver la paix, la stabilité du pays et de discuter des questions de l’heure, le chef de l’État invite les forces vives de la nation à un dialogue. Cette invite, lancée le jour de la Korité, est survenue dans un contexte politique très mouvementé marqué par une série de manifestations, d’arrestations et de morts. Une partie de l’opposition accepte sa main tendue alors que l’autre, plus radicale, soupçonne un « deal » et pose des préalables pour y prendre part. Le 22 avril 2023, le dialogue est lancé au palais de la République. Des décisions nécessitant la modification de la Constitution et la réforme du code électoral sont adoptées par consensus. Le chef de l’État les dépose sur la table de l’Assemblée nationale pour leur adoption en procédure d’urgence. Parmi ces réformes envisagées, il était question de la modification de l’article 87 de la Constitution. Une modification qui, si elle était fois votée, donnerait au président de la République la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale à tout moment. Les députés, y compris ceux de la majorité, décident de ne pas faire passer cette loi qui intervient quelques jours après l’annonce de la non candidature du président de la République. Ils ont estimé qu’avec le tout nouveau contexte politique, une telle loi pourrait cacher d’autres intentions. Au finish, le projet de loi est tout bonnement retiré du circuit et ne sera donc pas voté contrairement au vœu du chef de l’État. Sonko interpellé mis sous contrôle judiciaire… Ce 24 juillet, Sonko et sa famille ont retrouvé la liberté d’aller et de venir. Après les avoir assignés à résidence et barricadé leur quartier avec un important dispositif policier pendant près de 60 jours, l’Etat a reculé. Deux ans plus tôt, le 3 mars 2021, le leader de Pastef, Ousmane Sonko, est convoqué par la justice. Il est accusé de viol et menaces de mort par l’employée d’un salon de beauté, Adji Sarr. Ses militants se révoltent et dénoncent une tentative de liquidation politique du pouvoir incarné par le président Macky Sall. En se rendant au tribunal, l’opposant a vu son cortège arrêté en cours de route par les forces de l’ordre. Des heurts entre les pro-Sonko, qui exigent sa libération, et les forces de l’ordre éclatent. Des émeutes éclatent à Dakar, sa banlieue et dans de grandes villes du pays, particulièrement dans les régions Sud. Des pillages et saccages à grande échelle sont commis durant trois jours. Cette situation se poursuit durant au moins trois jours et s’intensifie de plus en plus. Face à la détermination des militants de ne point reculer tant que leur leader ne serait pas libéré, les craintes d’un chaos planent dans les esprits. Le bilan établi à la date du 8 mars fait état de 13 morts chez les manifestants. Face à la pression de la rue, le pouvoir décide finalement de libérer Ousmane Sonko et de le mettre sous contrôle judiciaire. Le président de la République prend la parole pour appeler au calme et à la sérénité dans un discours à la nation. En même temps, il annonce le lancement d’un programme « Xëyu Ndaw ñi » d’un montant de 450 milliards de francs sur trois ans destiné à donner des emplois à plus de 60.000 jeunes
Levée du blocus de chez Sonko, une énième reculade de l’Etat…
Deux ans après les manifestations de mars 2021, le procès de l’affaire dite « Sweet beauty » s’est ouvert à Dakar. Ousmane Sonko décide de ne plus déférer à la convocation du juge tant que sa sécurité pour se rendre au tribunal n’est pas garantie. Il opte alors pour la désobéissance civile et se retire à Ziguinchor, ville dont il est maire. Ses militants, pour le défendre, forment des barricades dans les artères qui mènent à son domicile. Tout le monde se demande si Ousmane Sonko sera cueilli de force par la police ou la gendarmerie pour le livrer au juge, le jour du procès prévu le 2 juin 2023. Finalement, le procès se tient sans la présence du leader de Pastef qui est finalement condamné par contumace à deux ans de prison ferme. Une peine qui entraîne l’inéligibité de Sonko à la prochaine présidentielle de 2024. Du moins, elle ne fait que confirmer cette inéligibité puisque, condamné quelques semaines plutôt à six mois de prison ferme par la cour d’appel de Dakar pour « diffamation » sur le ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang, le leader de Pastef était déjà inéligible même s’il avait encore la possibilité de se pourvoir en cassation. Après quelques jours passés à Ziguinchor sous la protection de ses militants locaux, l’opposant arrivé troisième à la dernière présidentielle décide de retourner dans la capitale, Dakar. Au beau milieu de sa «caravane de la liberté», il sera arrêté par les éléments de la Bip et du Gign qui l’ont conduit de force à son domicile de la cité Keur Gorgui. Depuis près de 55 jours, il y était assigné à résidence par un important dispositif policier. Finalement, ce blocus policier tant décrié et condamné par les organisations des droits de l’homme et même par certains partenaires du Sénégal a été levé, hier à la grande surprise de l’opinion. Enième reculade de l’Etat ou geste de bonne volonté fait dans le but de favoriser des négociations souterraines ? L’avenir nous le dira…