WADE, UN PHÉNIX POLITIQUE
Malgré la perte du pouvoir par son parti le PDS et ses 96 ans, l’ancien président de la République n’a pas signé sa retraite politique. Analyses croisées des politologues Mamadou Sy Albert, Bacary Domingo Mané et Ibou Sané sur l'influence du Pape du Sopi
L’ancien président de la République du Sénégal, Me Abdoulaye Wade, n’a pas encore signé sa retraite politique. Dix ans après la perte du pouvoir, il est toujours au devant de la scène politique. Ce, pour accompagner et remobiliser ses troupes pour de grands rendez-vous électoraux. Le Parti démocratique sénégalais (Pds), à la croisée des chemins après de nombreux départs enregistrés dans ses rangs, profite de la longévité et de l’image de son secrétaire général pour résister dans l’arène politique et espérer la reconquête du pouvoir. Aujourd’hui, un pan de la famille libérale ne jure que sur Wade-fils (Karim) condamné par la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CREI) avant d’être exilé à Doha (Qatar), pour revenir au pouvoir. Les analystes politiques, Mamadou Sy Albert, le journaliste politologue Bacary Domingo Mané et Professeur Ibou Sané de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar expliquent l’influence du Pape du Sopi.
Me Abdoulaye ne cache pas publiquement son amour pour son fils Karim Wade. Son rêve est de le voir prendre les destinées de son parti Pds et accéder au pouvoir. Ce, malgré son inéligibilité ! A ses militants et responsables de parti, le Pape du Sopi a fait savoir à qui veut l’entendre que son successeur ne saurait être personne d’autre que son fils Karim Wade. Absent de la présidentielle de 2019 du fait de son inéligibilité, le Pds a vécu tranquillement sa descente aux enfers. Et lors des élections locales du 23 janvier 2022, le Pds et ses alliés de Wallu Sénégal se sont retrouvés dans le lot des mal classés ou « jamais-gagnants ». Il a fallu attendre les législatives 2022 pour qu’ils forment avec Yewwi Askan Wi une inter-coalition sous l’entité, Yewwi- Wallu. Une alliance qui a porté ses fruits et remis le Pds sur l’échiquier politique. Le parti de Me Abdoulaye Wade a obtenu 24 sièges et commence à se repositionner dans l’arène politique. Hélas, Me Abdoulaye Wade reste la seule constance dans ce parti. Et sans lui, ce serait le déluge.
Un chef de navire infatigable !
L’ancien président, Me Abdoulaye Wade, garde une certaine influence dans son parti, le Pds, la famille libérale de même que sur l’opposition. Cette durée de vie politique s’explique, selon Mamadou Sy Albert, du fait qu’il est un grand leader politique qui s’est opposé pendant 40 ans contre le régime socialiste. « Il a régné 12 ans au pouvoir. Donc, le président Wade a marqué le champ politique pendant plus de 50 ans. C’est très normal, qu’après sa défaite en 2012, il est resté Secrétaire général de son parti. Le Pds c’est lui, l’opposition, à la limite, c’est lui qui l’incarne historiquement au Sénégal. Je crois que c’est tout cela qui fait que Wade garde encore son influence dans son parti. Il n’a pas encore un remplaçant à la tête du Parti démocratique sénégalais (Pds). Il a formé et accompagné ses militants pendant des décennies. Et, encore actuellement, c’est la tête pensante de Pds », analyse Mamadou Sy Albert qui précise que sur le plan politique, physiquement Wade n’a plus les capacités qu’il avait avant. Cela n’entrave en rien son influence en politique et sur le parti. A l’en croire, le retour du Président Wade a beaucoup contribué sur les résultats obtenus par le Pds lors des législatives. « Lors des législatives antérieures, c’est lui qui a aidé le Pds à avoir un groupe parlementaire. Aujourd’hui, on parle de recomposition de la classe politique, du renouvellement du Pds, c’est encore le Président Wade qui est derrière ce processus de renouvellement des instances pour la reconquête du pouvoir. Sur les discussions au niveau de la famille politique, même sur l’unité de l’opposition sénégalaise à travers l’inter-coalition Yewwi-Wallu, Wade reste encore le maitre à penser du Pds. Il a encore ses capacités intellectuelles, son expérience. Ce sont des raisons qui montrent qu’il reste un homme influent sur le plan politique », a dit Mamadou Sy Albert.
MAMADOU SY ALBERT : « Pourquoi le président Abdoulaye Wade est resté dans le cœur des Sénégalais, 10 ans après »
Certains Sénégalais ont regretté le départ de Me Wade du pouvoir. « Même les gens qui ont soutenu le président Macky Sall, beaucoup d’entre eux regrettent de l’avoir porté au pouvoir », souligne le politologue Mamadou Sy Albert qui soutient que le bilan de l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, n’a pas été si négatif. Ce qui expliquerait, selon lui, pourquoi 1O ans après, il est resté encore dans le cœur des Sénégalais. « Malgré la perte du pouvoir, il dispose toujours d’un électorat. Il y a aussi l’échec de la deuxième alternance. Le pouvoir qui perd des Locales, les Législatives, qui retourne le Sénégal à la question du troisième mandat. Ça joue en faveur de Wade. Le Pds est en train d’exploiter son ossature. C’est Abdoulaye Wade qui risque d’être la clé pour anticiper le départ de Macky Sall du pouvoir. C’est une situation très paradoxale qui explique qu’Abdoulaye Wade a des capacités d’influence, des capacités intellectuelles à trouver des solutions à des problèmes difficiles. C’est l’un des leaders les plus panafricanistes du Sénégal. Gorgui est également une grande figure de l’Afrique et du monde. Tout cela participe à préserver son image de grand leader. Les Sénégalais gardent toujours quelque chose de positif chez l’ancien président Wade » conclut Mamadou Sy Albert.
BACARY DOMINGO MANE : « Il y a un concours de circonstances qui fait que Me Wade est resté Sg du PDS »
Pour Bacary Domingo Mané, le fait que l’ancien président, Me Wade, après avoir perdu le pouvoir, soit toujours dans la scène politique ne doit étonner personne. L’analyste tente d’expliquer les raisons par deux faits. D’abord, en étant un opposant historique avec un parcours de 26 ans tout en restant patient jusqu’à ce que Dieu lui donne la chance d’arriver au pouvoir. « Je pense que vis-à-vis du peuple sénégalais, évidemment, il ne doit plus rien à maitre Abdoulaye Wade. C’est normal qu’il soit toujours de la scène de l’actualité. C’est un ancien président de la République. Quoi que l’on dise, son image de marque est toujours là. Il intéresse les médias à double titre. En tant qu’opposant historique et en tant qu’aussi ancien président de la République. C’est pourquoi il est au-devant de la scène. Le Pds a eu l’intelligence avec l’ingénierie politique qui a consisté à mettre en place une inter-coalition. Le parti a tiré les dividendes de cette opération. L’un dans l’autre, il y a un concours de circonstances qui fait évidemment que Me Wade est resté Secrétaire général du Parti démocratique sénégalais. Même si d’aucuns pensent que le vrai successeur, c’est son fils Karim Wade. Mais c’est Me Abdoulaye Wade qui signe les papiers officiels. C’est autant de raisons qui expliquent qu’il soit toujours présent au-devant de la scène politique », précise Bacary Domingo Mané.
Le prix d’un héritier !
Pour Pr Ibou Sané, enseignant à la Faculté des sciences juridiques et politiques à l’université Cheikh Anta Diop, sans Abdoulaye Wade, le Pds ne représente rien. La preuve, argumente-il, le Président Wade se bat depuis quelques années pour son fils. A l’en croire, le jour où Karim Wade arrivera à lui succéder, Me Wade se désengagera progressivement du parti. « Tout est un défi dans le parti. On allait même jusqu’à les taquiner en disant que même les chaises, c’est Me Wade. C’est pour montrer à quel point l’homme est puissant, à quel point l’homme est omniprésent, à quel point le parti lui tenait à cœur. Maintenant qu’il veut sortir par la grande porte, il veut que cela soit son fils qui l’accompagne dans ce mouvement-là. Donc, il n’est pas question qu’il laisse le parti à quelqu’un d’autre. Alors que l’idée aurait été, dans les jeux démocratiques, que le Pds choisisse lui-même le successeur du président Wade », note le politologue, Ibou Sané. Selon qui, l’ancien président ne se reposera jamais tant qu’il n’a pas encore réglé le problème de son fils. « Il n’y a que l’amnistie qui peut régler en partie le problème de son fils. Ce qui est un grand combat entre Macky Sall et lui. Je pense que le Président Macky Sall n’est pas prêt à céder comme ça. C’est la justice qui a condamné son fils. A moins qu’il trouve un compromis au point que Macky Sall puisse signer l’amnistie. Ça m’étonnerait. Vous n’allez pas scier la branche sur laquelle vous êtes assis. Parce qu’amnistier Karim Wade et Khalifa Sall, c’est pour Macky Sall dire au revoir au pouvoir. Le Président Sall n’est pas aussi nul au point qu’il soit amené à signer aveuglement une amnistie sans compromis », précise-t-il.
Le Pds apprendra du Pds pour rebondir, selon Pr Ibou Sané de l’Ucad !
Selon le chercheur Pr Ibou Sané, il sera très difficile pour le Parti démocratie sénégalais d’aller à la conquête du pouvoir en étant seul. D’après lui, ce n’est pas que Karim Wade soit le fils de l’ancien président, qu’il pourra gagner une élection. Il soutient que Karim a encore du chemin à faire. Karim Wade ne connait pas le Sénégal en profondeur. Le vote est rural mais pas urbain « le Pds et le Ps ne gagneraient pas sitôt. S’ils partent seuls, ils ne gagneront pas à une élection de sitôt. Les Sénégalais ont besoin du changement. Quand vous perdez le pouvoir, si vous partez seul, vous resterez longtemps sur la touche. Voilà pourquoi ils ont compris qu’il faut revenir. Et pour revenir, il faut rebondir dans le pouvoir par le jeu des coalitions et des alliances. Actuellement, un seul parti ne peut gouverner le Sénégal. Ils n y a que les coalitions et les alliances qui peuvent gouverner le Sénégal. Le Ps l’a compris très tôt. Depuis 2012, le Parti socialiste s’est agrippé à l’Apr dans le Benno » indique Ibou Sané.
L’analyste ne voit pas une durée de vie de la coalition Yewwi Askan Wi encore moins celle de l’inter-coalition Yewwi-Wallu. Déjà, des querelles d’ambition commencent à se manifester notamment les candidatures déclarées à la prochaine présidentielle d’Ousmane Sonko, Malick Gackou et autres. « Yewwi Askan Wi est une coalition d’intérêt égoïste. La preuve, vous allez vous en rendre compte. Dans quelques mois, ils vont se déchirer. Ils ont déjà commencé avec le Pastef qui a annoncé les couleurs. Ils ont un candidat à la prochaine présidentielle, Ousmane Sonko. Barthélemy Dias n’a pas encore dit son mot, mais Taxawu aura un candidat. Tant qu’ils disent tous 2024, ils vont se déchirer. La coalition risque d’éclater. Benno Bokk Yaakar a fait dix ans. Ils ont des valeurs communes. C’est pourquoi cette coalition existe encore. Alors que de l’autre côté, ils ne partent de rien », compare Pr Ibou Sané, enseignant chercheur à la faculté des Sciences juridiques et politiques, (Fspj) de l’Université Cheikh Anta Diop, (Ucad).