MOI PREMIER MINISTRE ?
Aminata Touré dresse le profil du Premier ministre qu’il faut au chef de l’Etat. L'envoyée spéciale du président Macky Sall, revient aussi sur les résultats de Benno aux dernières locales et se projette sur les législatives
Dans cet entretien avec L’Observateur, l’ancienne présidente du Conseil économique social et environnemental (Cese) dresse le profil de Premier ministre qu’il faut au chef de l’Etat. Aminata Touré, envoyée spéciale du Président Macky Sall, revient aussi sur les résultats de Benno bokk yakaar (Bby) aux dernières élections locales et se projette sur les Législatives du 31 juillet 2022.
Mme la présidente, le chef de l’Etat a annoncé un remaniement, remercié les ministres et demandé à ce qu’ils préparent les dossiers de passation de service. Mais, le temps passe. Vous avez été ministre et Premier ministre, comment en général les membres du gouvernement vivent ces moments d’incertitudes ?
Le président de la République a son agenda et ses collaborateurs s’y ajustent. Il y a une vie après le gouvernement, vous savez, puisque nous avions tous des occupations avant de devenir ministres et autres. J’encourage les ministres à relativiser et leurs entourages doivent les y aider. Il n’y a aucune honte à quitter une fonction, il faut le voir comme une page qui se ferme et une autre qui s’ouvre. Le plus important, c’est la prise en charge des affaires publiques du moment et de ce point de vue, le travail s’accomplit avec des résultats appréciables dans la période. La crise dans le secteur de l’éducation est en passe de trouver une issue heureuse. Il faut s’en féliciter, car l’éducation est vitale pour le développement de notre pays. L’Etat du Sénégal a fait beaucoup d’efforts en cette période post-Covid où les recettes n’ont pas atteint leur niveau optimal, les syndicats d’enseignants ont aussi fait preuve de responsabilité. C’est mon grand souhait que ces accords soient le garant d’une stabilité durable dans le secteur de l’éducation. Les pays se développent grâce à la qualité de leurs ressources humaines et les enseignants qui ont en charge de l’éducation et la formation de nos ressources humaines d’aujourd’hui et de demain sont des acteurs essentiels. Je les exhorte à privilégier le dialogue constructif permanent avec l’Etat en vue d’en finir avec les crises récurrentes. L’autre motif de satisfaction dans la période, c’est la baisse des prix des denrées de première nécessité qu’il faut aussi saluer, car l’inflation est actuellement mondiale. La pandémie de Covid-19 a entraîné un ralentissement des chaînes de production et d’approvisionnement et la conséquence directe c’est la hausse généralisée des prix au niveau mondial. Le président Macky Sall a pris la juste mesure de l’impact de l’inflation sur la vie des ménages, notamment les plus vulnérables, et a procédé à une subvention exceptionnelle des denrées de première nécessité. C’est une mesure importante qui, à mon avis, n’a pas été suffisamment mise en exergue par les médias, alors qu’elle touche l’ensemble de nos compatriotes.
Le président Sall est connu pour son pragmatisme, qu’est-ce qui peut expliquer ce retard à l’allumage ?
Il est difficile de se mettre dans la tête d’un Président pour deviner ce qu’il pense ou ce qu’il compte faire. Il n’y a pas de délai prescrit par la loi l’obligeant à nommer un Premier ministre et faire un remaniement dans un délai imposé. On ne peut pas lui reprocher de prendre le temps de peaufiner ses choix. La question qu’il faut aussi se poser c’est que le prochain Premier ministre, s’il était nommé maintenant, ferait sa déclaration de politique générale devant une Assemblée nationale qui n’aura plus que 4 mois d’existence, si on retranche la période de campagne électorale. Ne faudrait-il pas attendre qu’une majorité parlementaire se dégage d’abord ? Ce sont des questions qui peuvent se discuter. En tout état de cause, ce sont les prérogatives constitutionnelles du président que d’aller dans le sens d’une nomination immédiate du Pm ou de choisir de le nommer après les législatives.
C’est comme vous êtes pour que le président Sall attende jusqu’après les Législatives pour nommer un Premier ministre ?
Toutes ces options sont possibles et je pense que le Président les étudie soigneusement. Comme j’ai dit, le travail gouvernemental se mène néanmoins et il y a des résultats satisfaisants qui sont à constater sur le plan de la reprise des cours et la réduction du prix des denrées de première nécessité par exemple. Ce qui prouve que le gouvernement n’est ni en préavis de licenciement ni en chômage technique. Parlant des élections locales, nous avons eu quelques déceptions dont la capitale. C’est vrai. Mais nous avons remporté l’écrasante majorité des communes et nous avons eu et de loin plus de voix que toute l’opposition réunie. Franchement, je ne vois pas quel autre critère utiliser pour démontrer que nous avons largement gagné les dernières élections. L’opposition ne conteste pas d’ailleurs ce fait clairement établi. Mais nous allons avec humilité et froideur tirer toutes les conséquences de ce scrutin pour réajuster nos stratégies là où cela n’a pas marché. En rappelant quand même qu’en démocratie, il est impossible de tout gagner partout. Nos camarades qui se sont battus, mais qui n’ont pas gagné n’ont pas démérité, mais vox populi, vox déi. Il faudra remettre le cœur à l’ouvrage et renforcer notre unité. Souvent nous avons perdu parce que nous étions divisés donc nous devons sérieusement travailler à renforcer l’unité de nos rangs.
Le contexte politique est chargé, quel est le meilleur profil pour le Premier ministre à la lecture des résultats des Locales et à l’entame des législatives ?
Le Premier ministre, c’est le premier collaborateur du président. C’est donc à lui de se choisir le profil avec lequel il est le plus confortable. C’est un poste à exigences multiples en tout cas, exigences intellectuelles, managériales, capacités de négociation, entres autres aptitudes.
Est-ce qu’on peut s’attendre à un retour de Aminata Touré à la Primature ?
Que voulez-vous que je réponde à votre question? Comme je l’ai dit, c’est le président qui se choisit le collaborateur qui lui convient.
Quelle équipe faut-il au président ?
Une équipe engagée techniquement et politiquement. Je ne crois absolument pas à cette différence que les médias aiment faire entre technocrates et politiques. Nous sommes engagés en politique et l’écrasante majorité d’entre nous sommes des diplômés des universités et avons exercé des carrières diverses avant 2012. L’essentiel c’est d’être compétent et engagé, de défendre l’action du gouvernement, de prendre des initiatives qui vont dans le sens de régler les questions et problèmes qui se posent à nos compatriotes. Une fois qu’on est dans un gouvernement, on est de fait engagé en politique, ne serait-ce que pour faire comprendre aux citoyens ce que vous faites dans votre ministère en allant aussi sur le terrain recueillir les avis des acteurs et ajuster en permanence les actions. C’est essentiel en ces moments de manipulations de toutes sortes. Je dois dire que notre communication gouvernementale n’a pas tout à fait réussi à être à la hauteur des réalisations qui ont été énormes depuis 2012. Le Sénégal a véritablement changé de visage depuis lors.
On vous entend souvent sur les questions internationales et vous avez suivi la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Quels enseignements tirez-vous de ce conflit?
Il faut que les bombardements qui tuent des civils innocents cessent immédiatement ! Ces femmes, enfants et hommes qui meurent dans ces bombardements n’ont rien à voir avec la géopolitique à l’origine de ce conflit. L’Onu doit tout faire pour faciliter des négociations en vue d’arrêter les combats et sauver des vies innocentes. Ce n’est dans l’intérêt de personne que cette guerre continue. Après plus de deux années de Covid, l’humanité a d’autres problèmes à régler que d’aller en guerre, quels que soient les enjeux géostratégiques.
Est-ce que la différence des profils entre les deux chefs d’Etat n’a pas attisé la tension ?
Essayons d’abord de comprendre ce contexte complexe et très loin de nous. Les tensions à caractère ethnique sont très anciennes au sein de l’Ukraine avec la cohabitation pas toujours pacifique entre l’ouest largement catholique avec une dominance de la langue ukrainienne et l’est du pays largement orthodoxe de confession et russophone.
Les historiens spécialistes de cette partie du monde nous disent que l’histoire russe a commencé en Kievan-Rus et la religion orthodoxe russe est partie de là-bas pour s’étendre dans le reste du vaste empire des Tsars. L’Ukraine a appartenu à la Russie pendant des siècles. L’Ukraine, en tant que pays, n'existe que depuis 1991. Tout ça pour dire que les tensions sont anciennes et complexes. S’y ajoute le fait que l’Ukraine est le pays-tampon entre la Russie et le bloc occidental de l’Otan et fait l’objet de pressions des deux côtés.
Mais, je le répète, les citoyens ukrainiens ont le droit de vivre dans la paix et les bombardements et actions militaires de la Russie doivent cesser immédiatement. Ce n’est d’ailleurs pas, à mon avis, dans l’intérêt de la Russie de se mettre au ban de la communauté internationale. C’est maintenant, à l’Onu de démontrer son utilité en mettant en branle tout son arsenal diplomatique pour arrêter cette guerre.
Quelle lecture devrait-on avoir suite au profil (comédien) du Président ukrainien ?
Les peuples se choisissent librement leur leader, c’est ça la promesse démocratique, n’est-ce pas ? Mais, il faut aussi dire très clairement que diriger un pays nécessite des aptitudes et qualités affirmées. Il est facile d’être “jusqu’au boutiste”, d’être dans le “dégagisme” tout azimut, mais diriger c’est aussi comprendre les enjeux géopolitiques, les rapports de force et compromis à faire, les promesses impossibles. L’Ukraine ne faisant pas partie de l’Otan, elle n’est pas sous son parapluie militaire et sa position géographique lui imposait un jeu d’équilibre et de recherche de compromis avec son puissant voisin russe. Mais soyons clair, cela n’excuse ni ne justifie une seule seconde les attaques et bombardements russes qui tuent les civils innocents. C’est aussi des leçons pour nous, la préservation de nos pays, de nos intérêts vitaux nécessite que nous nous choisissons des dirigeants capables et expérimentés. Pour ce faire, il faut que nos peuples soient bien informés des projets et aptitudes de ceux qui veulent les diriger. Pour le Sénégal, il faut que les débats publics soient une condition obligatoire de participation inscrite dans le Code électoral. Ainsi les électeurs feront de meilleurs choix informés et moins émotionnels.
Vous avez suivi les prolongations des Locales à Guédiawaye avec le blocage de l’élection du bureau. Quelle analyse en faites-vous ?
Pour moi, cette élection municipale est derrière nous, les populations ont choisi, que le bureau municipal soit installé et qu’il fonctionne pour s’occuper des Guédiawayois. Nos camarades de l’Apr et de Benno bokk yakaar se retrousseront les manches pour aller à la rencontre des populations en vue de gagner les élections législatives à venir, InchAllah. Ils en ont les capacités et cette victoire est à leur portée, s’ils mettent toutes leurs forces ensemble car le bilan de notre majorité y est très visible.
Le front social bout avec la grève des enseignants et les menaces des agents de santé ? Comment vous l’expliquez ?
C’est vieux comme le Sénégal, à l’approche d’élections nationales, les fronts revendicatifs se réchauffent. Ils se disent que l’Etat veut absolument la paix sociale et va céder. C’est une tactique syndicale ancienne. La grève des enseignants est en passe d’être réglée et j’exhorte les deux syndicats (Cusems et Saemss) restants à rejoindre le consensus avec les cinq autres. Pour le secteur de la santé, j’espère que la responsabilité prévaudra, car là, il s’agit de questions de vie ou de mort.
In fine, il faudra trouver les moyens d’instaurer une relation apaisée durable entre syndicats et Etat dans le souci de la stabilité sociale à l’image du syndicalisme allemand car en dernière instance, il s’agit de collectivement œuvrer pour le bien-être des populations, parmi lesquelles les 175 000 fonctionnaires certes, mais aussi les autres 17 millions de Sénégalais qui ont aussi droit aux prestations de l’Etat comme citoyens à part entière.
On ne peut terminer cet entretien sans évoquer une question qui agite l’actualité, celle de l’homosexualité que pourfend And Samm Jikko Yi. Quel est votre avis là-dessus ?
Il n’y a aucune raison objective pour que cette question fasse polémique. Le Code pénal est très clair, la position du président Macky Sall est on ne peut plus claire. L’homosexualité est déjà bannie par la loi sénégalaise, par nos religions chrétienne et musulmane, par toutes les cultures du pays. C’est clair et c’est net. Si on veut en faire une question politicienne pour aller à des élections, ça c’est autre chose. Notre majorité qui compte aussi de nombreux religieux va aller à la rencontre de toutes les familles religieuses pour réaffirmer ce que le président Macky Sall a déjà dit urbi et orbi devant les grands de ce monde : l’homosexualité est interdite et punie sévèrement par les lois du Sénégal et il continuera à en être ainsi. Comme on parle de «Jikko» et de valeurs, il ne faut pas faire dire à notre majorité ce qu’elle n’a jamais dit ni l’accuser de ce qu’elle n’a jamais fait. C’est aussi banni par la religion que d’accuser sciemment à tort son prochain. Nous sommes tous d’honorables pères et mères de famille qui tenons à la bonne moralité de nos enfants.