MOUSTAPHA NIASSE QUITTE LA SCENE POLITIQUE
Moustapha Niasse prend congé du monde politique. Il quitte la scène après l’avoir occupée près de 60 ans. De fait se clôt un long cycle d’activités débordantes. Sacrée trajectoire de vie pour ce remuant homme passé par toutes les cages
Moustapha Niasse prend congé du monde politique. Il quitte la scène après l’avoir occupée près de 60 ans. De fait se clôt un long cycle d’activités débordantes. Sacrée trajectoire de vie pour ce remuant homme passé par toutes les cages dont chacune constitue une séquence, une tranche, un moment, une halte.
Très tôt, il a tâté la politique et y a pris goût pour ne jamais lâcher. Il apprend vite. Et assimile très vite aussi. Il inspire confiance par sa droiture et sa fidélité, qualités qui lui valent de l’inimitié et la méfiance pour des raisons inverses. Son amour de la politique se transforme en passion tant sont ancrées ses convictions rattachées à l’imposante figure de Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal.
Le natif de Keur Madiabel éprouve une admiration sans borne pour l’enfant prodige de Joal. Lequel par tempérament brode les rapports entre hommes venus de divers horizons. Par sa tempérance, le président-poète diffuse la modération, synonyme de sobriété pour les jeunes qui l’entourent. Mais par le brio de son esprit et sa puissance d’analyse, il agrège des volontés en quête de voie.
Senghor assume un leadership désincarné auquel adhèrent les couches populaires séduites par son extraction rurale. Moustapha Niasse a baigné dans cette ambiance avant d’être repéré par le Maître des lieux comme une « promesse d’avenir ». Il est de tous les combats : dans les instances de base, à l’université, à l’école du Parti, dans les assemblées, avant d’atterrir au cabinet du Président Senghor.
L’itinéraire séduit plus d’un. En même temps, il suscite des envies qui se muent en jalousie et deviennent plus tard de repoussantes adversités. Sa posture dans l’espace présidentiel lui fait découvrir les hommes et les situations. Le Sénégal en miniature défile sous ses yeux ébaubis par la démarche de clarté de son mentor face aux urgences, en toutes circonstances.
Niasse maîtrise le discours, privilégie la logique opérante dans la prise de décision sans toutefois occulter la justice et la justesse. Il est à l’aise dans le débat contradictoire. Auprès du Président Senghor, le Directeur de cabinet enrichit son répertoire politique qu’il ordonne et entretient. L’ombre de la méthode et de l’organisation plane au-dessus du Palais, centre névralgique du pouvoir.
Puis jaillissent la lumière et l’éclat quand il devient ministre. Son carnet d’adresse s’étoffe, surtout sur l’international qu’il connaissait déjà grâce ses fonctions occupées au sein du Parti Socialiste, dans la division des relations internationales. Quand le Président se retire en 1981, il confie le pouvoir vacant à Abdou Diouf qui détient désormais les clés de l’Etat. Un tournant…
Le successeur de Senghor veut imprimer sa touche personnelle à l’appareil. Il s’appuie sur des hommes accommodants tout en écartant d’autres moins compatibles. Niasse est du lot et dans le viseur. Un mois après avoir été promu Premier Ministre, il se voit chargé de défendre à l’Assemblée nationale un projet de loi préconisant la suppression de son propre poste. Ses mésaventures s’accumulent. S’ouvre l’ère d’une fâcheuse traversée du désert. Grâce à sa mère, un soutien indéfectible, il tient le coup et esquive les brutalités qui s’amoncellent son sinueux chemin. Niasse se reconvertit dans le privé et prospère.
Il plie sans rompre. Le silence qu’il observe étonne son entourage et le landerneau politique si friand de canardage. Il découvre les facéties de l’échiquier politique qu’il appréhendait déjà au sommet de l’Etat. Très peu de fidélité mais beaucoup de trahisons. En garde-t-il des souvenirs ou une haine tenace ? Sûrement pas.
En prenant le large au lendemain du Congrès sans débat de 1989, il s’écarte de la « maison du père » et se fraye un chemin avec ses amis. L’âpreté du combat politique n’est pas une nouveauté mais l’exacerbation et les emportements s’emparent d’une partie de la classe politique au détriment d’un climat de détente, de contradiction et de dépassement.
Bien qu’affligé de tourments, il a su préserver ses amitiés malgré les tourmentes politiques. Sur le temps long sa figure se recompose en épousant la nouvelle conjoncture sans éluder les lignes de fractures qui sont réelles. Son rapprochement avec Abdoulaye Wade et la défaite en 2000 de Abdou Diouf ressemble à une revanche qu’il s’interdit de prendre. Après tout, la politique a un fond de vertu résiduelle.
Sa place au sein de la classe politique s’épaissit avec la campagne victorieuse de Macky Sall à la présidentielle de 2012. Depuis, il trône dans les hautes sphères, gardant le silence et se mettant en retrait pour laisser le président Macky briller sous les lambris.
La sagesse l’a très tôt habité et elle lui va comme un gant. Son regard perçant exprime une détermination qui vogue avec l’âge de ses vertèbres. Ainsi sonne l’heure du retrait et de la retraite pour cet homme nuancé qui a mené des batailles homériques : sommet des non-alignés, francophonie, unité africaine, sans compter la diplomatie des petits pas avec comme alter ego… un certain Abdelaziz Bouteflika, devenu plus tard Président de la République d’Algérie.