LA PAIX SELON ROBERT
EXCLUSIF "LE QUOTIDIEN" - Suite de l'entretien avec le leader du Rsd/Tds
Il est difficile d’amener l’ancien maire de Ziguinchor, Robert Sagna, à se prononcer sur la gestion de son successeur, Abdoulaye Baldé. Mais avant de descendre des Marches du Quotidien, Robert Sagna a tenu à évoquer la recherche de la paix en Casamance qui lui tient à cœur. Ce qui l’a poussé à exposer les actions que le Groupe de réflexion pour la paix en Casamance mène au Sud du pays pour aider à y obtenir une paix définitive. Il a aussi exprimé son souhait de voir les responsables du Mfdc se retrouver pour aller en rang serré aux négociations avec l’Etat. Invitant la Suneor à acheter l’arachide «au prix coûtant» devant des «Chinois qui encouragent la production», l’ancien ministre socialiste de l’Agriculture revient, dans cette seconde partie de l’entretien, sur les évolutions notées dans le secteur primaire et estime que l’atteinte de l’autosuffisance en riz à laquelle aspire le régime du Président Macky Sall est impossible en 2017.
A Ziguinchor, votre successeur Abdoulaye Baldé est acculé par ses adversaires de l’Apr, Doudou Ka, Benoît Sambou et compagnie. Pensez-vous qu’il va dans la bonne direction et que les Ziguinchorois vivaient mieux sous votre règne que sous le sien ?
Je ne veux pas être prétentieux. C’est vous qui devez apprécier.
Mais vous, en tant que son prédécesseur, vous pouvez... (il coupe)
Mais, je ne peux pas... Nos amis, les wolofs disent que «sabou dou foot bopam» (on ne peut pas soi-même vanter ses mérites). Donc, ce n’est pas moi qui vais vous dire que quand j’étais en poste c’était bien et que lorsque Abdoulaye Baldé est venu, c’est moins bien. C’est vous qui appréciez, vous qui êtes sur place, qui voyez les choses, qui pouvez faire la comparaison entre mon règne et celui actuel de Abdoulaye Baldé. Toi, tu vas souvent à Ziguinchor, tu y vis les réalités, tu peux comparer.
Mais Robert Sagna pris intuitu personae peut avoir une posture d’arbitre pour apprécier les tiraillements entre l’Apr et l’actuel maire...
Non, moi je constate qu’il y a des opposants au régime en place. Abdoulaye Baldé a son parti, c’est une compétition politique. Et, nous Rsd/Tds, nous sommes là-bas, plusieurs partis y sont. Il y en a qui sont dans la coalition globale Benno bokk yaakaar, il y en a qui n’y sont pas. Comme la vie nationale, les partis qui sont là-bas chacun se bat pour occuper le terrain. Mais je ne peux pas vous dire aujourd’hui qui va remporter demain la mise ; il faut y aller.
Comment expliquez-vous la victoire de Baldé en 2014 ?
Ça s’explique simplement par le fait qu’au moment du vote les Ziguinchorois ont choisi Baldé.
Mais on peut se demander pourquoi ce choix ?
C’est parce qu’ils pensent qu’il peut faire mieux ou parce qu’ils fondent un espoir sur beaucoup d’attentes. C’est comme ça la vie. Vous vous demandez comment Macky Sall a-t-il pu obtenir 65% des suffrages à dernière Présidentielle. C’est l’espoir, les gens vivent d’espoir.
On peut dire aussi que c’est grâce à son bilan aussi...
Oui, ça peut être son bilan. Ce sont les gens qui apprécient. On est en démocratie. Si Macky Sall est réélu aux prochaines élections, son bilan fait partie des éléments pour lesquels les gens vont le choisir. Ça, c’est la vie politique.
Vous êtes «Monsieur Casamance» du Président Sall, ce que vous ne voulez pas entendre d’ailleurs...
Voilà un terme que je n’aime pas beaucoup, toi tu es au courant, parce que le terme est chargé. Je suis effectivement responsabilisé pour aider à trouver une solution à la paix en Casamance, mais je ne veux pas qu’on m’appelle «Monsieur Casamance». Il est chargé, parce qu’on l’assimile à de l’argent, à l’accumulation de caisses d’argent pour aller essayer de régler le problème.
Vous faites allusion à Farba Senghor ?
Je pense à ceux-là, «les porteurs de valises». Vous en citez un, il n’est peut-être pas le seul. Je ne veux pas, tout en étant chargé par le Président d’aider à trouver une solution à la crise casamançaise, qu’on utilise ce terme qui me dérange.
Qu’est-ce qui vous plairait comme titre ?
Facilitateur.
Facilitateur, c’est entre deux parties ?
Oui, je facilite entre le Mfdc, le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance et l’autre partie qui est le Gouvernement. Effectivement, j’ai mis en place ce qu’on appelle le Groupe de réflexion pour la paix en Casamance. Ce sont des cadres, généralement d’expérience, retraités qui connaissent bien la région, engagés bénévolement parce qu’ils ne sont pas payés, choisis par moi pas par le gouvernement. Nous sommes une trentaine pour aider précisément à la réflexion sur les solutions possibles à la sortie de crise. Nous nous efforçons d’être intermédiaires entre l’Etat et le Mfdc.
Est-ce que d’après-vous le Président Macky Sall a fait mieux que Abdou Diouf de 1982 à 2000 et Abdoulaye Wade de 2000 à 2012 pour la résolution de la crise casamançaise ?
Ah non, je ne dis pas qu’il a fait mieux. Le conflit, comme par hasard, selon les différents Présidents qui se sont succédé, ne s’est jamais présenté de manière identique. Macky est arrivé à un moment où il y avait une accalmie qui commençait à se décliner. Est-ce que cela est dû aux efforts précédents ? On ne peut pas le nier. Chacun a fait ce qu’il a pu.
Mais je pense qu’il est aujourd’hui, lui Macky, dans une situation plus favorable. Mais peutêtre, c’est dû aussi aux efforts que les autres ont faits.
Du temps de Abdou Diouf dans les années 90, c’était beaucoup plus compliqué. Lui, il a vécu les années de braises de la crise. Macky a trouvé une situation beaucoup plus favorable, mais on ne peut pas dire si celui-ci a fait plus ou celui-là a fait moins.
La gestion du bateau Le Joola a fait des milliers de morts chez les Casamançais. Les responsabilités ne sont toujours pas situées. Cela n’a-t-il pas contribué à la régionalisation de la Casamance ?
Je ne sais pas si le naufrage du Joola a eu une influence sur la régionalisation de la Casamance. C’était déjà annoncé parmi les solutions à apporter. Même s’il n’y avait pas eu naufrage, les politiques actuelles de décentralisation auraient été mises en place. Déjà depuis Diouf, ces politiques d’orientation avaient déjà été annoncées avant même le naufrage du bateau Le Joola, ça c’est un antécédent ponctuel qui n’a pas guidé les orientations et les choix politiques de la décentralisation.
A propos du Mfdc, le profane se demande maintenant qui est-ce qui représente le Mfdc ? On connaît des chefs militaires qui ne sont pas unis, on ne connaît pas d’aile politique qui soit représentative. Quand vous dites Mfdc, est-ce que ce n’est pas un terme générique qui comprend plusieurs groupes ?
Effectivement, depuis le décès de l’abbé Diamacoune, on peut compter au moins 4 maquis avec chacun un chef. Ils ne sont pas unis, c’est une des difficultés que nous avons dans la résolution de ce problème. Mais ils sont à la recherche de leur unité pour, disent-ils, aller aux «Assises interMfdc» de manière à avoir : un seul interlocuteur pour négocier avec le Gouvernement, une unité de commandement avec un chef de guerre, un Secrétaire général comme il y en avait à l’époque avec l’abbé Augustin Diamacoune Senghor. Sur les quatre chefs de guerre, les trois se sont retrouvés.
Qui sont-ils ?
Salif Sadio est le seul à ne pas encore rejoindre le groupe, mais ils poursuivent leurs efforts de manière à ce que tout le monde puisse parler le même langage, mais chaque groupe a son chef. Les efforts aujourd’hui en cours, c’est de rassembler tout le monde. Les choses évoluent.
Notre conviction, nous Groupe de réflexion pour la paix en Casamance, c’est que nous ne croyons pas à des négociations séparées. Il y en a qui pensent, compte tenu du fait qu’ils ne peuvent pas pour l’instant s’entendre, qu’il faut négocier maquis par maquis.
Nous, nous pensons au niveau du Groupe de réflexion que cela n’est pas payant, parce que les décisions d’un groupe n’engageront pas les autres. Donc, on encourage l’effort du Mfdc à aller ensemble et grâce à Dieu, il faut toucher du bois, cela a l’air de marcher.
Aujourd’hui, j’en viens, je suis arrivé tout à l’heure par avion (Ndlr : l’entretien a eu lieu jeudi 29 janvier dernier) pour venir échanger avec vous. Nous constatons que ces efforts de retrouvailles sont en cours et que les «Assises inter-Mfdc», ce n’est pas un rêve.
Le Président doit-il compter beaucoup plus sur votre structure ou sur la communauté Sant’Edigio pour la recherche de la paix en Casamance ?
Non, il compte sur tout le monde. Ceux qui interviennent, chacun apporte ce qu’il peut et il n’y a pas de raison de ne pas faire confiance aux uns et aux autres. Il laisse agir tous ceux qui veulent donner du meilleur d’eux-mêmes pour arriver à une solution, il fait confiance à tous, chacun fait ce qu’il peut. Sant’Edigio fait ce qu’il peut auprès de Salif Sadio.
Cette accalmie qui règne dans la zone sud du pays c’est dû quelque part à la «baraka» de Macky Sall par rapport à Abdoulaye Wade ou Abdou Diouf ou bien aux efforts que vous déployez pour arriver à cette solution tant recherchée ?
C’est tout cela à la fois. On ne peut pas dire que c’est seulement notre action. C’est aussi celle de tous ceux qui agissent sur le terrain, ce sont des efforts conjugués. Mais il y a aussi l’expression très claire de Macky, qui a compris que la force ne règle rien. Dès le départ, il est venu et il a tendu la main pour dire : «Allons au dialogue.» Cette main a été saisie par le Mfdc, qui a compris aussi que personne ne peut gagner à la guerre, nous sommes Ok pour aller aux négociations. Ça, ça a beaucoup aidé, je crois à l’accalmie et notre rôle, nous, c’est effectivement de veiller à maintenir le plus longtemps possible cette accalmie et à pousser à l’unité.
Un autre élément qui a joué sur ça, c’est l’action des populations. Parce que le Grpc a fait beaucoup de visites dans toute la Casamance, réunir les populations de manière à les impliquer dans le processus de paix. Parce que l’aspect culturel, traditionnel a une influence très forte. Le rôle des femmes traditionnelles, celui des féticheurs, des rois, de tous ces faiseurs d’opinions dans les villages que nous avons rencontrés, impliqués, même s’ils l’étaient déjà à leur manière, ça a beaucoup aidé.
Enfin, il faut dire que toute la Casamance aspire aujourd’hui à la paix, les populations en ont assez et veulent aller à la paix. Globalement, cela a permis enfin le contact avec les combattants et la Société civile. Avant le contact n’était pas coupé, chaque village discutait avec ses combattants, mais aujourd’hui, ces contacts se sont amplifiés et chaque village parle avec ses fils combattants qui sont dans le maquis. Donc, tout concourt à une accalmie, à la paix.
Enfin, il y a quand même l’action du Gouvernement. Vous avez vu les mesures que le Président Macky Sall a annoncées pour la Casamance, cette discrimination positive a aidé et aide aussi à l’accalmie.
Est-ce que dans cette démarche de recherche de la paix vous avez impliqué les pays voisins ?
Question très importante. Sans l’appui, l’apport, la contribution des pays voisins, nous aurons du mal à retrouver, dans un délai raisonnable, la paix en Casamance. La Guinée-Bissau comme la Gambie jouent un rôle extrêmement important. D’ailleurs, pour aller dans le maquis, il est plus difficile d’y aller en territoire sénégalais, que de passer par les territoires voisins.
Quand j’y allais, je passais soit par la Gambie, soit par la GuinéeBissau, car par le Sénégal c’est pratiquement impossible. Pourtant, il n’y a pas de maquis en territoire guinéen ou gambien, tous les maquis sont en territoire sénégalais, mais proches de la frontière.
La Guinée-Bissau et la Gambie, pendant la guerre, sont des zones de repli facile. Nous avons beaucoup de personnes déplacées, des deux côtés. Donc, nous associons ces pays à la recherche de la paix. Nous avons des réunions avec eux de temps en temps et nous échangeons, ils nous aident. Je ne pense pas qu’on puisse se passer d’eux facilement.
Connaissez-vous le territoire occupé par les combattants ?
Non, je ne connais pas le territoire occupé parce qu’il y a plusieurs cantonnements, une trentaine de cantonnements, depuis Vélingara jusqu’à la frontière avec la Guinée. Ils occupent un territoire que je ne peux pas mesurer. Je ne connais pas la taille de chaque cantonnement.
Pensez-vous que le problème de la rébellion casamançaise pourrait plus facilement trouver solution par des voies économiques ou par des processus politiques ?
Les deux. On ne peut pas exclure l’un, ni l’autre. Et c’est ce que Macky a compris. Il n’y a pas de développement sans paix. Le pape Jean-Paul II disait que le développement c’est l’autre nom de la paix, il a raison. Aujourd’hui, vous avez beaucoup de chômeurs jeunes qui rentrent dans le maquis. C’est plus facile de rentrer dans le maquis, quand on n’a rien à faire. Donc, s’ils avaient des activités économiques rentables, ils auraient pensé certainement moins à aller risquer leur vie dans le maquis. Parce que la vie dans le maquis n’est pas facile, hein ! Il faudrait que vous y alliez un jour.
Avec vous ?
Mais, pourquoi pas ! (Rires) Pour voir un peu comment les gens vivent là-dedans. Ce n’est pas une vie aisée. On ne risque pas non plus sa vie comme ça, pour le plaisir. L’aspect économique, comme vous dites, c’est fondamental. Et les mesures qui sont en train d’être prises, pour créer davantage d’emplois chez les jeunes, vont réduire leur propension à aller ronger leurs freins de chômeurs dans le maquis. Ça c’est très important. Politiquement, il y a des revendications politiques derrière tout ça.
Dans le cadre des pôles qu’ils veulent créer, il y a de nouveaux pôles, dans le cadre de la décentralisation, pour donner plus de pouvoirs à cette régionalisation, aux différentes provinces, aux différentes régions nouvelles qu’on va créer, transférer ces pouvoirs au niveau de ces collectivités locales, ça va aider.
Là nous allons beaucoup plus loin : le groupe de réflexion dit : «il s’agit d’une véritable décentralisation» : un transfert de compétences, une gestion des réalités locales par des collectivités locales choisies par les populations locales. Donc, des gens élus par ces dernières, ce ne sont pas des gens désignés comme on nomme un gouverneur, un préfet.
Cet aspect politique dont vous parlez va vers des mesures qui sont en train d’être prises. Et au niveau du Grpc, nous nous sommes inspirés de ce qui se passe dans le monde. Les Américains nous ont envoyé des experts pour voir comment ils son t gérés dans cette Fédération de 52 Etats, le Canada avec son Québec, la Suisse avec ses cantons, l’Allemagne avec ses lands. Nous avons audité tous ces gens-là, qui nous ont envoyé des experts, des constitutionnalistes qui nous ont expliqué comment ça marche chez eux.
Et, cela nous a inspirés dans nos recherches et les propositions que nous allons faire au Gouvernement et au Mfdc. Nous tenons compte de ces observations en essayant de les adapter à nos réalités propres. Et nous allons joindre cela avec les orientations et choix politiques que Macky Sall a déjà commenc à arrêter, puisqu’il a annoncé beaucoup de mesures de ce côté-là. Les deux sont absolument indispensables.
Vous avez été pendant de très longues années ministre de l’Agriculture de ce pays. Aujourd’hui, on nous annonce des chiffres des récoltes mirobolants, notamment sur le plan des récoltes de riz. Les emblavures n’ont pas doublé d’une année à l’autre, on a eu les mêmes quantités d’engrais de l’année dernière et on arrive à faire 54% de récoltes supplémentaires. Trouvez-vous cela logique ?
Nous avons eu une excellente année pluviométrique. Les résultats que nous avons eus globalement sont vraiment des résultats record. Pas seulement pour le riz mais pour d’autres cultures aussi. Ce qui l’explique, ce n’est pas seulement les terres emblavées irriguées, on a eu au niveau de la culture pluviale des résultats jamais atteints, causés précisément par cette pluviométrie. Pour le «riz de montagne», on a pratiquement triplé ce que nous avions l’habitude d’avoir. C’est ça qui a surtout augmenté la quantité de riz produite.
Maintenant, vous avez touché un point important, on ne pourra jamais régler définitivement cette question d’autosuffisance, si on n’emblave pas suffisamment, c’est-à-dire si on n’irrigue pas, on ne maîtrise pas l’eau suffisamment. La Fao le disait : «que les pays qui ont atteint l’autosuffisance, ce sont les pays qui ont au moins 25%.»
Donc, le quart de l’ensemble de leurs surfaces cultivées, maîtrisées. Nous sommes loin encore de là. C’est-à-dire que ce qu’il s’est produit cette année, si l’année prochaine -ce que je ne nous souhaite pas l’hivernage se retrouve aux années 73, nous allons nous retrouver avec 51% de moins. L’autre élément important, aujourd’hui, il nous faut à peu près un million six cent mille tonnes de Paddy pour régler ce problème.
Mais en aval de la récolte, il faut des équipements pour avoir du riz que les Sénégalais aiment consommer. «Gustativement» il faut des variétés que les gens aiment manger. Il faut également que les équipements de transformation de la récolte existent, sans compter les mesures à prendre pour que cette récolte soit bien séchée, bien traitée, etc. Nous avons une capacité de trituration pour deux cent mille tonnes. Donc, nous sommes loin d’avoir des rizeries pour triturer un millions six cent mille tonnes. Et il faut le faire avant l’année prochaine, puisque c’est en 2017 que nous voulons régler le problème de l’autosuffisance.
Vous y croyez, en 2017 déjà?
Non. Du point de vue équipement, je ne vois pas comment on peut, en un an, passer de deux cent mille tonnes de capacités de trituration à un million six cent mille.
On ne peut pas atteindre l’autosuffisance ?
On ne peut pas. On ne pourra pas avoir les moyens de transformer un million six cent mille tonnes ; même si on le produit.
Mais c’était tout à fait ambitieux de pousser les Sénégalais à la production. Cela porte ses fruits. S’il pleut encore l’année prochaine comme cette année, on peut atteindre l’autosuffisance.
Donc, vous voulez dire que toutes les conditions ne sont pas réunies pour la réussite du Pracas (Programme d’accélération de la cadence de l’agriculture au Sénégal), qui a été lancé il y a quelques années ?
Oui, c’est un programme important qui vise un objectif. Mais, on a des facteurs qu’on ne maîtrise pas, notamment l’eau, la pluie. Nous dépendons encore trop de la pluie pour le succès de ce Pracas.
Au Fleuve, nous avons 240 mille hectares de potentiel. Si nous irriguons la moitié en double culture, ça suffit. Nous n’en sommes pas là. En maîtrise totale de l’eau, nous n’avons pas encore cent mille hectares. Donc, nous avons du chemin à faire.
Quelle lecture faites-vous de la campagne de commercialisation de l’arachide. Le marché est ouvert aux opérateurs chinois, les paysans applaudissent mais les unités industrielles en souffrent. En tant qu’ancien ministre de l’Agriculture, comment analysez-vous la situation ?
Il y a deux choses : vous avez énoncé les paysans d’un côté et les usines de trituration de l’autre. Les usines de trituration, globalement avec 4 000 tonnes, elles peuvent être satisfaites. Elles ont leur personnel à maintenir, cela suppose qu’à chaque campagne, elles collectent au moins ce qu’il leur faut pour pouvoir triturer toute l’année, ça c’est la première chose.
Nous sommes dans une économie libéralisée. Chaque année le Gouvernement fixe un prix de référence, il s’agit de choisir. Le paysan trouve un acquéreur qui achète plus cher, donc il gagne plus. Est-ce que logiquement nous pouvons interdire aux paysanx d’aller vendre là où ils peuvent gagner plus ?
Les usines, si elles veulent avoir des arachides, doivent-elles demander à l’Etat d’imposer aux paysans un prix pour leur permettre d’acheter au prix qu’elles souhaitent, autrement dit le prix fixé par l’Etat ? Nous sommes face à ce dilemme-là.
Si les paysans peuvent gagner plus, ils peuvent gagner plus. Si les usines veulent de la cacahuète, elles n’ont qu’à l’acheter au prix coûtant. Comment le problème se pose-t-il ? Le ministre de l’Agriculture dit : «Il y a un prix référence, le paysan trouve un acquéreur qui paie plus, on ne peut pas l’en empêcher.»
Si vous prenez la Sonacos (Suneor, aujourd’hui) ici à Dakar combien de kilos d’arachide elle collecte ? C’est à peine s’ils collectent 100 000 tonnes ou font venir de l’huile végétale colza, tournesol brute qu’ils raffinent ici et ça c’est ce qui est sur le marché. Vous n’entendez pas les gens de la Sonacos de Dakar rouspéter, même s’ils ne collectent pas suffisamment d’arachides. Ils trouvent leur compte ailleurs en important une huile végétale autre que l’arachide brute qu’ils raffinent et qu’ils remettent sur le marché. Le peu d’arachide qu’ils raffinent, ils la vendent à l’extérieur.
Ceux-là qui rouspètent, ce sont ceux de Kaolack et Ziguinchor. Eux ils ne raffinent pas, donc ils n’achètent pas de l’huile végétale importée. Ils ne comptent que sur l’huile d’arachide.
Celui qui était là, M. Jaber, c’est simplement parce qu’il n’avait pas d’argent pour acheter la cacahuète. La marge bénéficiaire pour lui en montant les prix aux paysans se réduisait. Voilà le problème. Or, si vous faites un million de tonnes d’arachides, si ces gens-là veulent vraiment continuer à triturer, acheter 400 mille tonnes globalement, ce n’est pas la mer à boire.
On constate qu’il y a une forte quantité d’arachide sur le marché international, qui est exportée par les Chinois. Est-ce que ce n’est pas une menace pour la filière ?
Non au contraire, les Chinois encouragent la production parce qu’ils paient plus cher. Des intermédiaires qui achètent et qui revendent aux Chinois plus cher. Le prix, c’est 200 francs mais ils vendent à 300, 350. L’attitude du ministre de l’Agriculture est compréhensive. Il ne va pas intervenir pour faire une coercition et obliger les paysans à aller vendre au prix de référence, s’ils trouvent un acquéreur qui paie plus cher. Les usines n’ont qu’à payer ce prix.
Cliquez sur SENEPLUS pour lire la première partie de l'entretien du Quotidien avec Robert Sagna