PAIX IMPOSSIBLE
Pour Wade, tant que Karim souffre le martyre des ennuis judiciaires, le pays doit rester ingouvernable. Et pour Macky Sall, ses anciens bourreaux du PDS doivent se rendre à l’évidence : il détient le pouvoir
Lors de l’anniversaire de la disparition de Serigne Abdou Khadre Mbacké, quatrième khalife de Serigne Touba, son fils et porte-parole de l’actuel guide spirituel des mourides, a demandé au président de la République, Macky Sall, et à son prédécesseur, Abdoulaye Wade, se retrouver pour fumer le calumet de la paix. Il est de notoriété publique que depuis l’éjection de Macky Sall de la présidence de l’Assemblée nationale, le 9 novembre 2008, les rapports entre les deux frères ennemis se sont exécrés au point de déboucher sur une guerre sans fin.
Quand Macky a accédé au pouvoir, certains boutefeux de son entourage voyaient là une occasion vindicative de réprimer Wade et toutes ses ouailles qui les ont fait passer sous leurs fourches caudines. La traque des biens mal acquis qui a fini par l’embastillement de Karim Wade, avec le dépouillement de certains de ses biens immobiliers, est considérée par certains proches de Wade comme le premier jalon de ce désir de vengeance que ruminait Macky Sall depuis son éviction du Pds.
Maintenant l’appel de Serigne Bass Abdou Khadre peut-il prospérer quand on sait qu’entre les protagonistes les rancœurs restent encore vivaces et les haines tenaces ? Il ne s’agit pas pour autant de se retrouver dans une même famille politique libérale comme le soutiennent certains nostalgique du Pds originel. Il ne s’agit pas non plus de faire appel à des partisans de Wade pour participer à un quelconque gouvernement. Il est plutôt questions d’aplanir les divergences et de favoriser les conditions d’une paix nécessaire à tout pouvoir pour gouverner.
Certaines déclarations de rejet servies après l’appel du porte-parole du khalife des mourides sont de nature à maintenir la tension sinon à verser de l’huile dans la surenchère de la distance voire de la dissension. La paix ne s’instancie que dans la bonne volonté des duellistes à mettre les intérêts supérieurs de la nation sur les leurs. Ce qui est dommage, c’est que ce n’est pas une différence de vue sur les politiques publiques, sur les souffrances du pays qui opposent les deux protagonistes, mais des problèmes crypto-personnels.
Pour Abdoulaye Wade, tant que son fils souffre le martyre des ennuis judiciaires, le pays doit rester ingouvernable et pour Macky aussi, ses partisans d’hier doivent se rendre à l’évidence que le supplicié et l’humilié de 2008 est dépositaire de tous les pouvoirs qui lui permettent de châtier ses bourreaux d’hier.
Mais que l’on ne se méprenne point ! Les retrouvailles, si elles peuvent être scellées sur des bases claires et sincères et tracer les sillons d’une paix qui favorise un climat de bonne gouvernance, doivent être l’œuvre de tous les régulateurs et médiateurs sociaux, voire de tous les Sénégalais. Elles ne doivent pas être l’apanage de chefs religieux qui, il faut le dire, ont contribué d’une manière ou d’une autre à cette atmosphère délétère par leur mutisme complice pendant les moments où le bruit de leurs voix médiatrices était désiré.
Quand les scandales et la corruption sont érigés en méthode de gouvernance, aucun marabout ne les dénonce tant qu’ils reçoivent des sucettes. Quand les protagonistes se lancent mutuellement des insultes et autres invectives sur la place publique, la plupart des religieux, sous la coupe du pouvoir en place, ne se prononce que pour mettre le holà sur ces insanités. On attend que la coupe soit pleine et que les gouttes fielleuses commencent à suinter pour que certains se lèvent pour stopper ces outrances discursives.
Il est à souligner que les religieux, toutes confessions confondues, ont failli à leur devoir de dire la vérité à nos gouvernants aux moments opportuns. Ils ont raté beaucoup d’occasion de se faire entendre. Ils attendent que le feu se déclare pour se lever avec leurs seaux pour circonscrire l’incendie à défaut de pouvoir de l’éteindre.
Serigne Bass sera-t-il entendu ?
Aujourd’hui Serigne Bass a parlé. Sera-t-il entendu par cette classe de politiciens malentendants ? On subodore chez certains d’entre eux, qui acquiescent audit appel, quelques hypocrisies enfouies au tréfonds de leurs discours. Quand Moustapha Cissé Lô martèle que son clan n’est pas demandeur d’un cessez-le-feu, il pense que leur position de pouvoir leur confère une posture suprématiste au point que ce sont les belligérants affaiblis d’en-face qui doivent être preneurs de l’offre de paix. Alors le «oui» du moment de certains n’est qu’un «non» masqué et à retardement.
Et l’on se joue de ces religieux qui, pour la plupart, ne jouent pas franc jeu quand il le faut. Lors des funérailles de Serigne Saliou Mbacké, khalife général des mourides, le 30 décembre 2007, que les dissensions entre Wade et Macky étaient fortes au point que Maître Alioune Badara Cissé, dans une voix pleine d’émotion, avait prié pour que la disparition de cet homme de paix soit l’occasion opportune de la réconciliation entre le président de la République et le président de l’Assemblée nationale.
Une semaine après, son successeur au khalifat de Serigne Touba, en l’occurrence Serigne Bara, intercédait pour la fin de cette guerre. Wade, en bon talibé, répondit favorablement à l’appel de l’autorité suprême des mourides. C’est ainsi que le 4 janvier, lors d’une réunion du groupe parlementaire du PDS, Macky faisait part de sa réconciliation le pape du sopi. D’ailleurs le ministre Madické Niang, sous les feux des caméras de la RTS, avec en arrière-plan le repentant président de l’Assemblée nationale, informait l’opinion de l’absolution de Wade à l’endroit de ce dernier. Mais ce n’était qu’une réconciliation de parade, que du cinéma pour reprendre la «Une» railleuse du Populaire du 5 janvier 2009.
Quand Wade dit qu’il pardonnait à Macky, son homme-lige Farba Senghor déclarait dans le même Populaire : «Macky a défié le secrétaire de notre parti. Cette défiance sera relevée par les structures du parti et par les responsables du parti. Parce que ce pardon ne peut en aucun cas effacer l’attitude de Macky Sall… Nous avons nos stratégies qui seront mises en branle pour répondre à cet affront de Macky Sall… »
Mais plusieurs observateurs ont vu en cela un coup de bluff soporifique pour endormir Macky Sall, le temps que l’organisation du XIe sommet de l’OCI passât, avant la reprise des hostilités. Il en fut ainsi puisque après le sommet de l’OCI, le couperet tomba sur la tête de Macky Sall avec la loi Sada Ndiaye. Wade venait de montrer que les propos du khalife ne valaient rien devant les intérêts de son fils.
Le même scénario de 2008 risque de se reproduire parce que Macky et ses va-t-en-guerre ne font rien qui puisse favoriser un climat de sérénité. Aujourd’hui la traque des biens mal acquis s’est arrêtée étonnamment sur un seul «coupable» et des manœuvres sont mises en branle pour éliminer le groupe parlementaire de l’opposition à l’Assemblée nationale. De la même façon, les opposants menacent de bloquer l’institution parlementaire si leur groupe, Libéraux et Démocrates, est anéanti. Alors comment sortir de cette quadrature du cercle ?
Le problème, c’est de ne pas chercher à s’inter-neutraliser mais à promouvoir une atmosphère de paix qui puisse affranchir le pays de la politique politicienne et l’installer durablement le pays dans une bonne ambiance réelle de travail.