PARLER DE GRÂCE, C'EST VIOLER LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE DE KHALIFA
Affaire Khalifa Sall, rencontre avec le ministère de l'Intérieur, stratégie de politique de l'opposition, les difficultés du monde rural... Ibrahima Deme s'épanche - ENTRETIEN
Il n’est plus de la magistrature, mais s’intéresse de près aux dossiers «chauds» qui agitent la justice, comme l’affaire Khalifa Sall. Le Président du Mouvement « Ensemble », qui compte répondre à l’appel du ministre de l’Intérieur ce lundi, n’est pas dans une logique de boycott. Même s’il appelle l’opposition à plus de concertation sur des sujets du genre. La situation «alarmante » qui sévit dans le monde rural ne laisse pas de marbre l’ancien juge qui a accordé un entretien-express à IGFM.
«Pourquoi nous serons pas à la rencontre sur le parrainage»
Il y a des velléités de quelques partis de l’opposition de boycotter la rencontre de ce lundi convoquée par le ministre de l’Intérieur, est-ce que votre Mouvement « Ensemble » y sera ?
Nous y serons Inchallah. Parce que nous sommes candidats et il n’y a pas une concertation de l’opposition par rapport à une position claire qu’on doit prendre. Il n’y a pas un cadre dans lequel l’opposition a décidé de ne pas y être. Nous pensons que puisque nous sommes candidats, il faut impérativement que nous désignons un représentant pour le parrainage et nous avons estimé nécessaire d’y être. Nous avons d’ailleurs transmis une lettre au ministre de l’Intérieur pour désigner notre Coordinateur national chargé du parrainage (Baba Fall). Je pense que les différents acteurs de l’opposition doivent se voir pour avoir des positions concertées sur certaines questions.
On va vers des échéances électorales, notamment le parrainage des listes. Etes-vous personnellement prêt ?
Il faut convenir que le parrainage ne sera facile, car des dizaines de candidats essayeront de chercher en même temps et souvent dans la même aire géographique des dizaines de milliers de signatures. Depuis quelques semaines, on s’y prépare et on pense qu’on sera en mesure de rassembler les signatures nécessaires pour pouvoir présenter valablement notre candidature. On demande simplement que cet exercice se fasse dans la plus grande loyauté. Les règles du jeu démocratique devront être respectées pour que ceux qui recueillent le nombre nécessaires de signatures et satisfont les autres conditions fixées par le code électoral soient admis à compétir pour les échéances de 2019.
Le ministre de la Justice dit que la présidentielle de 2019 sera l’élection la mieux organisée de l’histoire du Sénégal ?
C’est la moindre des choses qu’on peut attendre. Le Sénégal était jusqu’à récemment l’un des rares pays au monde où l’organisation des élections était des plus satisfaisantes, grâce d’une part à un bon code électoral, mais aussi à l’expérience et au respect des règles démocratiques par les acteurs du processus électoral et les acteurs politiques. Cependant, il faut souligner que les élections législatives organisées en juillet 2017 ont sérieusement entamé cette bonne réputation. Ces élections constituent, en effet, une regrettable parenthèse par rapport à notre expérience démocratique. Cette parenthèse devra être définitivement refermée par le respect des autorités publiques et de l’administration de toutes les règles surtout en amont notamment la délivrance des cartes d’identité sans discrimination aucune.
«La situation est alarmante dans le monde rural»
Dans les sermons de Tabaski, certains imams ont demandé aux juges de juger pour la seule face de Dieu, est-ce que cela rejoint le combat qui vous a poussé à démissionner ?
Les hommes religieux ont le devoir de saisir les occasions comme la fête de la Tabaski pour rappeler aux citoyens les devoirs qui sont conformes aux prescriptions religieuses. Ils doivent être, en effet, les observateurs vigilants de la vie publique et notamment du fonctionnement des institutions. Si les imams évoquent dans leurs sermons des questions aussi essentielles que celles du fonctionnement de la justice, ils sont donc dans leur rôle. En effet, la justice a une place privilégiée dans les textes sacrés et a une fonction de régulation dans toutes les sociétés. Or, ces derniers temps, on assiste à une crise de toutes les institutions, notamment de l’institution judiciaire dont l’indépendance est sujette à caution. Il est donc normal que ce sujet essentiel pour la survie de notre démocratie et tout simplement de la pérennité de la paix sociale soit évoqué par les imams.
Ousmane Tanor Dieng a plaidé la grâce pour le détenu Khalifa Sall est-ce que c’est logique alors que le verdict est attendu le 30 août ?
Je crois qu’il est encore tôt de parler de grâce alors que M. Khalifa Sall n’a pas encore été définitivement condamné. De manière consciente ou non, on préjuge de la décision qui sera rendue par la Cour d’appel de Dakar en parlant de grâce. C’est encore une violation de la présomption d’innocence. Ce qu’on doit espérer encore dans ce procès qui n’est pas encore terminé, c’est le respect des principes relatifs à un procès équitable, c’est-à-dire une justice fonctionnant de manière indépendante et impartiale, donc à l’abri de toute pression. Puisque aussi bien les acteurs de la justice que les autres membres du corps social plaident tous dans ce sens, espérons que cette regrettable situation soit résolue pour que le justiciable puisse reprendre confiance en la justice. C’est dans l’intérêt de tous, car l’alternative à la justice, c’est le chaos.
Que pensez-vous de la sécheresse qui sévit dans le monde rural, surtout dans le Nord ? L’Etat a-t-il oublié le monde rural ?
Le monde rural vit actuellement une situation alarmante. En plus de la sècheresse qui y sévit actuellement, le cheptel est décimé par dizaines de milliers. Il ne faut pas oublier qu’au mois de mai dernier, le Programme alimentaire mondial (Pam) avait relevé que 750.000 sénégalais étaient menacés de famine au Nord et à l’Est du pays. Certes, le gouvernement a réagi par la distribution de vivres, mais le mal n’a pas encore été complètement jugulé car malheureusement ce problème concerne presque tout le pays. Cette semaine, on a été dans la commune rurale de Ngoye dans le département de Bambey, mais on a trouvé des populations qui manquent presque de tout. Notre gouvernement à deux problèmes de ce point de vue. D’abord, un sens des priorités qui doit les inciter à se préoccuper d’abord des besoins vitaux des populations, c’est-à-dire l’eau, la nourriture, la santé et l’éducation. Ensuite, il faut prévenir au lieu de chercher toujours à guérir. On doit s’attaquer aux causes des problèmes du monde rural en étant plus proactif.