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EXCLUSIF SENEPLUS – Entretien avec Babacar Gaye du PDS : "Des prévaricateurs avérés sont au pouvoir" - "Transparency a fait preuve de légèreté" - Fada ne peut pas tenir un congrès - "Macky Sall souhaite peut-être que Boko Haram frappe le Sénégal"…
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Secrétaire national du PDS à l'Orientation et aux Stratégies, également chargé des Réformes et porte-parole d'Abdoulaye Wade, Babacar Gaye s'est prononcé sans ambages au micro de SenePlus sur les questions d'actualité : rapport de l'ARMP, crises à l'Assemblée nationale, la prochaine présidentielle et le budget 2016.
Les rideaux viennent de tomber sur le Magal de Touba. La lutte contre la corruption a été la pierre angulaire du message du khalife général des mourides via son porte-parole. Peut-on dire que c'est un discours qui vient à point nommé quand on voit que le dernier rapport de l'ARMP fait état de plusieurs pratiques corruptives liées à la passation des marchés publics ?
Le grand Magal de Touba a toujours été une occasion pour le khalife général des mourides, par la voix de son porte-parole ou directement par lui-même, de donner des indications, de tracer un viatique dans le sens de plus d'exigence de paix, de tolérance, de concorde et d'éthique selon les règles de l'Islam.
Si le porte-parole du khalife général des Mourides, Serigne Bass Abdou Khadre, pose le problème de la corruption dans notre pays, cela veut dire que ce fléau de notre économie, de notre société, s'est exacerbé et constitue un facteur limitant de notre développement. Et sous ce rapport, nous ne pouvons que nous en féliciter. D'autant que Serigne Bass, à travers sa voix, exprime le sentiment de la majorité des Sénégalais par rapport à cette question de la corruption.
Il appartient d'abord aux pouvoirs publics, ensuite aux citoyens surtout aux fonctionnaires de l'administration publique, du policier au ministre, de prendre en charge cette demande sociale et de lui trouver une solution le plus rapidement possible. Cela va contribuer à créer les conditions d'une gestion transparente des ressources publiques qui seraient orientées, le cas échéant, vers les secteurs les plus arriérés de notre économie, mais surtout pour financer le développement et lutter contre la pauvreté qui gangrène les bases de l'épanouissement de nos populations.
Le discours du Khalife intervient dans un contexte assez particulier, contexte de publication du rapport de l'ARMP qui épingle la gestion du régime de Macky Sall à travers les structures décentralisées, l'administration, les agences et le secteur privé et parapublic de l'Etat. C'est encore affligeant quand, ce phénomène s'accentue avec les grands marchés qui font l'objet d'une entente directe ou de gré à gré par la seule volonté de M. le président de la République qui est l'épicentre de la gestion économique et sociale du pays. Donc si nous sommes conséquents avec nous-mêmes, dans le cadre de la reddition des comptes et pour opérer les ruptures que l'actuel régime a portées en bandoulière, il urge de traquer ces prévaricateurs, de les juger et de les condamner s'ils sont coupables.
On ne doit pas avoir dans notre pays une justice à deux vitesses où les vaincus sont traqués, vilipendés mis en prison de manière illégale et arbitraire alors que ceux sont chargés de veiller sur nos ressources publiques afin de les utiliser à bon escient, font dans la gabegie, dans le détournement de deniers publics et dans la corruption. C'est pourquoi nous saluons l'implication des porteurs de voix comme Serigne Bass Abdou Khadre dont nous espérons que l'appel sera entendu par tous les Sénégalais.
Est-ce vous pensez que les dénonciations de l'ARMP seront suivies d'effets si l'on sait que des dignitaires de l'ancien régime dont les gestions ont été épinglées par différents corps de contrôle ne sont pas tous inquiétés ?
C'est là que le bât blesse. C'est en cela que je ne me fais aucune illusion quant à la prise en charge de cette demande par le président de la République et son gouvernement. Aujourd'hui, des prévaricateurs avérés sont dans les sphères du pouvoir. Et certains font partie de ses collaborateurs, d'autres sont recyclés dans des structures de gestion et cela pose un problème d'éthique et de bonne gouvernance politique.
C'est comme si certains politiciens, de par leur capacité à transhumer ou à mobiliser des foules doivent être absous de leur mauvaise gestion ou doivent bénéficier d'une immunité par le fait du prince. Ce n'est pas un bon exemple d'éthique politique de bonne gouvernance.
Au moment où des pratiques corruptives à grande échelle entachent la passation des marchés publics, l'ONG Transparency délivre un satisfecit à l'État sénégalais pour sa lutte contre la corruption. Comment appréciez-vous cela ?
Transparency est un organisme qui analyse et apprécie sa perception de la corruption dans un pays. Que je sache, il n'y a pas de fait avéré de corruption qu'il ait dénoncé de manière nette et précise. Après avoir servi de bras armé aux lobbys qui ont encouragé le départ de Wade, celui qui représentait Transparency au Sénégal est allé à la soupe. Par conséquent, ce n'est pas ce dernier qui pourrait produire un rapport négatif contre le régime de Macky Sall.
Transparency a sa façon de voir les choses, mais le khalife des mourides de même que les Sénégalais ont constaté que le pays est plus corrompu qu'avant. La preuve, les scandales se succèdent et c'est comme si c'est du je-m'en-foutisme. Et si dans ce contexte, Transparency délivre un satisfecit à l'État du Sénégal, c'est faire preuve de légèreté.
Lors de la réception de la délégation parlementaire, le khalife des mourides a appelé le président Moustapha Niasse à mettre fin à cette crise qui sévit à l'Assemblée nationale. Comment appréhendez-vous un tel appel dans ce contexte de conflit entre la majorité et l'opposition parlementaire ?
C'est inédit que le saint homme de Touba donne autant de directives dans la gouvernance politique de notre pays. En général, le cheikh ne s'intéresse pas aux questions politiques. S'il estime suggérer au président de l'Assemblée nationale de trouver rapidement une solution à la crise qui secoue l'institution parlementaire du fait de ce régime qui cherche à réduire l'opposition à sa plus simple expression, c'est parce que la situation est grave. Il a dû avoir des éléments d'information qui l'obligent à tirer la sonnette d'alarme.
Cette affaire risque de décrédibiliser à jamais les institutions de la République. On a connu des crises à l'Assemblée nationale. Macky et ceux qui l'ont soutenu à l'élection présidentielle de 2012 avaient promis aux Sénégalais des ruptures surtout dans la gouvernance politique et particulièrement dans l'autonomisation de l'Assemblée nationale. Aujourd'hui on se rend compte que la majorité parlementaire, sous la conduite de Moustapha Niasse, a tout fait pour empêcher la constitution du groupe parlementaire de l'opposition. Et il est évident que tout cela ne peut pas se faire sans l'implication ou la responsabilité directe du président de la République qui est le chef de la majorité, mais qui doit rester la clé de voûte des institutions.
Et si le khalife s'est adressé à Moustapha Niasse à travers la délégation parlementaire qu'il a reçue, c'est une façon de dire au président Macky Sall de mettre fin à cette cacophonie qui n'honore pas la République. D'ailleurs, je n'ai pas compris le mutisme des intellectuels et pourquoi les juristes de ce pays n'ont pas dit expressément que la majorité "yaakaariste" a enfreint la loi.
Il y a beaucoup d'entorses d'autant que, dans les réformes qui sont advenues au mois d'août 2015, il était question surtout de renforcer l'annualité la constitution des groupes parlementaires en introduisant au sein de l'article 20, un alinéa important qui stipule que "pour les autres sessions, les groupes parlementaires sont constitués dans les mêmes conditions que celles de la première session de la législature". Donc le groupe parlementaire dirigé par la présidente Aïda Mbodj a bien respecté les dispositions du règlement intérieur de l'Assemblée. Sans ces groupes parlementaires, les instances de l'Assemblée nationale ne peuvent être installées.
Le message califal adressé à la majorité et à l'opposition est perçu comme une invite afin d'œuvrer dans le sens de stabiliser les institutions car il ne sert à rien de continuer dans cette chienlit d'où personne ne sortira vainqueur.
La situation de crise entre la majorité et l'opposition ne connait pas encore un début de solution malgré la stratégie de blocage systématique adoptée par les députés du cadre de concertation de l'opposition. Que comptez-vous faire pour gagner votre combat ?
L'opposition parlementaire n'a jamais projeté de saboter les travaux de l'Assemblée nationale. Elle a décidé de se battre pour le respect de la loi. Toutefois des canaux de communication et de concertation ont été balisés par certaines bonnes volontés pour que l'opposition parlementaire sursoie à son plan d'action en attendant qu'une solution soit trouvée. Elle est dans cette perspective pour recouvrer ses droits sans se départir de son schéma de lutte. En cela, les députés sont soutenus par le Front patriotique pour la défense de la République, le Cadre de concertation de l'opposition et tous les citoyens épris de justice.
Il ne s'agit pas de déstabiliser le pays, ni de décrédibiliser l'Assemblée nationale. Il s'agit plutôt de se battre contre une institution parlementaire affidée à un chef d'Etat dont l'unique ambition est de restreindre les droits de l'opposition parlementaire et la réduire à sa plus simple expression. Ce qui est une catastrophe et aucun démocrate ne l'acceptera.
Modou Diagne Fada est exclu du Pds mais il déclare cette exclusion nulle et non avenue. D'ailleurs, il est dans la logique d'organiser un congrès de renouvellement. Que comptez-vous faire, vous qui ne partagez pas ses idées réformatrices ?
Nous attendons, comme lui et ses amis l'ont annoncé, l'organisation d'un congrès après le Magal. Nous nous demandons comment Fada, exclu du Pds en bonne et due forme, pourrait convoquer un congrès afin de renouveler les instances supérieures du parti. Sous ce rapport, je voudrais faire quelques précisions : Modou Diagne Fada et les frondeurs qui le suivent ne peuvent pas convoquer un congrès pour plusieurs raisons. D'abord dans nos statuts et règlement intérieur, il est dit que le congrès ordinaire se réunit tous les deux ans sur convocation du Secrétaire général national ou du bureau politique. Il est possible que le congrès soit convoqué de manière extraordinaire toujours par le Secrétaire général national ou par le Bureau politique. Il peut aussi être convoqué par les 2/3 des fédérations à condition qu'une défaillance de la direction nationale soit constatée.
Est-ce que Modou Diagne Fada et compagnie ont dit que le Secrétaire général national Abdoulaye Wade a failli ? Il faut d'abord qu'ils assument cette position, ensuite il faut qu'ils apportent les preuves de sa défaillance. A supposer que la direction du parti ait failli, il y a des conditionnalités que les frondeurs ne peuvent pas réunir. Ensuite pour convoquer le congrès, il faut fixer le nombre de délégués par fédération sur la base des cotisations. Le versement des ressources issues de la vente des cartes de membres est certifié par un quitus délivré par le trésorier du parti. Et Fada n'a pas le pouvoir de délivrer des quitus aux fédérations sur la base de leurs cotisations surtout que le Pds n'a pas vendu de cartes. Et troisièmement le congrès est forcément convoqué, mis en œuvre par le bureau politique. Là aussi, ils n'ont pas les moyens politiques pour contraindre le bureau politique à mettre en œuvre l'organisation d'un congrès.
Vous voyez comment il est complexe d'organiser un congrès au Pds. Depuis l'affaire Serigne Diop, nos textes sont verrouillés au point qu'il n'est plus possible à un frondeur de convoquer un congrès. L'expérience doit servir à quelque chose. Ceux qui gravitent autour de Fada doivent savoir que l'heure n'est pas à la division. Et que leurs motivations pour les réformes du Pds ne sont pas les mêmes que celles du chef de file des frondeurs. Il y a plus de manipulation que de volonté d'aller de l'avant.
Actuellement, toute idée de réforme serait en contradiction avec notre agenda politique et nos objectifs prioritaires. D'abord concernant l'agenda politique, le parti fait l'objet d'attaques intérieures comme extérieures. D'où la nécessité d'organiser la résistance. Ainsi toute idée de réforme dans ces conditions ne ferait qu'affaiblir inutilement le parti. Ensuite pour ce qui est des objectifs, Fada et compagnie clament urbi et orbi qu'ils sont pour le candidat Karim Wade. Ce à quoi je ne crois pas. Ils n'ont posé aucun acte pour qu'il sorte de prison parce qu'ils estiment que si Karim reste en prison, Fada peut constituer une solution alternative. C'est une utopie. Modou Diagne Fada serait le dernier sur lequel le Pds devrait compter pour reprendre le pouvoir en 2017.
C'est légitime qu'un homme politique ait des ambitions ; mais il ne faut pas être prétentieux et savoir ses limites objectives.
Puisque aujourd'hui il n'y a aucune lueur d'espoir allant dans le sens de l'élargissement de votre candidat Karim Wade, n'est-ce pas légitime d'avoir des ambitions pour se présenter en alternative ?
Fada avait tous les droits tant qu'il était militant du Pds mais il ne faut pas verser dans l'hypocrisie. Quand on a des ambitions d'être le porte-étendard du parti à l'élection présidentielle, on s'affirme. Aïda Mbodj avait déclaré à l'époque que la candidature n'est pas à l'ordre du jour et qu'il fallait attendre que Karim sorte pour que la compétition entre les prétendants soit plus juste. Même si je ne partageais pas la même vision des choses, j'estime que c'était honnête de sa part. Par contre, Fada déclare partout qu'il soutient la candidature de Karim à condition qu'il soit le Secrétaire général du Pds. Et que s'il arrivait que ce dernier reste en prison, il devrait être le candidat. Ce n'est pas de l'ambition, c'est de la trahison, un coup de Jarnac sur le dos de Karim. Surtout qu'en privé, il dénonce le choix porté sur Karim.
En réalité, il travaille pour Macky Sall. Quiconque crée des problèmes au Pds à l'heure actuelle affaiblit l'opposition et renforce le pouvoir. Si en 2017, notre candidat n'est pas élargi, hypothèse que personne ne souhaite et contre laquelle nous allons nous battre pour sa libération, nous trouverons une solution politique capable de faire partir Macky Sall du pouvoir.
Comment appréciez-vous cette situation indécise dans laquelle se trouvent les Sénégalais qui ne savent pas exactement l'année de l'élection présidentielle ?
Je suis scandalisé même si je reste convaincu que la présidentielle se tiendra en 2017. Macky Sall ne peut pas se dérober. L'opposition, la société civile, les démocrates créeront les conditions pour que les élections présidentielle et législatives se tiennent à dates échues.
Et la tenue du référendum en 2016 ?
Là aussi il essaie de jouer avec le temps et la psychose de l'insécurité ambiante. Peut-être qu'il souhaite que Boko Haram ou l'Etat islamique frappent le Sénégal pour qu'il prétexte d'une situation exceptionnelle de crise pour instaurer l'état d'urgence, bâillonner les libertés et renvoyer le référendum aux calendes grecques. Nous veillons au grain.
Cela est-il envisageable ?
Absolument ! Avant que cette crise ne s'amplifie en France et dans d'autres pays, il m'est arrivé de penser que si Macky ne s'était pas encore décidé, c'est parce qu'il attendait une situation exceptionnelle du genre que je viens d'évoquer pour annuler le référendum et ajourner l'élection en 2019.
Un mot sur l'économie. Le budget 2016 est de 3022 milliards, 398 millions. Sur cette somme 1048 milliards sont destinés à l'investissement. Un pas important dans la mise en œuvre du Plan Sénégal émergent ?
Pas du tout. Le PSE était évalué à 11000 milliards et le gouvernement disait que tous les financements étaient bouclés. Il avait fixé des objectifs pour 2015. Le PSE n'a pas donné les effets escomptés. Il faut préciser qu'avec les 3022 milliards, on a enregistré une augmentation de moins de 5% de notre budget par rapport à l'année dernière. Le budget du Sénégal croit en moyenne de 8% depuis 1960. Donc ce n'est pas une performance si le budget a atteint la barre mythique des 3000.
Au contraire, le gouvernement de Macky Sall n'a pas atteint l'optimum de réalisation d'un budget qui prend en compte l'évolution de notre démographie et de nos besoins au plan économique et social. Plus de 1000 milliards sont destinés à l'investissement, dites-vous. Mais quelle est la part des recettes internes pour financer les investissements ? Il ne s'agit pas seulement d'investir pour investir, il s'agit aussi d'avoir une gestion efficace et vertueuse des finances publiques. Il s'agit surtout de restreindre certaines dépenses de prestige au profit des investissements. Or le Sénégal s'endette, continue à s'endetter et devient plus endetté que sous l'ancien régime.
On ne peut pas financer notre développement uniquement sur la base de l'endettement. Et on ne doit pas privilégier des dépenses de personnel au détriment des investissements. Les dépenses de personnel de la présidence de la République ont connu une augmentation de plus de 3 milliards. Sous ce rapport comment peut-on regarder les Sénégalais dans les yeux et leur dire qu'on est en train d'investir pour leur bien ?
Le sommet Chine-Afrique s'est tenu les 5 et 6 décembre en Afrique du Sud. Que peut attendre d'une telle rencontre un pays comme le Sénégal ?
Beaucoup de choses, même s'il y a un tassement des investissements de la Chine vers l'Afrique et particulièrement vers notre pays. C'est le président Wade qui a été l'innovateur dans ce domaine. Il ne faut jamais oublier que c'est lui qui a rompu avec Taiwan pour accepter la main tendue de la Chine. Laquelle a apporté tout son soutien au gouvernement du Sénégal en étant présent surtout pour les grands travaux.
La coopération avec la Chine est devenue incontournable en Afrique et partout dans le monde en général. C'est pourquoi le Sénégal doit être présent dans le marché chinois. Si la Chine décide de faire de l'Afrique son partenaire privilégié, elle ne fait que comprendre les enjeux du XXIe siècle. Abdoulaye Wade disait dans son ouvrage Un destin pour l'Afrique que le seul continent qui reste à développer et qui va sauver le monde, c'est l'Afrique. La Chine l'a compris.