QUAND L’ADMINISTRATION VIOLE LA LOI
Après le consensus des parties prenantes au dialogue politique sur le report des Locales, le chef de l’Etat, parti en vacances, n’a toujours pas saisi l’Assemblée nationale pour demander la prorogation des mandats des élus locaux
Plusieurs jours après le consensus des parties prenantes au dialogue politique sur le report des Locales, le chef de l’Etat, parti en vacances, n’a toujours pas saisi l’Assemblée nationale pour demander la prorogation des mandats des élus locaux. Il en résulte qu’à ce jour, les textes encore en vigueur fixent lesdites élections au 1er décembre. Mais l’Administration, qui devait normalement en être aux opérations de parrainage jusqu’à ce que le report soit acté, somnole.
Loin du dialogue politique, le Parti démocratique sénégalais (Pds) semble bien suivre ce qui s’y trame. Alors qu’on n’a pas fini d’épiloguer sur les péripéties du report des élections locales qui devaient initialement être tenues au 1er décembre 2019, le Secrétaire général adjoint chargé des conflits dans ledit parti en remet une couche. S’exprimant, hier, à la présentation du recueil des contributions de la société civile, Doudou Wade déclare : “Pour moi, les élections, c’est toujours au 1er décembre. Rien ne l’a encore changé. Comme le disait le professeur (Ngouda Fall), tout à l’heure, un acte qui n’est pas signé n’est pas valable. Quand il n’est pas publié dans les circuits officiels, on ne peut pas l’imposer aux citoyens.
Dans ses prérogatives, le président de la République a pris la décision de reporter les élections pour le 1er décembre. Mais le ministère de l’Intérieur s’assoit sur la loi pour ne pas assurer les procédures qui doivent nous mener vers ces élections. C’est extrêmement grave.’’ Il faut dire que ces constats du responsable libéral n’ont pas eu d’écho favorable auprès du directeur de la Communication et de la Formation de la Direction générale des élections. Même si, sur le principe, ce dernier n’a pas remis en cause l’argumentaire de l’ancien député. Il lui rétorque de façon laconique : “Honorable, est-ce que vous vous êtes rendu dans une localité pour collecter des parrains et que des agents de l’Administration vous en ont empêché ?’’ Pour en savoir davantage, “EnQuête’’ l’a interpellé, en marge de la cérémonie, pour demander si les fiches de parrainage sont disponibles pour les partis politiques ? La réponse en rajoute à la confusion déjà abyssale. “Tout ce que je peux vous dire à ce propos, c’est que les acteurs se sont mis d’accord pour un report des élections’’, souligne-t-il, s’empressant de s’en aller. Pour l’ancien président du groupe parlementaire libéral, c’est ni plus ni moins qu’une violation de la loi. “On ne peut pas se baser sur la volonté de quelques acteurs pour stopper le processus. Non ! On doit continuer le processus jusqu’à ce que le président prenne la décision de reporter à nouveau.
Et si nous devons sortir de 2019, le président n’aura plus les prérogatives de le faire, puisqu’il s’agira alors de proroger le mandat. Et c’est l’Assemblée nationale qui est compétente’’. Babacar Fall, Secrétaire général du Groupe de recherches et d’appui à la démocratie participative et à la bonne gouvernance (Gradec), confirme : “En fait, la loi prévoit que les opérations devaient débuter 150 jours avant les élections, c’est-à-dire depuis que les arrêtés fixant la caution et le modèle de fiche de parrainage ont été publiés (ces arrêtés ont été rendus publics le 4 juillet dernier, Ndlr). Normalement donc, en ce moment, les acteurs devaient être au cœur des parrainages.’’ Ce qui est loin d’être le cas. En fait, depuis que l’intention de reporter le scrutin a été abordée dans le cadre du dialogue politique, même l’Administration, rompue à la tâche, semble ne plus savoir sur quel pied danser. N’est-ce pas une anomalie ? M. Fall évite de parler d’illégalité, mais insiste que c’est une situation confuse et inqualifiable. Comme Doudou Wade, il dit : “Aujourd’hui, rien ne dit au ministre d’arrêter le processus. On est dans une situation qu’on ne peut pas qualifier. Dans le principe, le report n’est pas acté, puisque aucun acte n’a été pris. Il doit y avoir normalement une loi prorogeant la durée des mandats des élus. C’est pourquoi d’ailleurs, dans le cadre du dialogue, les gens avaient mandaté le président Famara Ibrahima Sagna pour rencontrer le chef de l’Etat afin faire le nécessaire.’
Jurisprudence
Pourquoi donc ce dernier et sa majorité trainent encore les pieds ? En tout cas, du côté du Pds comme du côté de Pastef d’Ousmane Sonko, on persiste à dire niet au report. Mieux, certains semblent attendre avec impatience le décret portant report des élections pour pouvoir le porter devant les juridictions. D’ailleurs, une telle démarche ne serait pas dénuée de tout fondement juridique. En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence récente, a eu à se prononcer contre la modification d’un mandat. C’était le cas, quand le président de la République l’avait saisi aux fins de diminuer son mandat. Les sages avaient invoqué la nécessaire sécurité juridique et la stabilité des institutions. “Considérant que la sécurité juridique et la stabilité des institutions inséparables de l’Etat de droit, dont le respect et la consolidation sont proclamés dans le préambule de la Constitution du 22 janvier 2001 constituent des objectifs à valeur constitutionnelle que toute révision doit prendre en considération, pour être conforme à l’esprit de la Constitution’’, lit-on dans sa décision n°1/C/2016. Par-là, la haute juridiction avait clairement signifié au constituant qu’il ne devrait pouvoir ni proroger le mandat du président de la République ni le diminuer.