QUELLES PERSPECTIVE POUR L’APR ?
Sans son capitaine, initiateur et visionnaire à bord, certains pensent que le parti au pouvoir risque de sombrer, s’il ne dispose pas d’un leader charismatique, susceptible de fédérer toutes ses composantes et forces alliées
Le renoncement du Président de la République, Macky Sall, pour une 3e candidature occupe toujours le cœur des débats politiques au Sénégal. Des analystes politiques s’interrogent sur le devenir, la posture et les perspectives de l’Alliance pour la République (Apr). Sans son capitaine, initiateur et visionnaire à bord, certains pensent que le parti au pouvoir risque de sombrer, s’il ne dispose pas d’un leader charismatique, susceptible de fédérer toutes ses composantes et forces alliées. D’autres soutiennent qu’avec un candidat de consensus, ce parti pourrait résister au temps et réussir une pérennisation de ses acquis.
La politique est un art très complexe. Difficile de cerner les contours de cette discipline pour ne dire science politique. Surtout au Sénégal où l’évolution politique très rapide fait perdre de sérieux détails à des experts politiques. Le cas de l’Alliance pour la République, avec le renoncement de son chef à une troisième candidature, constitue une équation difficile à résoudre. Certains de nos interlocuteurs pensent que le devenir, la posture et les perspectives de ce parti risquent de tendre vers un anéantissement si ses membres ne trouvent pas vite une belle pirouette salvatrice. D’autres de nos analystes évoquent aussi plusieurs autres élections en perspective et constatent que l’enjeu n’est pas seulement de se maintenir au pouvoir ou d’exister sur l’échiquier politique. Ils soulignent l’impérative nécessité du contrôle des collectivités territoriales pour éviter un émiettement politique au sein de cette formation.
Il est vrai que pour bon nombre d’observateurs politiques, l’Apr peut bien avoir un candidat qui gagnerait l’élection. Maisil faudrait de manière notoire que le parti puisse mettre entre parenthèses les égos et faire un peu émerger l’intérêt général. Sur ce, l’enjeu serait de faire passer le décret des mains du Président de la République vers le leader choisi. Le combat et le défi seraient de faire en sorte que le décret ne puisse pas leur échapper. Puisqu’en cas de perte, ce n’est pas le décret de Macky Sall qui peut permettre à cette formation politique d’exister. La seule issue trouvée par ces analystes est que chaque membre doitse mobiliser en termes de ressources humaines et financières pour pouvoir permettre à cette formation politique d’exister et consolider les acquis que Macky Sall leur a légués.
Sous ce registre, les experts politiques recommandent à l’Apr de prendre son destin en main en tant que parti politique. Mais aussi, disent-ils, ce parti doit se préparer à toutes les éventualités. D’où une longue marche. Seulement, en dehors du Président Macky Sall, tous les autres leaders sont presque pareils. Alors, si leur leader perd son poste de Président, il pourra garder toute son autorité sur son parti et son aura au niveau national et international va rester intacte.
Un candidat de substitution…
L’autre crainte reste la fragilisation de l’Apr avec le départ de beaucoup d’opportunistes. Fac à cette situation, il y a de réels risques d’aller vers des élections législatives anticipées. Puisqu’aucun nouveau président, regrette-t-on, ne restera avec cette Assemblée nationale aux députés « inconnus ». Pour eux, l’Apr a tout intérêt à se souder davantage, à travailler et à rêver du retour au pouvoir du Président Macky Sall si jamais leur candidat perdait la prochaine présidentielle. D’après ces analystes, l’Apr a intérêt à se surpasser afin de dénicher un candidat de substitution. Mais, ils préviennent qu’il ne sera pas une mince affaire dans la mesure où ce parti n’est pas structuré de manière à faciliter cette lourde tâche. Au-delà des émotions, instruit-on, le parti doit pouvoir se rassembler autour d’une personnalité consensuelle, capable de les mener vers la victoire. Sinon...
Abdou Khadre Sanokho, sociologue « Apr doit faire sa mue… »
Le sociologue Abdou Khadre Sanoko considère que l’enjeu n’est pas seulement de se maintenir au pouvoir ou d’exister sur l’échiquier politique. L’enjeu non plus, n’est pas que présidentiel, il y a les législatives et le contrôle des collectivités territoriales. Il constate que lorsqu’on perd généralement le pouvoir, on risque un émiettement politique au sein de sa formation. Et c’est le combat et le défi qu’il faudra relever et faire en quelque sorte de rester uni et digne dans la déception. Puisqu’en politique tout est possible. « L’Apr peut bien avoir un candidat qui gagnerait l’élection. Tout est possible en politique. Mais, il faudrait de manière notoire qu’elle (Apr) puisse mettre entre parenthèses les égos et faire un peu émerger l’intérêt général du parti », relève le sociologue, Abdou Khadre Sanoko .
Apr sans le décret de Macky Sall
Le sociologue précise que l’enjeu serait de priver des décrets présidentiels et autres nominations de complaisance pour accompagner et soutenir le leader désigné sur le terrain politique. Comme quoi, le véritable combat c’est de serrer les reins « En réalité, ce n’est pas impossible. C’est vrai qu’ilssont en très mauvaise posture. Mais, ils constituent aujourd’hui la majorité. Il leur reste sept ou huit mois pour dérouler la mise en œuvre des politiques de reconquête. De ce point de vue, il faudrait qu’ils fassent tout pour ne pas perdre ce décret et ne pas faire changer juste demain afin qu’il reste entre leurs mains », préconise-t-il.
Consolidation des acquis légués
Abdou Khadre Sanoko souligne que les responsables de l’Apr sont appelés à l’unité et à la solidarité pour exister et consolider les acquis que Macky Sall leur a légués. « Comme ce fut le cas du Pds qui a existé malgré l’effondrement du décret de Wade. Il faut rester digne. Mais fondamentalement, il y aura des saignées. Il faut ouvrir la porte grandement à ceux qui veulent partir et miser sur un leadership consensuel. Avec ce leader-là, qu’il puisse se reconstruire et pouvoir pérenniser l’ancrage territorial et le maillage national avec les gens qui croient à leurs idéaux. Ce n’est pas facile. Car, si on perd le pouvoir, les gens désertent le parti. Mais ce sera à eux d’avoir la ligne directrice nécessaire de pouvoir orienter tout le monde vers une vision commune », tranche le sociologue. Il souligne en même temps, qu’il revient à tous ces gens qui réclament le bon profil pour pouvoir représenter la destinée du parti de réussir à gérer cette situation
Abdou Khadr Sanoko les conseillerait politiquement de ne pas aller vers une coalition ou une coalition complètement différente de Bby. « Il faudrait que l’Apr sache ce qu’il pèse au niveau national avant d’aller avec d’autres soutiens au sein de la coalition. Ce parti n’a pas eu le temps de pouvoir solidifier ses racines au niveau de cet échiquier politique », a rappelé le sociologue. Il indique qu’en tant que parti démocratique, elle doit permettre le débat et les ambitions pour faire face aux autres jeunes loups qui sont sortis de nulle part. Ces jeunes leaders, très coriaces, se sont aujourd’hui bien installés dans l’opposition. Ce n’est pas une mission impossible. Le sociologue les exhorte à avoir beaucoup plus de tactiques et de munitions pour relever le défi.
Assane Samb, journaliste-politologue: « L’APR va perdre des plumes avec le départ des opportunistes »
Le journaliste-politologue Assane Samb ne manque pas de signaler que même s’il y aura des frustrations sur le candidat choisi, beaucoup savent que leur chance reste dans le parti. Puisque seuls, ils ne pourront pas exister comme Mimi Touré qui est parti un peu plutôt. Elle a eu du mal à se faire une vie politique radieuse et rayonnante. « L’Apr va perdre des plumes. Beaucoup d’opportunistes vont quitter. Mais elle ne sera pas comme le Pds ou le Ps. C’est dans la manière dont le Président est parti. Macky est parti avec élégance, ils ont beaucoup de sièges construits et des structures solidement installées. Ils continueront à y croire et gagner des élections locales et législatives. On risque d’aller vers des élections législatives anticipées. Aucun nouveau président ne restera avec cette Assemblée nationale. Le parti a tout intérêt à beaucoup travailler et rêver du retour au pouvoir du Président Macky Sallsi jamais leur candidat perdrait », déduit le journaliste-politologue.
M. Assane Samb a rappelé le cas de Poutine qui a aussi honoré sa Constitution. Le Président Russe est parti à la fin de son mandat. Il a laissé le pouvoir à son Premier ministre. Ensuite, il est revenu aujourd’hui au pouvoir. D’après l’analyste, l’Apr doit s’adapter à ce genre de situation. Il va devoir sa survie à sa capacité d’adaptation par rapport au contexte. « L’Apr doit faire peau neuve avec cette nouvelle dynamique. Il faut que le directoire du parti sache décentraliser les titres de décisions avec les cadres et savoir leur faire confiance », conclut-il.
Pr Moussa Diaw, analyste politique: « Apr a intérêt à se surpasser pour un leader politique de substitution »
Pr Moussa Diaw trouve que ce vide laissé par Macky Sallsera difficile à combler au regard du temps qui reste pour une compétition électorale d’importance capitale. Il précise qu’il s’agit d’élire un Président de la République. « L’APR a intérêt à se surpasser afin de dénicher un leader politique de remplacement. Ce qui ne sera pas une mince affaire dans la mesure où ce parti n’est pas structuré de manière à faciliter cette lourde tâche. Au-delà des émotions, le parti doit pouvoir se rassembler autour d’une personnalité consensuelle capable de les mener vers la victoire.
L’exercice sera difficile et exige que lesleaders du parti taisent leurs divergences et guerres intestines pour s’accorder sur un principe de sauvetage de leur formation politique pour l’ancrer dans le paysage politique », a recommandé l’analyste politique, Pr Moussa Diaw. Sur ce point, instruit-il, le Président sortant pourrait les aider à s’unir et à déterminer une ligne de conduite sans laquelle, l’APR sera menacée de disparaître à l’image de formations politiques qui s’identifient à un leader unique.
Pr Moussa Diaw a trouvé que les perspectives de l’Apr sans le président Macky au pouvoir resteront problématiques. Puisque le parti s’est adossé à son fondateur et leader autour duquel dépend son existence. Lesressources proviennent de la position de pouvoir qui donne l’accès aux moyens de produire et d’entretenir une certaine clientèle politique et de participer à la capacité re-distributive. « La fin de ce pouvoir correspond au tarissement des ressources provenant des fonds politiques. Ces supports financiers constituent un apport inestimable pour la survie et les efforts de mobilisation du parti.
Sans ce pilier, le parti court le risque de rester en berne pour le temps qui lui reste de son existence. Le défi à relever est de trouver un leadership incontesté pour refonder le parti, l’adapter aux nouvelles réalités politiques et surtout construire un programme pour l’avenir », suggère-t-il. Malheureusement, au-delà du Sénégal émergent, il ne pense pas que le parti puisse affronter tous ces défis de par son fonctionnement interne, ses divergences profondes entre leaders et son manque de projet d’avenir.