«QUI RÈGNE PAR L’ÉPÉE PÉRIRA PAR L’ÉPÉE »
Chroniqueur à la RFM, le journaliste Abdoulaye Cissé analyse, pour « EnQuête », cette crise qui éclabousse le parti de Maitre Abdoulaye Wade
Cette défiance de caciques comme Oumar Sarr, Me Amadou Sall et Cie ne vient-elle pas tardivement ?
Ce n’est pas une question d’opportunité du moment, mais plutôt l’ultime bataille de survie que ces caciques, comme vous dites, doivent mener, s’ils veulent continuer à exister. Il faut avouer que le secrétaire général national du Pds ne leur laisse pas trop le choix : c’est soit s’aligner ou disparaître. Si vous prenez le seul exemple d’Oumar (Sarr), puisque vous le citez, s’il s’aligne, il n’est plus rien politiquement, pour parler de façon triviale et terre à terre. Donc, il faut bien faire des effets de manches, ne serait-ce que pour essayer de ramener Wade à reconsidérer sa nouvelle nomenclature. L’histoire du Pds a montré que face à Abdoulaye Wade, vous ne pouvez pas lutter de l’intérieur. Ou vous êtes avec lui ou il vous dégage. Et le Pds, à travers ses textes, lui en donne le pouvoir. Comme vous pouvez le voir, aucun de ceux qui sont en disgrâce ne dit que les décisions sont illégales ou infondées. Pour répondre plus directement à votre question : ce n’est pas que ça arrive tardivement, cette révolte des frondeurs, mais c’est maintenant ou jamais.
N’est-ce pas la fronde de trop pour le Parti démocratique sénégalais ?
Quand vous pensez à une fronde de trop, c’est que vous laissez entendre que cela peut exploser le Pds. Honnêtement, je ne crois pas. Ce sera juste une fronde de plus. Mais le Pds restera celui d’Abdoulaye. Honnêtement, vous savez, sans présager de quoi que ce soit, c’est plutôt Abdoulaye Wade qui a les clefs de survie de son parti. Mais on ne va pas se mentir, même si la vie ne tient pas forcément à l’âge avancé, Wade est plus sur la fin de carrière politique et même sur la fin de vie, osons le dire (même si on lui souhaite de rester encore longtemps parmi nous). C’est à lui de choisir de laisser une situation pour que le Pds lui survive. Mais ça, vous savez, ce n’est pas une spécificité du Pds. Trouvez-moi une seule formation sur l’échiquier politique dont on peut présager de l’avenir, à la disparition de son chef du moment. Il n’y en a pas !
On a remarqué que tant que certains responsables étaient dans les bonnes grâces de Wade, ils acceptaient de s’aligner. Une fois en disgrâce, ils brandissent l’argument de la dévolution monarchique. Quelle lecture en faites-vous ?
Je rigole de la question. Puisque la réponse est dans la question elle-même : bien évidemment, ca crève les yeux. Si je veux être cynique jusqu’au bout, je reprendrais le chanteur qui disait que celui qui règne par l’épée périra par l’épée. C’est le même système qui les a faits, ces frondeurs. C’est ce même système qui est en train de les bouffer. Reste à savoir s’ils vont être servis saignants, cuits à point, bien cuits ou mangés tout cru. Tout compte fait, c’est un supplice, ce combat. Ils vont lutter, mais ils vont retenir leurs coups face à Abdoulaye Wade. J’allais dire, presque par courtoisie et par reconnaissance à leur bienfaiteur d’hier. Je ne vois aucun de ceux qui s’opposent aujourd’hui ou plus exactement aucun de ceux qui ne se reconnaissent pas dans les décisions de Wade, aller à la confrontation directe avec Wade, tel un Mohamed Lamine Massaly qui avait entamé de vilipender un Abdoulaye Wade qu’il avait traité de tous les noms au lendemain de la Présidentielle. Tout le contraire d’un terme usité aujourd’hui : “Guerre bi dou meuna saf mondial’’, pour dire que ce ne sera pas une adversité féroce. En revanche, je ne suis pas de ceux qui vont reprocher à Oumar Sarr et Cie d’exprimer leur désaccord quand ils ne sont pas d’accord. Ce n’est jamais trop tard de mener un combat pour un “idéal’’.
Selon vous, Karim Wade est-il le parfait bouc émissaire ou coupable ?
Ecoutez, moi, j’aime qu’on ait de la mémoire. Je ne vois pas un seul de tous ceux qui sont choqués aujourd’hui par les décisions de Wade, s’interposer à l’époque où le vieux s’était pourtant fait plus clair dans sa tentative de dévolution monarchique du pouvoir avec son fameux ticket présidentiel. C’est la particularité au Pds : Karim Wade, comme n’importe quel autre militant ou responsable du Pds, est légitime à prétendre à des responsabilités, pourvu seulement que Wade soit disposé à lui donner et à le consacrer. Au Pds, plutôt que d’aller chercher une base politique et des militants, il faut chercher à être dans les bonnes grâces du “frère secrétaire général’’, comme ils aiment à l’appeler. Wade peut convoquer demain le Congrès du Pds, mais prendre auparavant les mesures pour changer la composition des délégués et des délégations, de sorte à avoir une assemblée du congrès qui lui soit toute acquise. C’est ça le Pds. Les textes du Pds le lui permettent en tant que Sg. Alors, en fin de compte, faut garder le bouc, mais changer d’émissaire. Le combat, c’est de se battre pour changer les textes et les attributs du “seigneur’’ secrétaire général national. Karim n’y est peut-être pour rien. Il a juste le malheur d’avoir les faveurs du décideur. Mais une fois qu’on a dit ça, on comprend que le fonctionnement du Pds est tout sauf basé sur les principes de démocratie interne. Pour un parti dit démocratique, j’avoue que ça l’a fiche mal.