«RIEN DE SERIEUX»
Thierno Bocoum sur le dialogue politique lancé par Macky SALL
En appelant au dialogue politique, le chef de l’État, Macky Sall, serait dans une stratégie de communication, mais rien d’autre. C’est ce que se semble dire, en substance, l’ex-porte-parole du parti Rewmi, non moins patron du mouvement politique Alliance générationnelle pour les intérêts de la République (Agir), nouvellement porté sur les fonds baptismaux. Dans cet entretien accordé à Sud Quotidien, Thierno Bocoum pense que le président Macky Sall veut juste donner l’impression d’un président d’ouverture mais il n’y a «rien de sérieux» dans le dialogue lancé. Cela, même s’il estime qu’il y a lieu de se mettre autour d’une table pour discuter du processus électoral. Il n’a pas manqué d’afficher ses ambitions politiques non sans indiquer clairement que, pour rien au monde, il ne soutiendra le régime actuel en cas de second tours à la présidentielle de 2019.
Lors du lancement de votre mouvement politique, Alliance générationnelle pour les intérêts de la République (Agir), vous avez dénoncé la mise sous écoute des opposants par le régime de Macky Sall. Sur quoi vous fondez-vous pour faire de telles révélations?
Ce n’est pas une révélation. C’est une situation qui est connue de tous. La mise sous écoute des opposants est une pratique ancienne car elle ne procède que d’une volonté de renforcer une stratégie de maintien au pouvoir de la part de Macky Sall. Elle n’a rien à voir avec des questions de sécurité publique ou encore de terrorisme. Le plus grave dans cette affaire est que les fiches de renseignement sont entre les mains de tierces personnes. Ça devient presque du «en veux-tu ? Tiens, en voilà.» Ce n’est pas acceptable que les moindres faits et gestes d’un citoyen quelconque soient sur la place publique à cause d’un dispositif étatique défaillant. C’est inadmissible que soit bafoué et banalisé le droit à la vie privée dans notre pays. C’est aberrant qu’un Sénégalais lambda puisse lire des fiches de renseignement comme s’il s’agissait d’un quotidien de la place.
Si Macky Sall ne peut pas se priver d’épier ses opposants, nous lui demandons, au moins, d’organiser ses services et de ne pas banaliser le renseignement dans notre pays.
En lançant votre mouvement, vous dites refuser de devenir des «complices des prédateurs qui nous gouvernent». Pouvez-vous nous citer quelque chose de concret qui ferait l’objet de prédation ?
Effectivement, nous ne cautionnons pas la façon dont le régime en place gère les affaires publiques. Les scandales sous la présidence de Macky Sall font légion. Nous pouvons citer, entre autre, l’affaire Arcelor Mittal, l’affaire Petro Tim, l’affaire Bigtogo, le TER, le building administratif, l’affaire Total, le cas de Envol immobilier… Avec l’avènement de Macky Sall, nous croyions qu’avec ce jeune président, né après les indépendances, il y aurait une rupture dans la gestion des affaires de la Cité. Ce qu’il avait déjà promis. Mais que nenni. Au contraire, il a empiré les choses. Bien qu’étant jeune, il use de pratiques et de visions archaïques et est totalement incapable de défendre les intérêts de son peuple. Il n’y a que ses intérêts personnels, ceux de sa famille ou de son parti qui importent à ses yeux. C’est une tragédie pour le Sénégal. C’est pourquoi nous trouverons les voies et moyens de mettre fin à ce régime dès 2019. Et, sur cette question précise, je vous assure que les sénégalais en sont suffisamment conscients.
Sur quoi vous fondez-vous pour espérer mener la politique autrement dans un pays où l’argent dicte sa loi ?
Sur la volonté d’une nouvelle génération mue par les intérêts de la République. Cette nouvelle génération qui n’est pas seulement constituée de jeunes, mais de toutes les couches de la société, tous âges confondus, va fonder sa politique sur l’éthique, les valeurs et surtout le patriotisme pour éradiquer ces maux qui gangrènent notre société, afin d’offrir un avenir meilleur à nos enfants. Il s’agit de lutter contre la corruption et la facilité.
Les sénégalais dans leur écrasante majorité ont d’immenses vertus. Notre vision n’est basée que sur les valeurs fondatrices de notre société et de notre système politique. Le système de corruption politique doit finir et laisser la place à un débat serein sur notre économie, notre culture, notre système éducatif ou sanitaire. Bref, sur tous les secteurs qui peuvent impacter sur notre vie au quotidien.
Jusqu’ici, vous n’avez pas donnez les raisons qui vous ont poussé à quitter le parti Rewmi. Pouvez-vous nous dire qu’est ce qui n’a pas marché dans votre relation avec votre ex-leader, Idrissa Seck ?
J’ai déjà expliqué que j’ai quitté le parti Rewmi par convenance personnelle. Je tiens à souligner que j’entretiens toujours de bons rapports avec mon ancien parti. Toutefois, je suis aujourd’hui exclusivement concentré sur les activités et la massification de notre mouvement, AGIR.
Quelle a été la réaction de votre ancien mentor lorsque vous lui avez fait part de votre volonté de quitter le parti?
C’est une réaction qui s’est exprimée en privé et qui restera dans le cadre privé.
Serez-vous candidat à la prochaine élection ?
Cette question est bien évidement sur la table puisque nous considérons que le changement dans notre pays doit être effectif à tout point de vue. Cependant, ce n’est pas moi qui vais décider. Il reviendra aux Sénégalais de se prononcer sur la question le moment venu. Notre mouvement, AGIR, va également se prononcer sur le sujet. Vous pouvez retenir que dans tous les cas, nous serons du côté des populations contre ce régime qui a failli et qui piétine les libertés les plus élémentaires. Vous comprendrez que ce n’est pas une question de personne ou d’ambition personnelle, mais c’est plutôt une question d’intérêt national qui se posera le moment venu.
Etes-vous prêt à soutenir votre ancien mentor au cas où il sort deuxième à la prochaine échéance ?
Je le répète, encore une fois, nous ne soutiendrons pas le régime actuel. C’est une option exclue d’office.
La question de la dette du Sénégal revient chaque jour. Quelle analyse en faites-vous ?
La question revient toujours parce qu’elle est inquiétante. Lorsqu’en 6 ans à peine, la dette publique de l’État double en valeur absolue, il est tout à fait normal que cela puisse alarmer nos partenaires internationaux. Par ailleurs, étant les principaux concernés, cette tendance vers le seuil de 70%, au grand maximum selon les critères de convergence de la zone UEMOA, devrait nous rendre beaucoup plus vigilants. De plus, les chiffres du projet de loi des finances 2018 nous montrent que l’Etat devra payer, au titre du service de la dette publique, 839,8 milliards dont 221 milliards en intérêts.
La dette est caractérisée par deux éléments fondamentaux que sont l’opportunité et la solvabilité du contractant. Bien qu’étant un mal nécessaire dans notre processus d’investissement à grande échelle, il n’en demeure pas moins qu’au Sénégal notre politique d’endettement ne suit aucune étude sérieuse de ces deux éléments précités. L’exemple patent que l’on pourrait citer est la dette contractée pour un TER qui dessert un aéroport déjà accessible via une autoroute.
En plus de n’être aucunement rentable, cet endettement abusif démontre un manque total de priorisation de la part de l’Etat. En effet, lorsque l’on préfère favoriser des projets qui n’auront aucune retombée économique immédiate pour les populations, comme c’est le cas avec la construction du Centre de conférence Abdou Diouf pour un coup de presque 60 milliards de nos francs, alors que des déficiences sont notées dans quasiment tous les secteurs (santé, éducation, agriculture, industrie…), il devient nécessaire que le but de ces emprunts soit revu.
Quant au problème de solvabilité, il est intrinsèquement lié à la stabilité politique du pays et à sa croissance. La stabilité politique est un gage de solvabilité que plusieurs générations ont mis entre les mains du régime actuel à travers un comportement responsable et patriotique.
Quant à la croissance de notre pays, elle est portée par l’investissement. La valeur ajoutée créée par la dette s’appuie sur le PIB, avec une forte dépendance de la plus value créée par les entreprises.
Malheureusement, cette plus value n’est pas en faveur du secteur privé national, mais plutôt contribue à engraisser des multinationales étrangères. Il nous est, par conséquent, loisible de fêter un taux de croissance évolutif. Mais c’est une croissance que nous créons à travers un emprunt abusif et au profit d’une évasion de nos capitaux.
Aujourd’hui, qu’auriez-vous proposé comme politique économique, si vous étiez à la tête du pays ?
Notre politique économique aurait été empreinte de patriotisme. Nous avons des fleurons qui ont déjà fait leurs preuves à l’échelle nationale comme internationale. C’est l’exemple des BTP. Nos champions dans ces secteurs doivent non seulement rafler tous les marchés nationaux, mais ils doivent être armés pour aller à l’assaut du marché international. Dans les autres secteurs, notamment l’agriculture, les hydrocarbures, les énergies renouvelables... l’État doit favoriser l’éclosion de champions nationaux. C’est la seule et unique voie pour assurer une croissance qui profitera à nos compatriotes et qui sera créatrice d’emplois.
Nous devons également veiller sur nos PME, en redoublant d’efforts pour leur accès au crédit, en les accompagnant et en facilitant leur accès à la commande publique.
Nous ne devons pas nous inquiéter de la situation catastrophique du chômage dans notre pays quand nos PME sont ignorées et maltraitées et que l’Etat veuille se substituer à elles pour être le principal pourvoyeur d’emplois.
Nous avons un projet sérieux pour le Sénégal. Nous sommes en train de travailler sur notre programme qui est très ambitieux. Le moment venu, nous allons le dévoiler aux Sénégalais et vous allez voir que notre projet est concret et pourra véritablement apporter le changement tant attendu par les populations.
On ne vous entend pas trop sur le dialogue politique initié par le régime de Macky Sall, via son ministre de l’Intérieur. Qu’est-ce qui justifie votre silence ?
Le sujet, ce n’est pas le dialogue politique, mais c’est plutôt le processus électoral. C’est le processus électoral qui est problématique. Le dialogue politique tel que défini par Macky Sall, dans sa phase révélatrice, entre dans le cadre d’une pure stratégie de communication politique. Rien de sérieux. C’est juste une manière de se donner l’image d’un président d’ouverture et de dialogue. Je pense qu’il faut renforcer le dialogue institutionnel en respectant les droits de l’opposition à l’Assemblée nationale et en mettant en place le Statut de l’opposition. Le dialogue entre une opposition et un pouvoir doit être du sérieux quand il est nécessaire. Les appels sporadiques et calculés du président ne sont qu’une forme de ruse qu’il faut royalement ignorer. Que le pouvoir exerce ses prérogatives, que l’opposition s’oppose. Le tout dans le respect strict des lois de notre pays.
Ne pensez-vous pas qu’il y a vraiment urgence et nécessité que les acteurs politiques se retrouvent autour d’une table pour parler du processus électoral et autres questions de démocratie ?
La question du processus électoral, par contre, doit effectivement être réglée. Je ne pense pas que c’est en croisant les bras qu’il va être réglé. Croiser les bras, c’est laisser l’initiative à un président de la République qui est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. Or, un processus électoral crédible est le seul moyen de renforcer la démocratie et de permettre d’aller vers des élections libres et transparentes.
Donc, il faut nécessairement agir. Soit se mettre autour d’une table et imposer le respect des acquis démocratiques, soit décliner un plan d’action de lutte pour le respect de ces acquis. Si l’opposition n’agit pas, on risque de se trouver dans la même situation que lors des élections législatives passées. On se mettra à contester après les multiples forfaitures, mais la vie institutionnelle continuera comme si de rien n’était. C’est tout ce qu’il faut éviter.