SOUMAÏLA CISSÉ DÉFIE IBK
L’ancien président de la Commission de l’Uemoa, devenu chef de file de l’opposition malienne, juge anormal le fait de voir le Sénégal hors du G5 Sahel et compte se battre pour son intégration dans cet ensemble une fois élu à la tête de son pays
L’ancien président de la Commission de l’Uemoa, devenu chef de file de l’opposition malienne, juge anormal le fait de voir le Sénégal hors du G5 Sahel et compte se battre pour son intégration dans cet ensemble une fois élu à la tête de son pays. Dans un autre registre, Soumaïla Cissé qualifie d’«échec sur toute la ligne» le bilan de l’actuel Président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta. De passage à Dakar, ce candidat à la prochaine Présidentielle malienne – sa deuxième tentative après celle malheureuse de 2013 – évoque aussi la situation au Nord Mali et son programme.
Protéger, rassembler et servir ont été les maîtres mots de la Déclaration de politique générale du Premier ministre malien, Soumeylou Boubéye Maïga. Votre commentaire ?
Je n’étais malheureusement pas à Bamako pour participer en tant que député, mais il est évident que vu le nombre de mois qui restent, l’ambition ne doit pas être trop forte, trop grande. On peut dire beaucoup de choses, mais il faut voir concrètement qu’est-ce qui peut être fait aujourd’hui. Les objectifs sont relativement limités si on veut vraiment bien réussir. D’abord, il faut bien organiser les élections qui arrivent dans 2 ou 3 mois. Le reste, c’est de continuer à se battre pour qu’il y ait plus de sécurité, moins d’attentats, moins de terrorisme. A part cela, tout le reste, le développement, les problèmes sociaux… le Premier ministre, le gouvernement ne peut avoir qu’un accompagnement.
L’ambition affichée est trop large pour les 2 à 3 mois qui restent pour que ça ne soit pas quelque part aussi un catalogue de bonnes intentions. Ceci dit, les défis sont importants. Nous sommes à la croisée des chemins. Il faut absolument que nous puissions retrouver une crédibilité par des élections, un régime crédible, puis responsable et qui puisse faire face à la situation à venir. C’est pour cela que le gouvernement doit s’atteler à avoir des élections transparentes à bonne date, crédibles et qui ne jouent pas avec la démocratie. Cela doit être le principal objectif. Le reste, c’est la vie courante, parce qu’aucune réforme importante et sérieuse ne peut être envisagée dans le temps qui reste. Mais quand on voit le régime depuis le départ, on se retrouve avec 5 Premiers ministres en 5 ans, il y a manifestement un vrai problème de casting dans cette affaire. Et cela interroge la gouvernance, la vision pour l’avenir. A mon avis, c’est une déclaration pour respecter la Constitution. Il aurait pu ne pas la faire et cela n’aurait pas changé grand-chose. C’est bien qu’il ait respecté la Constitution. On va juger maintenant à la fin du mandat ce qu’il a pu faire par rapport à cette déclaration.
Le Premier ministre a promis d’organiser des élections apaisées, transparentes et crédibles. Etes-vous rassuré ?
Ce n’est qu’une promesse. Je veux leur faire confiance. Dans tous les cas, il n’y a pas de plan B. Le Mali est dans une situation aujourd’hui où il faut absolument faire les élections. Il n’y a pas d’autres solutions. Autrement dit, c’est l’aventure tout simplement. La Constitution ne prévoit pas autre chose. Et une aventure, c’est une rupture. Ce n’est bon ni pour le pays ni pour ceux qui gouvernent encore moins la classe politique elle-même. Nous, qui sommes dans l’opposition, militons aussi pour qu’il y ait des élections à bonne date. Nous nous battons pour que ces élections soient crédibles, transparentes et que les résultats soient acceptés non seulement par les Maliens, mais aussi par la communauté internationale. C’est pour cela que nous avons peur d’une crise post-électorale. Nous nous sommes battus en participant à toutes les rencontres sur notre initiative pour qu’on discute de la loi électorale. La deuxième précaution que nous avons prise, c’est de demander au Conseil de sécurité de certifier les élections au Mali comme cela été fait en Côte d’Ivoire pour éviter des contestations qui peuvent être préjudiciables au pays et à sa stabilité même quelque part à son existence. Ce sont des dangers très graves qui planent au-dessus du pays. Au-delà des déclarations de principe, ce ne sont que des déclarations. Nous sommes un peu comme Saint Thomas, nous allons croire ce que nous allons voir.
Vu la situation dans le nord du Mali, est-ce qu’il ne serait pas préférable de faire un report ?
Oui, mais reporter pour combien de temps ? Si on fait ça, cela fait déjà 5 ans que l’Etat n’y est pas présent et on va encore faire d’autres 5 ans, la situation s’empire. S’il n’y a pas un gouvernement crédible, on ne peut pas avoir de solution. D’abord si on doit reporter, c’est sur quelle base ? Le Président actuel, son mandat est fini de par la Constitution. Il ne peut être prolongé en aucune façon. Et puis, quelles sont les forces qui vont décider qu’il soit prolongé ? Sur quelle base ? Donc, on va rentrer dans de l’informel et ce n’est pas bon pour une République. Elle a des lois qu’il faut appliquer. Si les élections doivent se faire à minima, il faut qu’elles se fassent à minima. Il faut que le Président élu soit légitime, pas un Président de consensus ou copté ou arrangé. Cela peut être fait, mais quand il y a une situation exceptionnelle, il faut sortir par le haut. Si on sort par le bas, on court l’aventure. Et l’aventure, c’est de se mettre d’accord dans une transition. Et les transitions que je connais en Afrique sont militaires. Je n’en connais pas d’autres parce qu’il n’y a aucune raison qu’on se mette d’accord sur un tel ou un tel autre et surtout pas sur un Président qui n’a pas réussi. S’il avait encore réussi, mais non. C’est sous son régime, sous sa direction, que le pays s’est enfoncé davantage. L’insécurité est devenue plus grande. On a des bagarres intercommunautaires aujourd’hui et les foyers de tensions se sont déplacés du nord vers le centre et vont continuer à se déplacer vers le reste du pays sans compter les conséquences sur les pays voisins, en particulier le Burkina et le Niger.
Durant ces 5 ans au pouvoir, le Président IBK a réussi quand même quelque chose…
Dites-moi ce qu’il a fait !
Le Premier ministre a donné des chiffres sur les réalisations sociales du gouvernement…
Mon parti (Ndlr : Union pour la République et la démocratie (Urd)) a des écoles. Eux, ils ne peuvent pas montrer une école. Moi, je peux vous montrer l’école que j’ai faite sur vidéo.
Vous voulez dire qu’en tant qu’opposant, vous avez travaillé plus que le Président ?
Il ne l’a pas fait. Il n’a pas construit une seule salle de classe. Une Déclaration de politique générale prédispose pour l’avenir, pas sur le passé. Qu’il dise qu’il va faire des écoles, même une université. En 3 mois, on va faire une université ? En 3 mois, il va faire des ponts, des écoles… ? Mais c’est des catalogues de bonnes intentions. Le bilan est à zéro.
Tout ce qu’on a réussi, c’est qu’on a gagné des matchs de basket, que les jeunes ont bien travaillé (rires). Moi, j’aimerais bien qu’on me dise, mais je n’en vois pas. Oui, il a beaucoup voyagé, acheté un avion, ils ont surfacturé, la corruption a pris le pas, de même que le népotisme, la société civile s’est mobilisée contre lui, les jeunes aussi, ils ont retoqué sa Constitution. Ça ce sont des faits. Ça, je ne l’invente pas.
Les faits sont là, ils sont têtus, mais franchement en 5 ans, sans parler en tant qu’opposant, je ne vois pas de quoi on peut être fier et dire : «Voilà, le Mali a réussi ceci.»
Quelle appréciation faites-vous de la situation au Nord Mali ?
Depuis que le Président est là, la situation s’est empirée. Quand les Français sont intervenus, la situation s’est améliorée. On pouvait aller à Tombouctou et Gao sans problème. Aujourd’hui, on ne peut pas. On ne peut faire aucune route sans être attaqué. Cela veut dire qu’au lieu que ça s’améliore, ça s’est complétement dégradé. Non seulement, ça s’est dégradé au nord, mais aussi au centre qui n’était pas du tout concerné. Il y a des bagarres intercommunautaires : Peulhs contre Dogons, Peulhs contre Bambaras. On a des situations comme ça qui sont là, existent et s’empirent. Donc, la situation s’est dégradée de façon continue depuis que IBK est au pouvoir. Ça c’est une réalité qu’on ne peut pas nier. Donc du coup, l’Administration est absente dans le nord et le centre.
Il y a plus de 500 écoles qui sont fermées depuis bientôt 5 ans. Les enfants ne vont pas à l’école. Il n’y a pas de dispensaires, pas de juges, pas de préfets. Les routes ne sont pas sûres et il y a un couvre-feu quasi permanent sur les 2/3 du pays. A 18 heures, vous ne pouvez plus entrer. Je veux bien qu’on trouve quelque chose de positif dans tout ça. Il n’y en a pas. C’est une réalité.
Le Premier ministre est parti l’autre jour à Kidal, Tombouctou, mais au prix des négociations et d’argent dépensé. Et les images sont là, c’est les drapeaux de l’Azawad derrière lui.
Ensuite, il y a un accord de paix qui piétine. On s’interroge sur la sincérité des acteurs : les mouvements armés, mais aussi le gouvernement. Voilà un accord qui devrait être évalué par trimestre. Chaque trimestre, on aurait dû avoir un rapport qui dit : «Voilà l’état d’avancement.» On est à 2 ans et demie de la signature, il n’y a pas un seul rapport. C’est 10 rapports qui auraient dû sortir aujourd’hui.
A Gao, il n’y a pas de désarment, il n’y a pas de cantonnement, à plus forte raison de réinsertion. Quelque part, il n’y a même pas un vrai cessez-le-feu parce qu’on tire encore. On vous dira : «Oui, il n’y a pas de bagarres directes entre l’Etat et les groupes armés, c’est possible.» Mais le camp était attaqué avec des blindés des Forces armées, des tenues des Forces armées, des tenues de la Minusma, de Barkane. Alors, allez savoir qui est qui !
La France ne constitue-t-elle pas un obstacle au retour de la paix ?
Ça, je ne sais pas. Ce sont des spéculations. Je ne suis pas au sein du gouvernement pour apprécier les choses. Je regarde les choses telles que je les vois. Mais ce qui est sûr, c’est que sans la France en janvier 2013, les jihadistes auraient été à Bamako. Sans la France dans tout le nord, les terroristes auraient avancé avec beaucoup plus de forces, ça c’est une réalité. Maintenant, le seul obstacle c’est le gouvernement qui doit avoir sa capacité de négociation, apprécier la situation, décider si la France reste ou part. Ce n’est pas la France qui s’impose à ce niveau. Elle est venue parce qu’elle a été sollicitée par le gouvernement malien qui doit savoir ce qu’il veut. Qui contracte ? Qui a signé un accord de défense avec la France et toujours pas publié ? Nous, on ne sait même pas trop ce qu’il y a dedans. C’est lui qui est en permanence dans le comité de suivi des accords. Ceci dit, s’il change tout le temps de ministre des Affaires étrangères, de ministre de la Défense, de Premier ministre, ça baisse fortement leurs capacités de négociation.
Est-ce que la France n’est pas en train de protéger ses intérêts avec Areva au Niger ?
Areva est au Niger, il n’est pas au Mali. A mon avis, je suis économiste, je connais les richesses des pays. Qu’un Etat ait ses intérêts, c’est normal ! Les intérêts ne sont pas forcément ce qu’on croit. Les intérêts peuvent être des intérêts d’influence, d’éprouver des machines. Ça peut être des intérêts à très long terme. Franchement, je ne suis pas à leur place pour répondre à leur place. Ce qui est sûr, c’est que le gouvernement aujourd’hui tout seul ne peut pas faire face à la situation. Donc, il a besoin d’aide, que cette aide vienne dans le cadre du G5 Sahel, de la Minusma, d’un accord sur le Sahel global comme Barkane maintenant qui regroupe quand même dans son champ d’actions le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Burkina.
Le Mali est aujourd’hui divisé. Est-ce que vous seriez en mesure de réconcilier ce Peuple une fois élu ?
C’est mon objectif. On va discuter avec les uns et les autres. Ce qui a manqué au Mali jusqu’à présent, c’est d’utiliser un dialogue réel pour que les gens se parlent. Nous avons demandé à l’opposition, ne serait-ce qu’une discussion pour essayer d’avoir des idées. Je ne pense pas aujourd’hui que la solution soit les armes. Aujourd’hui, il faut faire des armes face à des groupes irrédentistes, mais il faut instaurer un dialogue, une discussion franche entre toutes les couches vives du Mali. C’est le meilleur chemin aujourd’hui pour ramener la paix parce que tout le monde est un peu fatigué de la situation qu’il y a aujourd’hui et est conscient que par les armes, on va continuer à s’entretuer sans amener la paix. L’élection présidentielle est un bon moment pour ça. On peut trouver des solutions. Je suis sûr qu’on trouvera des solutions, mais il faut sortir par la bonne porte. Il faut un gouvernement qui est légitime, un Président qui est élu, accepté et on lui fait crédit pour trouver des solutions.
Pouvez-vous réussir là où IBK a échoué ?
Oui. Parce que je suis meilleur que IBK, il ne travaille pas. Il est dans la corruption.
Qu’est-ce qui prouve que vous êtes meilleur que lui ?
Je suis meilleur que lui, parce que tout simplement je l’ai prouvé. J’étais membre du gouvernement pendant dix ans, j’ai mes résultats, ils sont là. J’ai été pendant dix ans à l’Uemoa, mes résultats sont là. Donc je ne suis pas quelqu’un qui est sur des promesses, des nuages. J’ai eu des résultats, j’ai géré le Mali, j’ai géré à l’international. IBK ne peut pas prétendre cela. Et moi je le sais, je le connais. Quand quelqu’un échoue, on le dégage. On travaille avec d’autres, il faut faire confiance à d’autres. Il n’y a pas de personne providentielle sans qui, c’est la mort.
Au début, on avait dit : «Si IBK ne vient pas, il n’y aura jamais la paix. C’est l’homme de ceci.» Mais on a vu aux résultats. Il faut quand même croire à ce qu’on voit. Si vous-même vous venez faire l’interview, c’est parce que le Mali est dans une situation que vous, d’ici au Sénégal, percevez que c’est le ventre mou de la région. Vous percevez que si ça continue au Mali, ça va vous arriver ici au Sénégal comme c’est déjà arrivé au Burkina, au Niger.
Ce qu’il n’a pas pu faire en 5 ans, il ne va pas nous faire croire qu’en 3 mois il va le faire. Ce qu’il n’a pas pu faire en 5 ans, vous lui donnez encore 5 ans, il va s’enfoncer. Il avait tous les atouts en main : le soutien de la junte militaire, des religieux, de la France de façon très forte avec François Hollande, une opinion publique qui n’était pas si hostile que ça.
Vous voulez dire qu’il a été aidé par la France ?
Je n’ai pas dit qu’il a été élu par la France. J’ai dit qu’il a eu le soutien, ce sont les Maliens qui votent. Quand il devait arriver au pouvoir, il n’y avait rien au centre. Il y avait la paix au centre du pays. Il n’y avait pas de guerre intercommunautaire, pas de jihadistes au centre, pas de terrorisme, pas d’embuscades dans le centre du Mali. On pouvait circuler librement. Les choses étaient dans l’extrême nord. A Kidal, on a été faire campagne. J’ai été faire ma campagne à Kidal, de même que lui. Il a fait la campagne en 2013 à Gao, à Tombouctou. Aujourd’hui, lui en 5 ans, il n’a pas mis les pieds à Kidal. Et on a vu dans quelles conditions un de ses Premiers ministres est parti à Kidal, combien de morts. Le dernier qui vient de quitter Kidal, dans quelles conditions il est parti ? A coût de millions pour acheter même les manifestants pour qu’ils ne manifestent pas, pour payer les groupes armés pour qu’ils le laissent entrer, ce qui a coûté plus de 300 millions de francs Cfa pour 4 heures de visite. Vous croyez que ça c’est bien ? Vous croyez qu’un gars comme ça on peut dire que si on ne le change pas… N’importe qui aujourd’hui ferait mieux que IBK.
En quoi se résume la gestion de IBK pendant ces 5 années ?
Ça se résume à des voyages, une corruption qui a pris le pas sur tout, un népotisme qui ne dit pas son nom, un laisser-aller généralisé et à l’échec complet de la politique sécuritaire. Entre-temps, il n’y a eu aucune politique économique réelle. Il n’y a aucun programme social déréglé. C’est l’échec sur toute la ligne, tout simplement.
En parlant de corruption, vous faites référence à quelle affaire ?
Je fais référence à l’avion (présidentiel), aux équipements militaires, aux engrais frelatés, aux tracteurs surfacturés. On peut vous en citer une tonne. Pourquoi le Fmi a rompu avec le Mali ? Au cours des marchés, 60 milliards de francs, on donne des garanties de 100 milliards. Le Fmi a exigé que les ministres quittent. Le ministre des Finances a quitté, tout comme celui de l’Industrie, celui de la Défense qui est aujourd’hui revenu comme Premier ministre.
Le Président lui-même dit : «Ecoutez, je n’ai plus confiance à mon ministre de la Défense.» Il l’a enlevé, puis le ramène. C’est quoi cette gestion ? Aucun des ministres n’a été inquiété. Ils ont quitté, mais sont revenus par l’autre porte. Le ministre de l’Industrie ou je ne sais pas des Investissements est aujourd’hui secrétaire général à la Présidence. Le ministre des Finances est aujourd’hui commissaire à l’Uemoa. On tourne en rond, on ramène les mêmes. On ne peut pas avoir de meilleurs résultats.
Vous décriez la gestion de Ibrahima Boubacar Keïta. Est-ce qu’il y aura une reddition des comptes comme l’a fait Macky Sall avec la Crei au Sénégal ?
Je ne suis pas la politique sénégalaise. Le Sénégal, c’est le Sénégal. Le Mali, c’est le Mali. Quand on sera au Mali, on fera l’inventaire. On fera le point avec des rapports qui existent, on verra ce qu’on peut sanctionner et ce qu’on ne peut pas sanctionner. Vraiment, chaque pays a sa législation, ses habitudes, son histoire. Franchement, il n’y a pas de parallélisme à ce niveau-là.
Le Sénégal, c’est un pays qui n’a pas eu de rupture, où il n’y a pas eu de coup d’Etat, où il y a une Administration. Chez nous, il n’y a rien. Même pas d’Administration qui fonctionne. Franchement, je ne veux pas comparer parce que ce n’est pas le lieu.
Le Premier ministre a donné des gages quant à l’opérationnalisation accélérée de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite au Mali…
Est-ce que vous-même vous y croyez ? Nous sommes en fin avril, mai, juin, juillet, c’est les élections. Ils sont plus préoccupés aujourd’hui à envoyer des cortèges, des trucs dans les régions pour faire la campagne. Ça va s’adresser à qui ce truc de lutte contre la corruption ? A eux-mêmes ? Le Président, le Premier ministre et tous les ministres ? Mais ce sont eux qui sont dedans, leurs noms sont cités, c’est dans tous les journaux.
Le Premier ministre, lui-même, il le sait, a été arrêté en France, libéré après. Quand même, ce ne sont pas des choses nouvelles. C’est faire rêver les enfants. Mais comment, pendant quatre ans et demi, ce qu’on n’a pas pu faire, en trois mois, on va le faire ? Le temps de nommer même les juges, les machins, d’instruire un dossier, le mandat est fini (rires).
Quel est le tempo que vous prendrez une fois au pouvoir ? Sera-t-il économique ?
Non, il n’y a pas de tempo dans un pays. Un pays, c’est tout en même temps. On ne peut pas dire : «Je ne m’occupe que d’économie, je ne m’occupe pas de sécurité. Je m’occupe de sécurité, pas de point d’eau ; de point d’eau, pas d’école, pas de santé.» L’ensemble est important.
Il faut d’abord régler ça, avant ça. Il y a des priorités. Bien sûr qu’il y a des problèmes liés à la sécurité, à l’emploi des jeunes, à l’éducation. S’il y a trois priorités, c’est ça.
Comment comptez-vous faire face à la lancinante question de l’emploi des jeunes et de la sécurité ?
L’emploi des jeunes, c’est un problème récurrent dans tous les pays du monde. Il faut trouver des secteurs qui sont les plus porteurs d’emplois. Parmi les secteurs porteurs d’emplois, il y a tout ce qui concerne l’assainissement, les nouvelles technologies, l’éducation plus adaptée aux conditions des marchés. Par exemple, la santé où moi je suis sûr qu’aujourd’hui, vu l’état de nos écoles, on ne peut pas se permettre le luxe de mettre les enseignants en chômage. Il faut revisiter tout cela et les remettre en chantier, mieux équiper les Armées, mieux les éduquer. Je suis sûr d’une chose, il faut que tout cela soit assis sur un socle : mobilisation globale de la population par le dialogue, discussions, mutualisation des priorités pour qu’il y ait une sorte de force interne en nous qui pousse vers l’avant. Ce n’est pas un catalogue de mesures. Chacun peut sortir les mêmes mesures. Je suis en train déjà de finaliser mon programme sur toutes ces choses.
Quelle politique de bon voisinage adopteriez-vous avec vos voisins, notamment le Sénégal ?
Non, il n’y a pas de problème particulier. Nous sommes dans des organisations communes. J’ai géré l’Uemoa pendant près de 10 ans. Donc je connais les forces et faiblesses de tous les pays. Je sais quelles sont leurs complémentarités. Je sais quelle utilité chacun des pays est avec les autres. On me disait aujourd’hui pour le Sénégal, le principal pays d’échange, c’est le Mali ; même avant la France, le Maroc, la Mauritanie… Donc ça veut dire que les liens sont au-delà de ce qu’on peut penser. Aujourd’hui pour le Sénégal, le Mali est indispensable. S’il y a un port ici, c’est parce qu’il y a le Mali. Les échanges, c’est en ce sens. Aujourd’hui, c’est le principal partenaire d’un pays comme le Sénégal. Donc ce qui se passe au Mali doit intéresser chaque Sénégalais. Si le Mali s’effondre, le Sénégal s’effondrera avec. A supposer qu’il n’y ait aucun camion malien qui vienne chercher la marchandise, le port va fermer.
Un procès de présumés terroristes se tient présentement à Dakar. Le Sénégal est hors du G5 Sahel qui lutte contre les groupes jihadistes. Trouvez-vous cela normal ?
Non, je trouve que ce n’est pas normal. J’en ai discuté avec le Président Macky Sall. Je le lui ai dit. Je trouve que ce n’est pas normal. Donc sur ça, je suis absolument d’accord, le Sénégal devait y être, l’Algérie aussi. C’est clair. Et puis, si on parle de Sahel, les gens ne le savent pas, mais le Sénégal est plus dans le Sahel même que le Mali. Une fois Président, je vais tout faire pour que le Sénégal puisse intégrer le G5 Sahel. Ça me paraît une conviction profonde. L’un des pays qui ont le plus de soldats au Mali, c’est le Sénégal. Le Sénégal a plus de 1 300 soldats au Mali, mais il n’y a pas de raison que le Sénégal ne participe pas au G5 Sahel. Le Sénégal se bat déjà en tant qu’Etat auprès du Mali, a envoyé ses enfants. J’avoue que je ne sais pas pourquoi, mais à mon avis, il devrait y être.