TOUJOURS LE CLAIR-OBSCUR
Même si le Président Macky Sall a martelé qu’aucune pression ne l’astreindra à organiser le référendum, il est patent qu’il est sous pression face à un dilemme cornélien
S’il y a une question qui agite le landerneau politique depuis mars 2012, c’est bien la problématique de la réduction du mandat présidentiel et son application immédiate comme le candidat de l’Alliance pour la République (APR) l’avait promis lors de la campagne de la même année. Ainsi en 2012, sur le perron de l’Élysée, le président de la République, Macky Sall, fraîchement élu, précisait, devant un parterre de journalistes, qu’il réduirait son mandat comme il s’y était engagé. En mars 2013, toujours en terres françaises, il l’a réitéré de façon péremptoire en ces termes : «C’est un choix définitif, je réduirai mon mandat de deux ans».
À l’occasion de la réunion du Groupe consultatif de Paris, en février 2014, il est revenu à la charge en disant : «Cette réforme ramènera à cinq ans, renouvelable une seule fois, le mandat de sept ans pour lequel j’ai été élu. Elle sera d’application immédiate.» Mais par la suite, il a tenu une déclaration qui nuance sa position antérieure et sème le doute sur la tenue sincère de son engagement.
En effet, lors du sommet consacré au financement des infrastructures dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), les 14 et 15 juin 2014, le chef de l’État n’a pas manqué de se prononcer sur ladite question d’une façon nébuleuse. Interpellé là-dessus par Carine Frenk, journaliste à RFI, il a déclaré : «Je ne sais pas combien de fois j’ai déclaré que je réduirai mon mandat à cinq ans. C’est une volonté et une conviction personnelles, mais que là ce n’est pas moi qui fais la loi. Il appartiendra au parlement ou au référendum, selon le schéma qui sera arrêté.»
Cette intervention avait même sorti hors de ses gonds le groupe d’initiative «Ci Laa Bokk» pour la réforme des institutions dirigé par Me Mame Adama Guèye. Dans une lettre ouverte datée du 23 juillet 2014, ladite structure avait mis en garde le chef de l’État contre une éventuelle rétractation discursive : «Le peuple n’acceptera pas un reniement et se mobiliserait comme il l’avait fait le 23 juin 2011 pour s’y opposer.»
Il a fallu attendre le 27 septembre 2014, lors d’une rencontre avec les membres du directoire national de l’APR, pour que le président annonçât sa décision d’organiser un référendum sur la réduction de son mandat de sept à cinq ans. Deux mois plus tard, le 28 novembre, à la veille du sommet de la Francophonie organisé à Dakar, il a tenu sur la chaîne de télévision France 24, à réaffirmer son engagement. «Ce qu’il faut voir, c’est (que) ma décision de réduire mon mandat de 7 à 5 ans n’existe nulle part au monde, avait-il claironné avec force. J’ai voulu donner un exemple, parce que les exemples, il faut se les appliquer si on veut être crédible.» Et Ismaïla Madior Fall, son conseiller juridique, le 13 septembre 2015, lors d’un séminaire de formation de l’alliance «Macky 2012» à Thiès, d’aller plus loin en annonçant pour mai 2016 la tenue du référendum sur les réformes institutionnelles.
On pensait dès lors que cette question était close, mais voilà que le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Abdoulaye Daouda Diallo, remet le débat sur le tapis avec une déclaration qui sème le doute sur la volonté du président d’organiser le référendum de mai 2016. Et revoilà le conseiller juridique qui, dans une interview parue au journal Le Populaire du 14 décembre 2016, comme pour couper court au flot de désapprobations des médias, de la société civile et de l’opposition, reprécise l’idée d’organiser un référendum «vers la fin du premier trimestre 2016». Pourtant ses propos plus ou moins précis n’ont fait qu’accentuer la cacophonie et le flou dans l’espace gouvernemental vu que ce rendez-vous démocratique important n’a pas été budgété, selon Abdoulaye Daouda Diallo, même si une LFR (Loi de finance rectificative) peut être votée à tout moment pour satisfaire un tel besoin.
Quinquennat : un impératif politique
En effet lors d’une récente visite à la Commission électorale nationale autonome (CENA), le ministre de l’Intérieur a fait état de l’absence d’un référendum dans l’agenda électoral de 2016 à 2019. Ce qui a déclenché un véritable déchainement médiatique et un concert de réprobations de la part de l’opposition et de la société civile. Beaucoup de Sénégal perçoivent à travers les propos du ministre de l’Intérieur une volonté du président de la République, une finasserie qui lui permettrait de jauger l’opinion nationale sur la question pour prendre une décision définitive.
Il est clair que le Président est aujourd’hui habité par un doute sur l’opportunité de réduire son mandat de deux ans. Surtout que dans son camp, de plus en plus, le front radical des «nonistes», dirigé par Moustapha Cissé Lô, qui s’oppose à toute idée de réduction du mandat présidentiel, s’élargit. Même si lors de l’Université républicaine de la Convergence des Jeunes Républicains (Cojer), le leader de l’APR fumasse, dans un style de matamore, a martelé qu’aucune pression ne peut s’exercer sur lui pour l’astreindre à organiser le référendum, il est patent qu’il est pathétiquement sous pression parce que faisant face à un dilemme cornélien.
Nous sommes à six mois de la tenue éventuelle du référendum tel que déclaré et réitéré par Ismaïla Madior Fall. Et si l’on se fie aux propos d’Abdoulaye Daouda Diallo, actuellement rien n’est fait dans le sens de la tenue d’une consultation référendaire en mai 2016. On assiste ici au choc antinomique de deux positions émanant d’un même système dont l’inspirateur principal se trouve être le président de la République. En ces temps de tergiversation, de crainte, de scepticisme et d’incertitude sur les chances de victoire à la présidentielle en 2017, les collaborateurs du président de la République sont dans le clair-obscur à propos de la réduction du mandat présidentiel. Ils s’engoncent dans un style amphigourique et dans des circonlocutions qui brouillent et perdent les citoyens.
S’agit-il d’un désordre «ordonné» par le chef de l’État tel que l’a qualifié Alassane Samba Diop, l’animateur de la prestigieuse émission Remue-ménage (RFM), pour prendre une décision définitive sur cette question qui turlupine les Sénégalais ? Ou bien s’agit-il d’une stratégie d’endormissement et de diversion de l’opposition surtout du Pds qui consiste à la désorienter, à l’éloigner des questions d’importance qui devaient les préoccuper telles que la revendication légitime de leur groupe parlementaire et la lutte pour la libération de Karim Wade et autres détenus libéraux ?
Pour une démocratie majeure comme le Sénégal, le président de la République aurait pu nous épargner cet embrouillamini et cette instabilité grosse de danger si, dès l’entame de son mandat, les réformes institutionnelles étaient votées et la réduction du mandat réglée. Quand on promet de procéder à des réformes dans une campagne électorale, c’est parce qu’on les juge utiles, voire urgentes, pour mener à bien sa politique. Aujourd’hui, après presque quatre années d’exercice du pouvoir, si le Président continue ses atermoiements et louvoiements pour soumettre au peuple les réformes proposées par la Commission nationale des Réformes institutionnelles (CNRI) dirigée par Amadou Mokhtar Mbow, c’est parce que celles-ci ne lui semblent pas nécessaire pour accompagner sa politique.
Pourtant une réforme comme la réduction du mandat présidentiel est un impératif politique et une exigence démocratique parce que le passage du septennat au quinquennat constitue la marque d’une rupture définitive avec les formes d’un monarchisme dans nos institutions et insuffle la modernité dont la République a besoin. Une mandature (présidentielle, parlementaire, locale) doit être équilibrée. Longue, elle mène à l’usure ; courte, elle plonge dans l’instabilité. Un quinquennat est donc d’essence plus moderne, plus démocratique dans la mesure où il permet au peuple souverain d’intervenir régulièrement et sans lassitude dans la conduite des affaires politiques.
Ainsi le remplacement du septennat par un quinquennat est devenue une exigence citoyenne, républicaine et est d’une importance capitale puisqu’il sort le pays de cette instabilité virtuelle ambiante, le délivre de cette violence verbale des acteurs politiques et de la société civile qui, à brève échéance, risque de se traduire en une confrontation physique mortifère. Et le seul responsable d’une telle situation serait le président de la République qui semble de plus en plus douter de ses réelles chances de gagner une présidentielle tenue en 2017.