UN ACTE DE LÉGALITÉ OU UNE FORFAITURE ?
Ce décret révocatoire est, de façon larvée, une injonction adressée aux magistrats de la Cour suprême pour donner l’estocade au maire de Dakar déjà mal en point
Condamné en première instance et en appel pour faux et usage de faux en écritures de commerce, dans un document administratif et escroquerie portant sur des deniers publics, Khalifa Sall, le maire de Dakar, vient d’être révoqué de ses fonctions de maire de la capitale en vertu des dispositions des articles 135 et 140 du Code général des collectivités territoriales. Mais si certaines voix s’élèvent pour décrier la célérité et l’illégalité de ce décret révocatoire au moment où toutes les voies de recours ne sont pas complètement épuisées par les avocats de la défense, d’autres soupçonnent des manœuvres de récupération de ce fief de Taxawu Dakar.
En 1976, Lamine Diack, alors président du Conseil municipal de Dakar, fut accusé de faute de gestion pour avoir engagé les travaux de construction de l’hôtel de ville de Dakar sans autorisation de la tutelle alors que la gestion du budget municipal relevait du gouverneur de Dakar et non du président du Conseil municipal. La conséquence fut une révocation en 1978 signée par le président Senghor.
40 ans après, le maire de la même ville, en l’occurrence Khalifa Sall, est révoqué à tour par Macky Sall, 4e président de la République du Sénégal. Poursuivant l’édile de Dakar sur la base de l’article 140 du Code général des collectivités territoriales (CgCt) en ses points 4 (faux en écriture publique authentique visés au Code pénal) et 5 (faux commis dans certains documents administratifs, dans les feuilles de route et certificats visés au Code pénal), le président de la République s’est appuyé sur l’article 135 du CgCt pour le révoquer. Ledit article stipule que« lorsque le maire ou tout autre conseiller municipal est condamné pour crime, sa révocation est de droit. Les Maires et adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par un arrêté du Ministre chargé des Collectivités locales pour un temps qui n’excède pas un mois et qui ne peut être porté à trois mois que par décret ».
La légalité, l’opportunité et la moralité de la révocation du maire de Dakar font aujourd’hui l’objet de plusieurs polémiques. si d’aucuns estiment que le décret présidentiel révocatoire est de nul effet parce que la procédure judiciaire n’est pas encore arrivée à terme puisqu’il reste le pourvoi en cassation, du côté de la mouvance présidentielle, on soutient que la décision présidentielle est légale dès lors qu’on parle de condamnation au début de l’article 135. Cela dit, et qu’on le veuille ou non, ce décret viole la présomption d’innocence du maire de Dakar dès lors qu’il n’y a pas encore autorité de la chose jugée dans l’affaire qui le concerne. L’invalidation du principe de la présomption d’innocence ne peut intervenir que par la condamnation légale définitive de Khalifa Sall. Or, ilse trouve que l’édile de Dakar n’est pas encore définitivement condamné même si les deux premières instances (tribunal de grande instance et Cour d’appel) ont prononcé contre lui une peine d’emprisonnement ferme assortie d’une amende pécuniaire). Par conséquent, et normalement, M. Khalifa Sall bénéficie toujours de la présomption d’innocence. en outre, le docteur Yaya Niang précise que « la sanction de révocation du maire Khalifa Sall est prise en application de la décision de la Cour d’appel. Or, le recours en cassation, compte tenu de l’article 36 de la loi organique portant Cour suprême, dirigé contre cette décision de la Cour d’appel, est suspensif. C’est dire que le pourvoi en cassation neutralise tout effet de la décision de la Cour jusqu’à l’intervention de la décision de la Cour suprême du fait de l’effet suspensif de ce recours ».
Ce décret révocatoire est, de façon larvée, une injonction adressée aux magistrats de la Cour suprême pour donner l’estocade au maire de Dakar déjà mal en point. Le président sall influence l’issue d’une affaire pendante devant une juridiction compétente. et il serait impensable qu’un magistrat de la juridiction suprême prononce une décision qui irait à l’encontre du message sibyllin que contient le décret présidentiel. Dans l’affaire Karim Wade portée au niveau de la Cour suprême, seul l’avocat général, M. Ousmane Diagne, a eu le courage de demander à la haute juridiction de prendre ses responsabilités et d’ordonner l’inscription de Karim Wade sur les listes électorales tout en précisant aussi que les fonctionnaires du ministère de l’intérieur ne peuvent pas se substituer aux juges qui doivent trancher les questions électorales. Hélas, à l’arrivée, le juge Abdoulaye Ndiaye a dit que sa juridiction était incompétente pour connaître de cette affaire, confirmant ainsi la décision du tribunal d’instance de Dakar. Lequel s’était lui aussi déclaré incompétent !
C’était prévisible parce que suivre le réquisitoire de l’avocat général aurait signifié désavouer le ministre Ali Ngouille qui est la voix de son président de la République de maître. Ce dernier, lors du lancement de sa campagne pour la collecte des parrainages avait sorti les foudres de Jupiter pour menacer tous les téméraires qui oseraient manquer de respect à la justice. encore faudrait-il que cette justice elle-même mérite le respect des citoyens… pourtant, s’il y a quelqu’un qui passe tout son temps à décrédibiliser l’institution judiciaire, c’est bien le président Macky Sall. Qui a mis sous son coude des dossiers qui demandent des poursuites judiciaires ? Qui passe tout son temps à influer sur les nominations et affectation de juges au sein du Conseil supérieur de la magistrature ? Qui a fait de l’exception des consultations à domicile une règle ? Qui a convoqué au palais de la République le gratin judiciaire pour instruire le procès de Khalifa Sall avant le déclenchement de l’action publique contre le maire de Dakar ? Qui protège les transhumants qui ont pillé les deniers de la République ?
On pourrait multiplier à l’infini les nombreux cas où le chef de l’état a manqué de respect à la justice. pour en revenir à la révocation de Khalifa Sall, il faut souligner que la concomitance de la condamnation de la Cour d’appel et la signature du décret révocatoire mettent à nu la collusion des institutions exécutive et judiciaire et l’empressement du palais à vouloir ensevelir entièrement un très sérieux adversaire politique. si le président est astreint par l’urgence à décharger Khalifa Sall de ses fonctions de maire, c’est parce qu’il y a une course contre la montre sous tendu par l’objectif de mettre ce dernier littéralement hors-course à la prochaine présidentielle. Le plus tôt étant le mieux, en tout cas avant décembre, date du dépôt des candidatures à la présidentielle devant le Conseil constitutionnel. La même chose est valable pour Karim Wade. Mais aussi, pour le temps qui reste d’ici les élections locales — prévues dans un an —, le président ne veut-il pas user de manœuvres pour placer un de ses éléments à la tête de la stratégique mairie de Dakar ? Mais une chose est sûre : il n’y a pas possibilité d’installer une délégation spéciale pour remplacer Khalifa et son équipe si l’on en croit Massène niang. « Je signale que les fautes qui lui sont reprochées (ndlr, au maire révoqué)ne sont pas les fautes du Conseil municipal, donc on ne saurait parler de délégation spéciale, qui est la sanction prévue en cas de faute du Conseil municipal.
Le Conseil municipal n’a pas commis de faute. Selon la justice, c’est le Maire et ses collaborateurs qui sont fautifs. Il n’y a donc pas possibilité de délégation spéciale », précise l’expert en décentralisation. « Aujourd’hui que Khalifa Sall est révoqué, il sera remplacé par un autre conseiller élu par le Conseil municipal. Il y a une période intérimaire durant laquelle, le maire sera remplacé par son premier adjoint, ou à défaut, par un Conseiller pris dans l’ordre du tableau du Conseil municipal. L’intérimaire va gérer les affaires courantes, en attendant l’élection du remplaçant. A la fin de cette période intérimaire qui va durer un mois, le Conseil municipal va se réunir pour élire un maire qui aura la plénitude des fonctions du maire révoqué » renseigne Massène Niang. La crainte pour certains, c’est de voir certains conseillers municipaux être « achetés » pour aliéner leur vote. Déjà que certains maires de Taxawu Dakar comme Alioune Ndoye, Jean Baptiste Diouf et Santi Agne ont rallié la mouvance présidentielle. Bamba Fall, nonobstant ses sorties publiques souvent virulentes contre le régime en place, est dans une situation clair obscur. par conséquent, rien n’indique que le président de la République, fin manœuvrier, ne mettra pas en place—si ce n’est déjà fait—un plan d’achat massif de conseillers municipaux. Lesquels qui pourraient alors faire tomber le bastion de Khalifa Sall, inexpugnable depuis presque 10 ans, dans l’escarcelle de la mouvance présidentielle. Ce qui constituerait la seconde mort de Khalifa sall. Mais on n’en est pas encore là…