UN APPEL AU SURSAUT
«Panser l’Afrique qui vient !», c’est régler le problème du chômage, redorer le blason des nos universités, malheureusement devenues «des garderies d’adultes» où règnent "la promiscuité, la précarité, le prosélytisme religieux" - NOTE DE LECTURE
A travers « Panser l’Afrique qui vient », l’auteur Hamidou Anne propose une « froide réflexion » qui ne prétend visiblement pas à l’exhaustivité, mais ne fait de pari que celui de l’honnêteté.
En moins de 100 pages, l’essayiste, par ailleurs doctorant en sciences politiques à l’Université Gaston Berger (Saint Louis, Sénégal), se force à déconstruire le discours ambiant sur le devenir du continent africain.
Dans ce court texte aux allures de manifeste, Anne dissèque les problèmes de l’heure qui minent la jeunesse africaine, en mal de repères, pour apporter sa touche à la réflexion sur l’édification d’un avenir continental.
Face aux mirages de l’émigration clandestine et du chômage chronique, face au risque de verser dans le fondamentalisme religieux, la jeunesse africaine est plus que jamais désorientée, laissée hors des sphères de prise de décision. Elle n’a pas encore d’emprise sur le cours des choses.
Et pourtant un nécessaire travail de sursaut l’attend, lequel doit innerver le terrain économique et surtout politique. Pour cela, selon l’essayiste, il y a un préalable du point de vue conceptuel.
«Le refrain qui fait impérativement de la jeunesse un potentiel est faux (…) elle n’est pas en soi un potentiel ni non plus un handicap, elle est surtout ce qu’elle voudra faire de son corps et ce que l’Afrique voudra en faire dans son principe d’émancipation», souligne Anne, dès le premier chapitre.
Le sursaut de la jeunesse, avant toute action transformatrice, sera d’abord intérieur, une réflexion critique sur les lieux communs et les prêt-à-penser qui ont désormais imposé dans le débat public un discours lénifiant sur l’Afrique qui naguère paria, est subitement devenue le continent du futur.
Ces discours sur le fort potentiel de la jeunesse et sur l’Afrique comme continent de l’avenir, doit passer selon Anne par le filtre de la lucidité qui doit nous amener à « photographier le continent tel qu’il est » et «appréhender notre réalité sans mépris ni fantasme».
Dans la réflexion que propose Anne, un paradoxe est mis en exergue, le portrait «exagéré» d’un continent, porteur de l’avenir du monde dépare avec le spectacle actuel des milliers de morts dans les flots de la méditerranée et le discours de haine porté par des jeunes happés par l’hydre du fondamentalisme religieux.
«Panser l’Afrique qui vient !», c’est régler le problème du chômage, redorer le blason des nos universités, malheureusement devenues «des garderies d’adultes» où règnent «la promiscuité, la précarité et le désespoir, le prosélytisme religieux et la violence politique».
Contre la « caste des smarts » ?
Le style du jeune auteur, un peu dogmatique par-ci et un peu acerbe par là, ne sera sans doute pas épargné par la critique et pourrait certainement en rebuter plus d’un. Mais l’auteur a pris le soin à la page 13 de son ouvrage de clarifier cette option en revendiquant volontairement une absence de «neutralité et d’équilibre».
«Je ne prétends pas être neutre (…) c’est un récit partisan, excessif, virulent mais assumé», se défend-il. Ainsi dans sa volonté de déconstruire, l’auteur s’attaque aussi aux « smarts », terme utilisé dans le livre pour désigner cette jeunesse à l’avant-garde de entrepreneuriat numérique.
A l’époque des concepts galvaudés comme « émergence économique », Anne est d’avis que l’entrepreneuriat digitale indûment érigé en une panacée, est plutôt l’affaire d’une « frange privilégiée » de la jeunesse.
«La misère sévit dans nos pays, et elle ne saurait être masquée par des récits hors sol sur l’émergence, la croissance, le numérique, entrepreneuriat …ou le mobile banking», écrit l’auteur.
Un fil rouge traverse en effet la réflexion de l’auteur qu’on peut résumer ainsi : le discours optimiste sur le futur de l’Afrique demeure on ne peut plus contradictoire au regard du spectacle des morts sur le chemin de l’émigration clandestine, la persistance du chômage, la faim…
Investir le champ politique
L’ouvrage de Hamidou Anne, est essentiellement une critique des «poncifs » de notre époque en même temps qu’un regard désabusé sur l’avenir du continent. Toutefois, l’auteur trouve dans la politique, un moyen pour la jeunesse africaine son sort actuel.
A l’instar de l’historien français Pierre Rosanvallon qui appelait à ne pas laisser le champ politique aux seuls « entrepreneurs politiques », Hamidou Anne est convaincu que la route du futur passe par un engagement en politique.
L’auteur qui trouve dans la politique un exutoire aux convulsions qui minent la jeunesse, propose toutefois une nouvelle forme de participation. Autrement dit, il ne s’agit de se diluer dans le moule actuel mais divorcer d’avec les pratiques imposées dans le milieu politique par des «hommes méprisables».
Dès lors la nouvelle donne que devrait introduire la jeunesse, sera de «dépasser l’activisme et de militer pour des valeurs de justice et d’égalité pour préserver l’intérêt général et tisser un avenir en commun».
Cette nécessité d’épouser la politique est érigée en devoir par l’auteur, un brin dogmatique. Ainsi Anne assimile l’apolitisme à de la lâcheté. La politique est un «horizon émancipateur» pour la jeunesse qui constitue d’ailleurs, la frange démographique la plus importante du continent.
Cet engagement auquel appelle Anne va au-delà d’un militantisme primaire et ne se limite pas à l’adhésion à un parti politique, un acte louable soit dit en passant. Pour Anne, l’heure semble grave et pour la jeunesse africaine, c’est le temps de la prise en charge de son destin. Car il est « urgent pour la jeunesse de purger l’Afrique de son passé, source de son malheur et de son faux départ ».
«Panser l’Afrique qui vient !» a été publié en janvier 2019 aux éditions Présence Africaine.