UN ARRÊT, MILLE POSTURES !
Des acteurs de la société civile, surtout les « droits-de-l’hommistes » sont loin de parler d’une seule voix au sujet de la posture que l’Etat du Sénégal doit adopter face à la décision de la Cour de justice de la Cedeao
Interpellés par Sud quotidien, des acteurs de la société civile, surtout les « droits-de-l’hommistes » sont loin de parler d’une seule voix au sujet de la posture que l’Etat du Sénégal doit adopter face à la décision de la Cour de justice de la Cedeao. Me Assane Dioma Ndiaye de la Lsdh et Sadikh Niass, Secrétaire général par intérim de la Raddho, évoquant le principe de la primauté de la justice communautaire sur les juridictions nationales, sont unanimes à dire que la conséquence de la décision rendue le 29 juin dernier devrait être la libération du maire de Dakar. Pour sa part, Me Pape Séne, président du Comité sénégalais des droits de l’- homme (Csdh) pense le contraire.
ME ASSANE DIOMA NDIAYE, PRÉSIDENT DE LA LIGUE SÉNÉGALAISE DES DROITS HUMAINS (LSDH) : «L’article 62 dit que les arrêts de la Cour de justice ont force obligatoire dès…»
Ce sont les Chefs d’Etat de la Cedeao qui ont souverainement accepté ou décidé d’étendre les compétences de cette Cour à des questions de droits humains dans un souci d’harmonisation des libertés individuelles au niveau de la Cedeao. C’est une Cour qui résulte d’un traité et nous savons que le traité ratifié fait partie du bloc de constitutionnalité par exemple du Sénégal. Et chaque fois que la Cedeao statue sur un dossier concernant le Sénégal, l’Agent judiciaire du Sénégal est représenté. Le deuxième aspect, c’est que le Sénégal a nommé un juge à la personne d’Alioune Sall, professeur agrégé à l’Ucad qui siège au niveau de la Cedeao. L’autre aspect, c’est que l’article 62 qui est accepté par tous les pays du règlement de la Cour dit que les arrêts de la Cour de justice de la Cedeao ont force obligatoire dès leurs prononcés. C’est-à-dire que ces arrêts s’imposent à tous les États…
La Cour de la justice de la Cedeao est habilitée à statuer sur toutes les questions de violation des droits humains dans l’espace Cedeao. Tout citoyen ressortissant de la Cedeao peut saisir cette Cour de justice et les décisions de la Cour s’imposent aux États. Nous espérons, aujourd’hui que le Sénégal n’affaiblira pas ou ne jettera le discrédit sur cette Cour en ignorant une décision qui s’impose à lui et pour laquelle, il a été non seulement représenté à l’audience mais aussi a défendu sa position. Je pense que de ce point de vue, il appartient à l’Etat du Sénégal mais plus encore aux magistrats qui auront à statuer à nouveau sur cette affaire en appel de tirer toutes les conséquences de cette décision. Parce que la particularité de cette affaire, est que la décision ne vient pas après coup. La plupart des décisions en matière de droits humains sont très souvent réparatrices, elles viennent après la commission du mal. Mais, cette fois-ci, la décision a été rendue avant que la Cour d’appel ne statue. Cela est extrêmement important parce que le juge communautaire s’est déjà prononcé de façon définitive.
SADIKH NIASS, SG PAR INTÉRIM DE LA RADDHO :«La décision d’une juridiction supranationale comme la Cour de justice de la Cedeao s’impose aux États membres»
Notre avis est très clair et sans équivoque : la décision d’une juridiction supranationale comme la Cour de justice de la Cedeao s’impose aux États membres parce que ce sont ces États qui ont créé cette cour. Sous ce rapport, les décisions de cette juridiction sont exécutoires. S’agissant du cas Khalifa Sall, la Cour a été saisie sur des cas de violation des principes fondamentaux des droits humains tels que la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable. Elle s’est prononcée et a estimé qu’il y avait vice de procédure par rapport à la violation de son immunité parlementaire depuis son élection jusqu’à la levée de cette immunité. Maintenant, quand il y a vice de forme dans un procès, il faut en tirer toutes les conséquences de droit. Je pense que le juge de la Cour d’appel devrait tenir compte de cette décision de la Cedeao qui peut même servir d’argument pour appuyer sa décision… Je pense que le Sénégal sortirait beaucoup plus grandi en respectant les décisions de la Cedeao parce qu’il n’est pas le seul pays à être condamné. Il y a quelques années, cette même cour de la Cedeao avait condamné le Niger pour esclavage qui est un fait beaucoup plus grave et le Niger avait reconnu ses erreurs… Il ne faut pas le Sénégal suive l’exemple des pays comme la Gambie de Yahya Jammeh. Se conformer à la décision de la Cour n’entravera en rien la politique de lutte contre les détournements de deniers publics ou encore l’enrichissement illicite. Cependant, tout doit se faire dans le respect des normes internationales parce que, en droit, les formes sont aussi importantes que le fond.
ME PAPE SÉNE, PRÉSIDENT DU COMITÉ SÉNÉGALAIS DES DROITS DE L’HOMME (CSDH) :«Il n’y a pas une suprématie de la Cour de la Cedeao sur nos juridictions…»
La Cour de justice de la Cedeao est une juridiction en matière de droits humains et non une juridiction répressive encore moins correctionnelle. Elle a compétence sur toute l’étendue de la zone Cedeao. N’importe quel citoyen de la Cedeao même en dehors d’un procès pénal peut saisir cette juridiction communautaire s’il estime que l’Etat auquel il est rattaché a violé un de ses droits…. La Cour dit que je ne peux dire à l’Etat du Sénégal de libérer Khalifa Sall ou encore d’arrêter les poursuites à son encontre mais, je me limite simplement à ses droits humains qui ont été violés et en guise de réparation du préjudice subi, j’ai sanctionné l’Etat du Sénégal. Pour le reste, ce sont des considérations personnelles selon la position des gens. Moi, je suis un défenseur des droits de l’homme en même temps acteur politique mais je mets de côté ma casquette de politique pour donner mon analyste juridique. Si, vraiment les avocats de Khalifa Sall veulent exécuter la décision, ils doivent le faire sur la base du montant de la condamnation. Car, la décision de la Cedeao ne dit pas que Khalifa Sall doit être libéré ou les poursuites doivent être arrêtées. La procédure suit son cours au Sénégal, il appartiendra donc aux juridictions nationales de trancher. Car, en réalité, il n’y a pas une suprématie de la Cour de la Cedeao sur nos juridictions parce que ce sont deux ordres de juridictions différents. On a d’une part, une juridiction en matière des droits de l’- homme et de l’autre côté, des juridictions correctionnelles nationales. J’invite donc tout le monde à laisser les juridictions nationales statuer en appel et si les avocats de Khalifa Sall produisent l’arrêt de la Cedeao, il appartiendra, de manière souveraine à la Cour d’appel de Dakar de statuer et de se positionner et tout le monde devra respecter sa décision».