UN MANDAT POUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE EN AFRIQUE
Le mandat unique offre à de nouveaux talents, à de nouveaux leaders d’accéder aux affaires. La politique «s’identifierait alors plus à une mission de service public et non à une carrière. La rotation des élites politiques s’accélérerait
Dans une chronique signée en 1987, le dédicataire de ses lignes soulignait le caractère impérial de la Présidence aux Etats Unis et en Afrique. Toutefois la comparaison s’arrêtait là. Il s’empressait en effet, de préciser que le Président américain a des pouvoirs extraordinaires qu’il exerce dans des limites extraordinaires. A contrario, son homologue africain jouit d’une hégémonie illimitée. Pour remédier aux dérives occasionnées par le pouvoir présidentiel impérial et la personnalisation du pouvoir qui en est « la fille naturelle » , le constitutionnalisme issu de la vague de démocratisation des années 1990 avait institué une limitation à deux du nombre de mandats présidentiels.
Préconiser le mandat présidentiel unique - l’ambition de la présente contribution - peut paraître incongru en un moment où on assiste en Afrique à une sorte de tourbillon constitutionnel consistant à faire sauter le verrou de la limitation des mandats à deux semble gagner toute l’Afrique (Burkina-Faso, RDC, République du Congo etc.). En effet, à peine deux décennies après la célébration de la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels, les vieux démons ont refait surface.
Après avoir fait le dos rond pour laisser passer la bourrasque, les présidents africains sont de plus en plus nombreux à initier des réformes constitutionnelles visant à remettre en cause la limitation du nombre des mandats pourtant présentée par les observateurs comme un acquis du processus démocratique enclenché au début des années 1990. Cette limitation est d’autant plus pertinente que le mandat présidentiel ne peut être abrégé comme peut l’être celui du premier ministre en régime parlementaire. Dans ces conditions, l’attente de la fin du mandat qui peut être frustrante, exaspérante si celui-ci est long, l’est encore davantage dans l’hypothèse d’une reconduction de celui-ci. La perspective d’une réélection du président sortant perçue par une partie de la population comme une confiscation du pouvoir, est « d’autant mal vécue que le Président de la République concentre l’essentiel du pouvoir d’Etat, surtout si la nature démocratique du régime, la sincérité et la transparence des élections ne sont pas assurées » .
Le mandat unique est au fond une modalité de limitation du nombre de mandats présidentiels, laquelle n’est pas une préoccupation nouvelle. Le débat sur son bien fondé est en effet ancien. Il a été pratiqué par les démocraties antiques et aux premières heures de la démocratie représentative. Ferment de la notion de rotation aux postes, la limitation des mandats électifs est profondément enracinée dans la pensée politique classique. Aux Etats Unis, elle a d’abord été une coutume constitutionnelle pendant plus d’un siècle avant d’être consacrée en 1951 par le 22èmeamendement de la constitution américaine. En France, le principe de la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels successifs a d’abord été institué en 1848 sous l’influence d’Alexis de Tocqueville, ensuite pratiqué à la faveur de la Constitution d’octobre 1946 (article 29) et enfin systématisé dans le cadre de la réforme instituant le quinquennat (article 6).
En Afrique, les constitutions ont, jusqu’au début des années 1990, été conçues pour conforter la position du Président et non lui imposer des bornes. Mais, les clauses limitatives du nombre de mandats présidentiels, marginales dans les premières constitutions africaines, sont devenues la pierre angulaire des chartes constitutionnelles de 1990. Les dirigeants autoritaires africains, affaiblis par la vague de la démocratisation, ont été contraints d’accepter l’introduction de clauses limitatives du nombre de mandats. L’enjeu était de pousser à la retraite des présidents inamovibles et de prévenir l’émergence de nouveaux chefs d’Etat inamovibles. Mais, ces mêmes présidents ont remis en cause les clauses limitatives dès que le rapport de force a, à nouveau, tourné en leur faveur au début des années 2000. On le voit donc, la clause limitative du nombre de mandats et a fortiori le mandat unique qui en est une des modalités ne fait pas l’unanimité.
En particulier, aucune constitution africaine n’a jusqu’ici institué le mandat unique. Seul le président nigérian a exprimé en 2011 la volonté d’amender la constitution de son pays pour l’instituer, trois mois après son élection à la magistrature suprême. Préoccupé par les violences à répétition qui émaillent les scrutins au Nigéria (800 morts à l’élection présidentielle d’avril 2011) et par le coût exorbitant engendré par ces derniers tous les quatre ans, le président Goodluck Jonathan avait annoncé la préparation d’une loi introduisant un mandat présidentiel unique de six ans.
Ce projet n’est pas allé jusqu’à son terme. Il a finalement été abandonné. Mais, l’idée fait son chemin. Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour réclamer un mandat unique pour les présidents africains. La fréquence des présidences à vie, les dérives engendrées par la longévité au pouvoir, la récurrence des violences électorales ont achevé de convaincre de la nécessité d’instaurer un mandat unique pour le président de la république en Afrique. En tant que clause limitative absolue du nombre de mandats, il suscitera certainement des controverses et des résistances parmi les acteurs politiques comme dans la doctrine. On lui reprochera sans doute d’attenter à la souveraineté du peuple, de limiter les choix de ce dernier, bref d’être contre la démocratie. A l’occasion du débat qui a précédé la remise en cause de la limitation du nombre de mandats présidentiels au Burkina Faso, le groupe parlementaire du Congrès pour la Démocratie et le Progrès, parti du Président Compaoré, avait estimé qu’une telle clause enfreint la démocratie parce qu’elle « limite arbitrairement la jouissance des droits politiques par le citoyen ; elle limite les possibilités de choix du peuple » . Un tel argument est certes recevable dans les démocraties de forte intensité. Il n’est pas, en revanche, décisif dans le contexte africain où les Présidents jouissent de pouvoirs exorbitants, de nature patrimoniale et d’une réélection quasi-automatique. C’est au contraire, l’absence de clause limitative du nombre de mandats qui prend en Afrique la figure d’une régression démocratique. La faiblesse des contre-pouvoirs et de la culture démocratique en Afrique sont telles que tout ce qui peut concourir à la limitation ou à l’encadrement du pouvoir contribue à la consolidation de la démocratie.
Le choix de nous focaliser sur la limitation des mandats du Président de la République s’explique essentiellement par le fait que ce pouvoir est la source des dérives les plus graves dans le contexte africain. Au surplus, la restriction de la souveraineté du peuple que représenterait l’institution du mandat présidentiel unique est largement compensée par les nombreux avantages qui pourraient en résulter. Une telle limitation, plus que toute autre, servirait l’intérêt général et la collectivité nationale parce qu’elle est porteuse de virtualités favorables à la consolidation des acquis démocratiques (I) et à l’assainissement de la gouvernance (II).
I-Un mandat unique pour consolider les acquis démocratiques en Afrique
Le principe de séparation des pouvoirs, le respect des libertés civiles et politiques, et la tenue d’élections libres et justes sont les éléments de la démocratie auxquels l’observateur prête le plus d’attention, au point d’en faire les principaux indicateurs de ce système. Mais, deux autres facteurs en apparence secondaires et intimement liés l’un à l’autre nous paraissent décisifs dans la consolidation de la démocratie dans le contexte africain : la circulation des élites et la paix sociale. L’un comme l’autre sont servis par le mandat unique.
Il va sans dire que le mandat unique contribue incontestablement à la rotation des élites, voire à l’alternance, laquelle suppose le pluralisme politique, l’organisation à intervalles réguliers d’élections libres, le respect de la constitution et de l’Etat de droit ; bref l’alternance est consubstantielle à la démocratie pluraliste. Si la démocratie ne se résume pas à elle, celle-ci n’en est pas moins aujourd’hui un critère essentiel. Pratiquée dans toutes les démocraties qui fonctionnent, elle entraîne généralement la permutation de deux partis, de deux coalitions ou de deux hommes/ou femmes au pouvoir et dans l’opposition.
Son intérêt réside ainsi dans le fait qu’elle opère au travers du suffrage universel un changement de rôle, de position entre forces politiques opposées dans le respect du régime, les unes accédant ainsi au pouvoir, les autres y renonçant momentanément pour entrer dans l’opposition. La routinisation de ce chassé-croisé sans changement de régime est crucial pour la stabilité des institutions et la consolidation de la culture démocratique, deux qualités que l’Etat africain tarde encore à acquérir. Comme l’écrit jean Louis Quermonne, « l’alternance au pouvoir prétend intégrer dans un même mécanisme politique les deux conditions nécessaires à la réalisation de l’équilibre et du progrès : la continuité des institutions et du système politique, et le renouvellement des élites gouvernementales et des politiques publiques » .
Or, la vie politique dans les pays africains est caractérisée par une faible circulation des élites. Le personnel politique a peu changé et ne s’est pas beaucoup rajeuni depuis les indépendances. La principale explication de cette carence se trouve dans la fréquence encore faible des alternances politiques. On ne compte plus les dirigeants, aux affaires avant la vague de démocratisation de l’Afrique, qui sont parvenus à se maintenir au pouvoir par la voie des urnes. Ni le processus d’ouverture des régimes, ni l’institution d’une clause limitant le nombre de mandats à deux n’ont réussi à engendrer un renouvellement de la classe politique.
L'alternance au pouvoir est un phénomène récent en Afrique. Très peu de pays africains l’ont connue avant 1990. C’est une donnée constante en Afrique que l’attention et l’énergie du président de la République dès son élection, sont toute entière tendues vers un seul objectif : se faire réélire et conserver le pouvoir. Ce constat n’est pas spécifique à l’Afrique; on l’observe dans toutes les démocraties modernes où le président de la République est élu au suffrage universel. Mais, en Afrique plus qu’ailleurs, l’obsession du second mandat peut prendre une tournure dramatique en raison de la faiblesse de la culture démocratique. Dès son accession à la magistrature suprême, le président commence déjà à penser à un second mandat et installe son pays dans une campagne électorale prématurée.
L’attitude du Président Macky SALL, à l’occasion de sa première visite officielle aux Etats Unis quelques semaines seulement après son accession à la magistrature suprême, est éloquente à cet égard. Après avoir réitéré sa volonté de réduire son mandat à cinq ans, il déclarait : « j’espère qu’au terme de ce quinquennat, les sénégalais me feront à nouveau confiance pour présider aux destinées de notre pays » .
Or, chacun sait qu’un président en quête de nouveau mandat est presque toujours réélu en Afrique . Il bénéficie en effet de plusieurs avantages sur ses concurrents dont le plus décisif est « la prime au sortant ». Il tire également profit de l’apathie, voire de la désaffection de l’électorat pour la politique lequel ne voit pas d’inconvénient à le reconduire aussi longtemps qu’il ne commet pas de fautes graves. Il s’y ajoute que le président sortant n’a pas toujours des candidats crédibles en face de lui. Ces derniers sont pour la plupart tantôt inconnus, tantôt dépourvus de ressources suffisantes ou de stratégies pour mener une campagne digne d’une élection présidentielle. Dans ces conditions, le candidat sortant est presque automatiquement réélu.
A la vérité, le processus de démocratisation et les changements constitutionnels qui l’ont accompagné, n’ont pas fondamentalement apporté de rupture dans la manière de faire la politique en Afrique encore dominée par le clientélisme. C’est dans ce phénomène persistant qu’il faut rechercher l’explication de l’interminable bail du président africain à la tête de l’Etat et de la faible circulation des acteurs politiques. Comme l’explique si bien Jean Pascal Daloz « si l’on retrouve presque toujours les mêmes au sommet, ce n’est pas parce qu’une petite clique parvient à s’y maintenir à tout prix par la répression ou la manipulation (électorale) mais avant tout … parce que les axes verticaux de la légitimation du pouvoir font que ceux qui ont accumulé préalablement, et sont donc en mesure de redistribuer- demeurent davantage dignes de crédibilité transactionnelle, par rapport à ceux qui ont pour unique atout un discours de changement. C’est pourquoi la problématique des ressources est cruciale… » .
Dans les pays africains où l’Etat est la principale sources d’accumulations de ressources, le Président de la République qui a la haute main sur celles-ci, peut non seulement limiter la compétition électorale en contrôlant l’accès de ses rivaux à de telles ressources, mais encore fidéliser sa clientèle électorale par la redistribution de la manne financière et la menace de poursuivre ceux qui se seraient rendus coupables d’enrichissement illicite ou d’en priver ceux qui succomberaient à la tentation de l’opposition. Dans ces conditions, la compétition est déséquilibrée, le président sortant bénéficiant d’avantages significatifs et de la quasi-certitude d’être réélu.
Le mandat unique apparaît dès lors, plus que toute autre modalité de limitation du nombre de mandats électifs, comme le véritable « antidote contre la réélection automatique » du président, puisqu’il ne permet pas par définition au président sortant de briguer un nouveau mandat. Ainsi, conduit-il inéluctablement à l’alternance tout en contribuant à la circulation et au renouvellement du personnel politique.
Le mandat unique à la différence des autres clauses limitatives du nombre de mandats, conduit irrésistiblement à l’alternance parce qu’il ne donne pas à celui qui est au pouvoir, au président sortant la possibilité de briguer un autre mandat.
Au fond, le mandat unique permet, à travers l’alternance qui en est le corollaire, sinon de prémunir le pouvoir contre sa corruption, sa dénaturation, du moins d’abréger les souffrances qu’il peut faire endurer aux populations lorsqu’il perdure. Il peut par ricochet être protecteur pour le Président de la République. Si le pouvoir absolu corrompt absolument selon l’expression de Montesquieu, « le pouvoir trop prolongé corrompt plus profondément».
Dans cette dynamique, Olivier Duhamel écrit : « l’homme de pouvoir tend à le conserver, l’homme au pouvoir veut s’y perpétuer. Autant le préserver de cette obsession, stimulante dans la longue marche vers le sommet, ravageuse dans sa trop longue occupation du poste suprême. Protégeons-le contre lui-même ». Ce point de vue est particulièrement avéré en Afrique où Ben Ali, Mobutu, Oumar Bongo, Gnassingbé Eyadema, Blaise Compaoré, Robert Mugabe etc. auraient mieux gagné ou gagneraient à quitter le pouvoir plus tôt. Ils auraient laissé ou laisseraient un meilleur souvenir à leurs peuples respectifs et à l’Afrique.
Si le mandat unique conduit irrésistiblement à l’alternance au pouvoir, celle-ci en exorcisant la force brutale, contribue de façon décisive à la pacification des mœurs et de l’espace politiques. La violence politique est réputée déstabilisatrice pour la société et les institutions (Togo, RCA, Kenya, Zimbabwe). Là où sévissent les régimes autoritaires, aucune autre alternative que le recours à la violence sous forme de révolution, de guerre civile ou de coup d’Etat n’est offerte à l’opposition .
En faisant un raisonnement à rebours, on peut considérer que le mandat unique, parce qu’il conduit à l’alternance -substitut non violent de la révolution- contribue à la pacification de la vie politique.
Bien entendu, le mandat unique doit être conforté par une révolution des mentalités et des réformes structurelles relatives aux règles de dévolution du pouvoir politique. On admettra alors que si la démocratie ne peut être réduite aux élections,
ces dernières en constituent une composante essentielle , une condition de son accomplissement . Il est donc acquis que la légitimité du pouvoir passe par l’élection . Mais, la démocratisation de l’Afrique suppose aussi l’acceptation générale du principe de l’organisation d’élections libres et transparentes à intervalles réguliers. Le citoyen africain se trouve ainsi conforté dans son droit de choisir ou de sanctionner les dirigeants au moyen de sa carte d’électeur. Il n’est donc pas nécessaire de recourir à la violence ou à la désobéissance civile pour exprimer sa désapprobation. L’échéance électorale lui permet d’assumer sa citoyenneté, de demander des comptes aux gouvernants et d’exiger la prise en charge de ses aspirations .
L’organisation d’élections réussies, reposant sur une définition consensuelle des règles de la gouvernance électorale apparaît comme la voie royale pour accéder à la légitimité démocratique ; le vote, moment de communion entre les citoyens et l’autorité est la clé de voûte du régime représentatif contemporain et donc vecteur de légitimité. Investi de ce rôle essentiel dans tout système démocratique moderne, une élection réussie apparaît à maints égards comme le premier pas vers le respect de l’Etat de droit et de la volonté souveraine du peuple.
Mais, en même temps et paradoxalement, les joutes électorales, en Afrique sont dramatisées à l’excès et coïncident bien trop souvent avec des crises de la démocratie qui, dans leur ensemble, affectent la stabilité des institutions et de la société globale. Dans ces conditions, la consécration du vote comme seul mode de légitimation du pouvoir fait que la crise de la démocratie en général et celle des élections politiques en particulier crée l’impasse .
Une telle situation est généralement engendrée par les prétentions des acteurs lorsqu’elles deviennent contradictoires et inconciliables: D’un côté, le président sortant qui n’est pas sûr de conserver le pouvoir par les urnes se donne tous les moyens, y compris les plus déloyaux, les plus illégaux (utilisation des moyens de l’Etat, manipulation de la loi électorale, voire de la constitution, « bricolage » du scrutin), pour parvenir à ses fins . D’un autre côté, l’opposition, lasse et frustrée de perdre scrutin après scrutin, est persuadée de mener un combat perdu d’avance parce que les jeux sont déjà faits, n’a d’autre choix que d’arracher le pouvoir par la rue ou la force.
Le climat de tension et de suspicion dans lequel se déroulent les élections est souvent à l’origine des situations conflictuelles post électorales. Les scrutins sont très souvent précédés de longues périodes d’incertitude, d’instabilité et de violences qui peuvent également se poursuivre après les élections du fait de leur mauvaise organisation. Cette situation fait qu’une frange importante de la population estime que l’ouverture démocratique n’a pas tenu ses promesses parmi lesquelles : exercice de la souveraineté par le peuple, crédibilité et légitimité des gouvernants, mise en place d’institutions véritablement démocratiques, environnement stable et propice au développement. Les conflits peuvent à la fois surgir aussi bien en amont, lors de la définition des règles du jeu, qu’en aval du processus électoral notamment à la suite de la proclamation des résultats.
Dans ces conditions, les élections sont de moins en moins la garantie que les autorités choisies par les électeurs seront investis de la confiance et de la légitimité qui leur permettront de mettre en œuvre le programme pour lequel ils ont été élus. L’observateur s’interroge au fond sur la capacité du vote à sceller des rapports de consentement mutuel, de confiance entre les dirigeants et les électeurs.
C’est ici qu’apparaît encore la pertinence du mandat unique. En excluant le Président sortant de la compétition électorale, ne mettant aux prises que des candidats placés sur un pied d’égalité, il dédramatise l’enjeu de l’élection. Aucun des protagonistes ne bénéficiant de la prime au sortant, ne peut utiliser avec facilité les moyens de l’Etat pour fausser le scrutin. Les règles du jeu sont ainsi clarifiées et la compétition plus ouverte, moins tragique. L’élection retrouve alors tout son sens. Elle redevient un moment privilégié de débat programmatique, de confrontation entre plusieurs projets de société dans lequel il n’y a guère de place pour la violence. Le mandat unique contribue ainsi à désamorcer le risque de violence en permettant au vote d’exorciser la force brutale et d’apparaître selon l’expression de Philippe Braud comme « une liturgie de la pacification, un rituel inhibiteur de l’agressivité » .
Au-delà de l’élection, l’institution du mandat unique participe à la pacification des mœurs politiques. Le Président de la République, parce qu’il n’a pas la possibilité de briguer un deuxième mandat, cesse d’être l’homme à abattre. L’opposition à une politique mise en œuvre ne peut plus faire office de programme-comme c’est souvent le cas- et n’est plus l’élément fédérateur, le dénominateur commun du combat des opposants. Les prétendants au pouvoir sont ainsi conduits à déployer un trésor d’imagination pour proposer des programmes alternatifs de gouvernement capables de séduire les électeurs.
Aux arguments de l’insolence, des muscles, des machettes et des armes à feu se substituent ceux des idées ; la confrontation devient exclusivement politique. Le climat politique est d’autant plus orienté vers sa pacification et les opposants d’autant plus patients que le mandat unique leur donne une raison d’espérer qu’ils ne demeureront pas éternellement dans la même position et même que l’attente ne sera pas longue. Dans ces conditions, la politique a toutes chances de retrouver ses lettres de noblesse et le milieu politique deviendrait plus attractif.
Le mandat unique ne se borne pas seulement à approfondir la démocratie, il contribue aussi à promouvoir le bon gouvernement.
II- Le mandat unique pour promouvoir le bon gouvernement
Cette vertu du mandat unique peut être vérifiée à l’aune de sa capacité de contribuer à lutter efficacement contre deux des principaux vecteurs de la mal gouvernance : le patrimonialisme et le clientélisme.
Le premier découle de deux traits particuliers qui singularisent le pouvoir en Afrique: l’omniprésence et l’omnipotence du Président de la République, clé de voûte des institutions. La plupart des régimes politiques africains prennent en effet la forme d’un « présidentialisme monocentré » ou d’un pouvoir « hyper-présidentiel » .
L’hégémonie de l’exécutif, du Président de la République notamment, est une donnée constante du constitutionnalisme africain quelque soit l’inspiration-parlementaire ou présidentielle du régime considéré . L’essentiel des prérogatives politico-administratives sont concentrées entre les mains de ce dernier au mépris du principe de la séparation des pouvoirs pourtant solennellement proclamé dans tous les textes constitutionnels. Ce principe auquel la vague de démocratisation des années quatre vingt dix avait voulu redonner tout son sens n’a pas résisté longtemps aux assauts de l’hyper-présidentialisme dont il avait souffert en permanence sous l’empire des régimes africains du début des indépendances.
Il faut bien admettre que malgré les précautions prises pour limiter l’hégémonie de l’exécutif et de son chef, les pouvoirs judiciaire et législatif demeurent encore sous l’emprise de ce dernier. L’exécutif et le législatif ne sont plus séparés, mais solidaires sous l’autorité du titulaire de la majorité.
Au demeurant, cette situation découle assez paradoxalement de l’aménagement du pouvoir par les Constitutions africaines. Au-delà de ses pouvoirs propres, l’hégémonie du Président se traduit par des prérogatives qui lui permettent d’interférer tant dans le domaine judiciaire que dans le domaine législatif. Un tel système se signale par un déséquilibre des pouvoirs, lequel résulte d’abord de certaines dispositions de la Constitution qui limitent les attributions du Parlement.
Dépouillé de son pouvoir législatif au vu du nombre insignifiant de propositions de lois, le Parlement en est réduit à n’assumer qu’une fonction de contrôle de l’action du gouvernement, un contrôle au demeurant dépourvu de sanction, la possibilité de renverser ce dernier étant paralysée par la discipline majoritaire .
En effet, il est très rare qu’une majorité parlementaire renverse le gouvernement qu’elle est sensée soutenir. Sans doute, ce dernier a-t-il besoin d’être soutenue dans la mise en œuvre de sa politique nationale. Mais, la représentation est pervertie, le parlement vassalisé lorsque l’unique ambition du parlementaire est de plaire à l’exécutif dans la perspective d’une rétribution comme récompense. L’Assemblée parlementaire réduite en un appendice du gouvernement, la justice sous contrôle, la séparation des pouvoirs chahutée, la voie est dégagée pour le pouvoir personnel et le despotisme dans de nombreux pays africains .
La domination de l’exécutif sur le Parlement s’explique également par la confusion entre les fonctions de chef de l’Etat et celles de chef de parti. Ce cumul permet au Président de la République de domestiquer le Parlement. Les parlementaires obtenant leur mandat plus de l’allégeance au Président dont ils constituent la clientèle politique que de la confiance du corps électoral, sont condamnés à la loyauté, voire à la docilité politique. A titre d’illustration, un grand nombre de députés de la majorité parlementaire, pour renouveler leur allégeance au chef de celle-ci, ont affirmé lors de la destitution Macky SALL de la présidence de l’assemblée nationale du Sénégal en 2009 qu’ils étaient avant tout des députés du Président WADE .
Le Parti constitue ainsi une ressource politique pour domestiquer le Parlement . L’hégémonie présidentielle se manifeste également dans les rapports de l’exécutif avec le pouvoir judiciaire. L’affirmation péremptoire de l’indépendance de la justice ne signifie nullement que le Président de la République ne peut inférer dans le fonctionnement de la justice .
Cette situation d’hégémonie présidentielle caractéristique du constitutionnalisme africain post indépendance a résisté au renouveau démocratique des années quatre vingt dix (90) . Mais plus encore, la pratique du pouvoir révèle une constante : la personnalisation du pouvoir et le patrimonialisme. La gestion du pouvoir dans un tel régime est marquée par la confusion entre sphère privée et sphère public, entre biens publics et biens privés. Pour régner sans partage, le Président africain cultive le culte de la personnalité et le paternalisme à l’égard de ses « sujets ».
Au fond, il faut rechercher les prémisses du patrimonialisme dans la conception africaine du pouvoir de commander. Celui-ci n’est pas considéré, selon la tradition, comme une fonction mais comme un droit. La sémiologie populaire relative à la notion de pouvoir au Sénégal est assez révélatrice à cet égard : la pouvoir est assimilée à un pouvoir royal (Ngour), le président au roi (Bour) ou au propriétaire du pays (Borom rewmi) etc.
La patrimonialisation du pouvoir est d’une manière générale, une manifestation de la résistance à la démocratisation de l’Etat africain et à son institutionnalisation. Elle est certes encouragée par l’aménagement des institutions dans beaucoup de constitutions africaines. Mais, la prégnance du président résulte également et paradoxalement des sources mêmes de sa légitimité : son élection au suffrage universel. Elle est surtout la conséquence directe de la longévité au pouvoir.
Ainsi, en était-il du règne de Ben Ali, Hosni Mubarack, Omar Bongo, Houphouët Boigny, Lassana Conté, Denis sassou Ngesso, Blaise Compaoré, Abdou Diouf, Yaya Jammeh etc. Mais, elle est en même temps la cause de l’instabilité des nombreux pays africains en proie aux coups d’Etat et guerres civiles (Burkina Faso, Guinée, Sierra Léone, Libéria, Soudan, Cote d’Ivoire, Kenya, Libye, Tunisie, Egypte, etc.).
C’est pour remédier à ces dérives que les constituants africains ont institué au début des années quatre vingt dix la limitation à deux, des mandats présidentiels dans la plupart des pays africains. Il voulait ainsi réduire les nuisances d’un pouvoir présidentiel déficient et prédateur en supprimant les possibilités d’un long bail au poste de Président. A l’observation, la nouvelle génération de Présidents se révèle être aussi prédatrice que la précédente et exprime les mêmes velléités qu’elle, de s’accrocher au pouvoir.
Leur appétence pour celui-ci est, nous semble-t-il, aiguisé par la perspective d’un deuxième mandat. La patrimonialisation du pouvoir étant dès lors consolidée grâce à leur réélection, ils sont tentés de procéder à des révisions constitutionnelles pour se perpétuer au pouvoir.
Si certains pays ont respecté l’option des deux mandats (Cap-Vert, Mali, Bénin, Nigeria, Ghana), beaucoup d’autres, en revanche, l’ont abrogée de leur Constitution (Burkina Faso, Niger, Guinée, Togo, Cameroun, Gabon, Congo, l’Algérie…).
La limitation à deux du nombre de mandats présidentiels s’est donc révélée insuffisante pour combattre efficacement le patrimonialisme et le mauvais gouvernement. Le mandat unique est à notre avis, le seul véritable antidote contre ces fléaux. En empêchant le président de briguer un deuxième mandat, supprimant par là la possibilité d’un long séjour à la tête de l’Etat, il préserve les populations des nuisances d’un pouvoir présidentiel omnipotent et persistant.
Le Mandat unique n’est pas seulement un moyen de lutter contre le patrimonialisme, il est également une contribution à la neutralisation du clientélisme, corollaire du pouvoir patrimonial. Dans un tel système, les rivalités entre les élites du parti ou de la coalition des partis au pouvoir ne sont pas sous-tendues par des divergences idéologiques mais par un positionnement pour capter les avantages qu’elles espèrent tirer de l'appareil d'Etat, lieu primordial d’accumulation et de distribution de ressources à la fois économiques et politiques.
Ces prébendes servent notamment, pour le Président, à récompenser les partisans susceptibles d’élargir le champ des militants de son parti ou de ses électeurs, à s’assurer l'appui de leaders locaux comme les autorités coutumières et religieuses et éventuellement à coopter de potentiels rivaux. Telle est l’essence du clientélisme.
Deux des critères de la démocratie semblent très affectés par la logique de redistribution des ressources propres au pouvoir patrimonial. D’une part, le clientélisme parce qu’il induit l’achat des consciences, remet en cause la vocation même de l’élection, censée exprimer le pluralisme politique, fonder la démocratie représentative et légitimer le pouvoir. Pervertie par cette forme de corruption, l’élection cesse d’être un rite démocratique. On peut dès lors s’interroger sur sa pertinence lorsqu’elle sert uniquement à légitimer des pouvoirs, à renforcer des pouvoirs autoritaires par le détournement du suffrage universel par des clans et des intérêts privés.
En d’autres termes, « l’élection présidentielle, notamment, devient dans ce cas une simple formalité administrative, un simple verni démocratique dont certains n’hésitent plus à demander la suppression » . L’acte électif est ainsi dévalorisé, dépouillé de son pouvoir de contrôle et de sanction en démocratie.
Le clientélisme a par ailleurs un effet corrosif sur les institutions comme le parlement considéré comme un contre-pouvoir. Il est le corollaire du patrimonialisme et de la personnalisation du pouvoir. Or ces derniers reposent sur la négation de la distinction entre domaine public et domaine privé. Il en résulte une privatisation de l’Etat en ce sens que le détenteur du pouvoir gère l’appareil comme son bien propre.
Dans un tel contexte, les ressources publiques sont souvent accumulées et redistribuées pour satisfaire des besoins politiques et personnels. Ainsi, s’établit une relation entre patron et client dans laquelle le premier distribue la rente au second et en retour bénéficie du soutien et de l'allégeance dudit client . Dans un tel système qui est une pratique généralisée dans les régimes africains, « la politique devient une sorte de business dont les deux monnaies d'échange, substituables, sont l'argent et les relations »104.
Le fonctionnement des institutions publiques est dès lors dénaturé par le jeu des relations. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les parlements africains soient en définitive confinés dans un rôle d’appendice des gouvernements. Dans la logique clientéliste, les postes et institutions sont créés et pourvus pour récompenser des amis et sympathisants ou coopter des leaders identifiés comme pouvant contribuer à élargir la base populaire du pouvoir.
Le mandat unique vise à anéantir toute propension au clientélisme et au patrimonialisme. Ne bénéficiant que d’un seul mandat, le titulaire du pouvoir n’a pas besoin a priori de développer de telles pratiques. Il devrait avoir à cœur de gouverner dans l’intérêt de tous pour laisser son nom à la postérité. Sachant qu’il n’est pas rééligible, le président sera moins tenté de faire voter des lois contre les intérêts du peuple. Un tel dispositif permettrait de créer une communion entre lui et le peuple. Le mandat unique accroît la probabilité d’avoir des gouvernants vertueux, habités par la volonté de poursuivre le bien commun de la société . L’exercice du pouvoir deviendrait ainsi un sacerdoce.
Cette perception du mandat unique comme moyen de prévenir la confiscation et la patrimonialisation du pouvoir, de promouvoir la rotation des élites est une solution politico-constitutionnel d’avenir. Le mandat unique est sous-tendu par l’impératif de la bonne gouvernance et porte les finalités suivantes : la prévention de la corruption des élus, de la tyrannie du gouvernement, la garantie des libertés, le renouvellement de la classe politique, l’amélioration de la qualité de la représentation politique et du gouvernement de la cité. Il promeut aussi la citoyenneté démocratique, offre l’opportunité à tous les citoyens d’exercer des fonctions dirigeantes et permet de les initier à la gestion des affaires publiques.
Il est non seulement bénéfique pour le développement de la citoyenneté mais aussi pour l’Etat. Il constitue un excellent contre-pouvoir et de plus, empêche que des individus n’utilisent leur position de gouvernant à des fins personnelles. Avec le mandat unique, les présidents ne sont plus obligés de tisser des relations particulières avec les coalitions prédatrices qui les soutiennent et sont libres de tout chantage des entrepreneurs politiques. Ils n’ont pas besoin de ces derniers pour une réélection impossible.
Le mandat unique permet enfin de réduire le coût exorbitant des élections en diminuant la fréquence des scrutins. Un mandat assez long de sept ans est incontestablement plus économique en termes de dépenses électorales. Avec une telle institution, les dérives patrimonialistes et clientélistes ne peuvent pas prospérer parce qu’elles ne peuvent pas s’inscrire dans la durée.
On pourrait, il est vrai, objecter que cela n’empêche pas la prédation et peut même en accélérer le rythme. Mais, pour conjurer ce risque, il nous parait opportun envisager la possibilité de révoquer le Président incompétent ou prédateur à mi mandat en recourant à la technique de révocation populaire.
Pour se faire, il convient d’opter pour un mandat relativement long permettant d’accorder le temps nécessaire pour mettre en œuvre et évaluer les politiques publiques élaborées par le gouvernement. De même, pour lutter contre les velléités du président de la République de réviser la constitution pour perdurer au pouvoir, le constituant africain devrait sanctuariser le mandat unique en l’érigeant en norme supra constitutionnelle pour prévenir la restauration de l’éligibilité indéfinie.
La limitation du nombre de mandats a certes comme conséquence de réduire le droit à l’éligibilité du Président sortant et de restreindre le choix des électeurs. Mais, elle a l’avantage de rétablir l’égalité entre les citoyens entravée par la réélection quasi-automatique des Présidents sortants en donnant aux prétendants les mêmes chances d’accéder à la magistrature suprême et d’éviter ainsi la sclérose de la classe politique en créant les conditions de son renouvellement et de sa diversification. Le mandat unique sert l’intérêt général en ce sens qu’il offre à de nouveaux talents, à de nouveaux leaders d’accéder aux affaires.
La politique « s’identifierait alors plus à une mission de service public et non à une carrière. La rotation des élites politiques s’accélérait, et avec elle leur ouverture » .
Babacar GUEYE
Professeur
UCAD-Sénégal