UN POSTE À PROBLÈMES
Direction générale de la Police nationale
Oumar Mal, nouveau Directeur général de la Police nationale (Dgpn), serait l’homme providentiel. Pour l’instant, il y a une unanimité qui escorte sa nomination. Mais, il a atterri à une station qui aiguise tous les appétits. Cela l’expose aux attaques de ses camarades. Car, ses prédécesseurs ont reçu des coups qui donnent à ce poste une certaine malédiction. Anna Sémou Faye a subi le même sort à cause des crocs-enjambes dignes d’un combat de lutte un dimanche à Demba Diop. Oumar va-t-il connaître le même mal ?
C’est presqu’une malédiction. Ces dernières années, la Direction générale de la Police nationale (Dgpn) a consommé plusieurs commissaires comme une lessiveuse. Pressés d’atteindre le sommet, les Dgpn se retrouvent rapidement dans l’œil de mire de leurs camarades.
Au moment de quitter sa fonction, Anna Sémou Faye s’est évidemment rappelé la rupture de la chaîne de solidarité qui justifie les attaques nourries dont elle a été victime depuis sa nomination : «Policiers du Sénégal, soyez solidaires, soyons solidaires, cultivons la cohésion, l’esprit de corps. Soyez tous unis derrière votre nouveau chef pour qui je formule aujourd’hui les prières les plus fervents pour un succès exaltant.»
Ces mots ont résonné comme un rappel à l’ordre pour permettre de resserrer les rangs et donner sens à la devise de la Police nationale : Dans l’honneur, au service de la loi. Ces conseils de l’ex-Première dame de la Police nationale vontils servir à ce corps déjà très alité ?
Car dans ce corps, les gradés se tirent dessus comme s’ils étaient sur un champ de tirs. Ce manque de solidarité, caricaturé à l’époque par Pathé Seck, ex-ministre de l’Intérieur, comme une bataille fratricide, fait le jeu des politiques. Presque tous les ministres qui se sont succédé au département de l’Intérieur depuis 2000 ont eu chacun son Directeur général.
Assane Ndoye
Antoine Mendy, Léopold Diouf, Saliou Diallo, Assane Ndoye, Codé Mbengue, Ibrahima Diallo, Abdoulaye Niang, Anna Sémou Faye ont été tous emportés par les crocs-en-jambes de leurs collègues commissaires de police. Le commissaire divisionnaire à la retraite Bassamba Camara met le doigt sur les rancœurs qui déchirent la cohésion de la police.
Il dit : «La guerre des chefs qu’avait signalée un ministre (Ndlr, le Général Pathé Seck) existe bel et bien. Elle a contribué à raviver les rancœurs et les divisions et porte un coup fatal à l’émergence de compétences qui ont été ignorées et muselées. Combien de cadres ont préféré abandonner le navire au milieu du guet pour aller monnayer leurs talents ailleurs parce que tout simplement ils avaient fini par ne plus se reconnaître dans un environne ment devenu hostile et rébarbatif ?»
Selon lui, «les hauts cadres de la police en activité ou à la retraite auraient pu servir encore leur pays à l’instar d’autres serviteurs de l’Etat se trouvant dans la même situation. Pourtant, plus que tout le monde, les policiers, qui ont largement contribué à la stabilité et la paix dans ce pays, méritaient mieux au regard des nombreux services rendus à la Nation».
En se replongeant dans le passé, on se rend compte que Anna Sémou Faye a juste été jetée dans le même panier à salades que ses prédécesseurs. Il a été reproché à Léopold Diouf d’être très rigoureux et ne pas être malléable. Il quitte la fonction pour se retrouver directeur de la Haute autorité des aéroports du Sénégal. Antoine Mendy, itou.
Le commissaire Assane Ndoye, récompensé sans doute pour avoir mené l’arrestation de Idrissa Seck, a été aussi jeté dans le bûcher. Il a été voué aux gémonies dans une lettre incendiaire rédigée par un obscur collectif des personnels de la Police nationale. Parlant de Assane Ndoye, les limiers disaient qu’il n’avait que le niveau d’études du brevet.
Ils lui reprochaient son supposé penchant pour «la délation, la corruption, l’abus d’autorité et le trafic d’influence» et les «multiples fautes» qu’il aurait commises et qui lui auraient valu plus d’une comparution devant les conseils d’enquête. Ces collègues parlaient d’«une substitution d’empreintes digitales, alors qu’il était à la Dpj sous les ordres du Colonel Diaraf Farba Faye».
Pour eux, Assane Ndoye a été sauvé de la radiation par Léopold Diouf qui présidait la Commission d’enquête qui devait statuer sur son sort. Il est resté cinq mois seulement à la tête de la Direction générale de la Sûreté Nationale.
Ibrahima Diallo a été Dgpn pendant 24h. Nommé lundi 27 mai 2013 en remplacement de Codé Mbengue, limogé, Ibrahima Diallo a démissionné de son poste quelques heures après. Des officiers de la police étaient montés au créneau pour «dénoncer cette forfaiture». Ils disaient : «Tous sauf Ibrahima Diallo» faisant allusion aux casseroles que traînerait le commissaire Diallo depuis son passage comme directeur du Budget.
Codé Mbengue, emporté par la provocation de Oumar Sarr, qui a traversé le fleuve Sénégal alors qu’il était interdit de sortie du territoire national, a subi aussi des attaques inouïes de ses frères. Nommé en 2009 en remplacement du commissaire divisionnaire Saliou Diallo, il a été le 1er Dgpn qui a été créé après la réforme de la Police après la dissolution de la Sûreté nationale.
Taxé d’être proche des socialistes et de l’actuel chef de l’Etat, il a été nomméparlePrésidentAbdoulaye Wade. Mais, la décision a été retardée à cause des pressions de ses collègues qui n’avaient pas aussi manqué de le présenter comme un proche de Idrissa Seck. Ses collègues, qui l’attendaient pour porter la bataille de l’application des nouveaux statuts de la police surtout sur ses aspects pécuniaires, ont passé aussi leur temps à remettre en cause son management en le traitant de «laxiste». Il est passé à la trappe dans les mêmes conditions.
Abdoulaye Niang emporté par la drogue
Nommé le 7 juin, débarqué le 23 juillet 2013, Abdoulaye Niang n’est resté à son poste que pendant 46 jours. Il sera emporté par l’affaire du supposé trafic de drogue soulevée contre lui par le commissaire Cheikhna Cheikh Saad Bou Keïa qui fut directeur de l’Office central de répression du trafic Illicite des stupéfiants (Ocrtis). Il a été remplacé par Anna Sémou Faye qui a reçu aussi des coups. L’issue était prévisible : sa nomination a été escortée de considérations misogynes. Malgré les «services rendus» à la Police, elle a sauté comme tous ses prédécesseurs à cause de la «déloyauté» de ses camarades.
Aujourd’hui, Oumar Mal porte les étendards de la Police nationale. Va-t-il échapper à cette guerre fratricide ?
Le commissaire Camara ne se voile pas la face, même si des préjugés favorables escortent la nomination de Oumar Mal : «Le commissaire Oumar Maal est un excellent professionnel, très rigoureux et perfectionniste. Son expérience et son expertise peuvent l’aider à réussir sa mission d’autant plus qu’il a un large boulevard devant lui car n’ayant plus en face des concurrents susceptibles de lorgner son fauteuil. Lorgner ? Pas pour le moment, mais il subira le même sort que ses prédécesseurs parce que la police est ainsi faite. Même si le danger d’un limogeage tarde à être orchestré par l’adversité interne, chaque ministre de l’Intérieur débarque avec son propre directeur de police. Et ceux qui ne sont pas dans ses grâces n’ont qu’à circuler.»
Bref, la probabilité est exclue à moins que les flics réussissent à taire leurs ambitions et fassent bloc autour de leur supérieur comme les militaires et les gendarmes. Lorsqu’il a été nommé Cemga, Mamadou Sow n’avait pas le grade requis. Mais, on n’a pas entendu de grogne dans la Grande muette. Ce sont deux mondes différents.
DGPN
Le temps des civils
Et si les civils devenaient Dgpn pour donner plus de stabilité à ce poste et taire les divergences ? Dans l’histoire, des administrateurs civils et des magistrats ont occupé le poste de directeur de la Sûreté nationale, ancêtre de la Dgnp. Cheikhou Cissé, actuel Secrétaire général du ministère de l’Intérieur, a été le dernier civil à occuper ce poste. Ousmane Camara et Ibrahima Wone ont aussi été directeur de la Sûreté nationale.