UN PROCES, MILLE PERIPETIES
Renvoi de l’affaire Sweet Beaute devant la chambre criminelle, ce 16 mai. Le Sénégal retient son souffle
Le Sénégal retient son souffle. Plus de deux ans après la série de manifestations du 3 au 8 mars 2021, la procédure judiciaire pour « viols répétés » et « menaces de mort » ouverte contre le leader de Pastef, Ousmane Sonko, à l’origine de ces émeutes qui se sont soldées par la mort de 14 jeunes dans des conditions non encore élucidées par la justice, est à nouveau au-devant de l’actualité. En effet, c’est en jour que la Chambre criminelle du Tribunal de Grande instance Hors classe de Dakar va statuer sur cette affaire. La décision du leader de Pastef et maire de Ziguinchor, Ousmane Sonko, de ne plus déférer à la convocation de la justice au nom de la désobéissance civile renforce le spectre de nouvelles tensions autour de cette affaire qui a déjà provoqué beaucoup de dégâts depuis mars 2021. Retour sur quelques étapes de cette rocambolesque affaire de viol.
C’est le 5 février 2021 que cette affaire est portée à la connaissance du public sénégalais. Dans un article publié le même jour, nos confrères du journal « Les Échos » ont annoncé qu’une employée d’un salon de beauté, Adji Sarr, a déposé une plainte pour « viols répétés et menaces de mort » contre le leader de Pastef, Ousmane Sonko, alors député de la 13e législature qui est entendu, le lundi 8 février, à la Section de recherche de la Gendarmerie nationale. Toute la journée et le jour suivant, cette affaire a été au cœur des débats obligeant ainsi le leader de Pastef à convoquer une conférence de presse le dimanche 7 février à son domicile pour donner sa version des faits sur cette rocambolesque affaire.
Dans son récit, il a reconnu avoir fréquenté le salon en question sur recommandation de son médecin pour des séances de massage en vue de soulager des douleurs. Cependant, il a nié en bloc les accusations de viols en criant au complot ourdi selon lui, par le président Macky Sall et son régime. « Il y avait deux filles dans la salle pour s’occuper de moi. Je n’ai jamais été seul avec l’une d’elles. Pis, je ne suis jamais venu sur les lieux avec des armes. Comment je peux violer une fille à quatre reprises alors qu’il y a des caméras de surveillance dans les couloirs de l’Institut », a-t-il martelé avant d’accuser. « Je voudrais dire aux Sénégalais que c’est un complot ourdi par Macky Sall, son ministre de l’Intérieur et le Procureur de la République ».
Poursuivant sa déclaration, Ousmane Sonko a toutefois annoncé qu’il ne répondra pas à la convocation des Gendarmes de la Section de Recherches de Colobane, ce lundi matin-là, à 11 heures tant que la procédure de levée de l’immunité parlementaire n’est pas respectée.
LA FUITE DES PREMIERS ELEMENTS D’AUDITION FRAGILISE L’ACCUSATION D’ADJI SARR
Comme dans toutes les affaires d’enquête impliquant des personnalités, la Section de Recherches de Colobane n’a pas pu préserver le secret des premières auditions qu’elle a réalisées dans le cadre de cette affaire. Puisque dès le lundi 8 février, la presse a commencé à publier les premiers procès verbaux de synthèse d’enquêteurs, de la plaignante et des témoins. Parmi eux, se trouve la propriétaire du salon de beauté, Ndeye Khady Ndiaye, également visée dans le cadre de cette affaire et placée en garde à vue à la Section de Recherches, pour incitation à la débauche et diffusion d’images contraires aux bonnes mœurs, malgré la santé fragile de son bébé né prématuré et placé sous surveillance à l’hôpital d’enfant, Albert Royer de Fann. La presse fait ainsi état de plusieurs contradictions relevées par les enquêteurs dans les déclarations d’Adji Sarrlors de son audition. A cela s’ajoute également les divergences de ses déclarations avec celles de l’autre fille avec qui elle a fait le massage à Ousmane Sonko la nuit du 2 février, jour des faits.
En effet, entendue en qualité de témoin, Aïsssata Ba puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a déclaré n’avoir rien observé d’inhabituel ou entendu aucun bruit qui puisse laisser penser à un viol le jour des faits. Mieux, elle a fait remarquer aux enquêteurs qu’Adji Sarr lui a proposé 100 000 F contre son silence.
Entendue de son coté, Ndeye Khady Ndiaye soulignant qu’Ousmane Sonko fréquentait souvent son salon pour des massages, a toutefois précisé qu’il ne s’est, à sa connaissance, « jamais mal comporté ».
Abondant dans le même sens, son époux Ibrahima Coulibaly qui était présent le jour supposé du viol le 2 février dit rester « sceptique sur un possible viol dans les locaux de l’institut de beauté » puisqu’il n’a entendu aucun bruit mais aussi rien constaté d’inhabituel sur la personne d’Adji ».
QUAND LE CERTIFICAT MEDICAL CONTREDIT LA THESE DU VIOL!
Sollicité par une réquisition de la Gendarmerie le 3 février, Dr Alfousseyni Gaye, médecin gynécologue en service à l’hôpital Général Idrissa Pouye de Grand Yoff (ex-Cto) a reçu en consultation Adji Sarr conformément à la procédure relative au viol en vue de l’établissement d’un certificat médical. Seulement, dans son rapport, le professionnel de la santé a commencé par faire remarquer que « lors de la consultation, la victime (Adji Sarr) semblait sereine et ne présentait aucune trace de violence ». Poursuivant, Dr Gaye a par la suite précisé dans le certificat médical qu’il a dressé qu’ « aucune lésion n’a été décelée dans les parties génitales de la victime supposée dans les heures qui ont suivi le viol allégué ». Autrement dit, entre le jour des faits à 21 heures et le lendemain à 16 heures 15 mn, heure à laquelle, il a reçu Adji Sarr en consultation.
Auditionné par la Gendarmerie, Dr Gaye a confirmé le contenu de son rapport médical, versé dans le dossier d’enquête. Mieux, il a révélé avoir « reçu un appel de Me Papa Samba Sow dit « Gaby » et beau-frère de Mamour Diallo, ex-DG des Domaines lui demandant s’il ne comptait pas bouger de Dakar. Poursuivant, il a indiqué que le même avocat l’a appelé, le lendemain, pour lui dire qu’il était avec une fille violée.
L’OPPOSITION PARLEMENTAIRE REFUSE DE CAUTIONNER LA LEVEE DE L’IMMUNITE PARLEMENTAIRE DU DEPUTE OUSMANE SONKO
Saisi parle ministère de la Justice, le bureau de l’Assemblée nationale s’est réuni le jeudi 11 février pour statuer sur la demande de levée de l’immunité parlementaire de leur collègue député, Ousmane Sonko. Sans surprise, cette demande a été tout simplement validée par les membres du bureau de l’Assemblée nationale de la treizième législature qui ont dans la foulée convoquée pour le 17 février en plénière pour la validation de la liste des membres de la commission ah doc chargée d’auditionner Sonko et dresser un rapport.
Réunie le 22 février sans la présence d’Ousmane Sonko et de son représentant et collègue député, Cheikh Bamba Dièye, mais aussi de Moustapha Mamba Guirassy, un des représentants du groupe parlementaire des libéraux qui a démissionné, la commission ad hoc a annoncé la saisine de la plénière de l’Assemblée nationale le 26 février pour approuver la levée de l’immunité parlementaire. Pour leur part, les députés de l’opposition et leurs collègues non-inscrits dénonçant « plusieurs vices de formes dans la procédure » et le « manque d’indépendance de l’Assemblée nationale » avaient voté contre cette levée de l’immunité parlementaire qui est finalement adoptée par les 125 députés de la majorité sur 165 que compte l’Assemblée nationale.
LE CAPITAINE DE GENDARMERIE NATIONALE, SEYDINA OUMAR TOURE, EMPORTE PAR L’AFFAIRE
Jeune et brillant gradé de la Gendarmerie, le capitaine Seydina Oumar Touré qui avait en charge de l’enquête dans cette affaire Adji Sarr- Ousmane Sonko est la première victime. Soupçonné par les autorités d’être à l’origine de la fuite des procès-verbaux d’enquêtes, il a été contraint à renoncer à sa tenue de Gendarmerie après plusieurs jours d’épreuve et de pression qu’il a lui-même dénoncé lors d’un entretien exclusif accordé à nos confrères de SenTv (groupe Dmédia). Lors de ce face-à-face, l’officier de police judiciaire a révélé que la Section de recherche a bâclé l’enquête qui devait se faire à charge et à décharge à cause de la pression exercée par Serigne Bassirou Guèye qui était procureur de la République au moment des faits.
LES EMEUTES DU MOIS DE MARS QUI ONT FAILLI FAIRE BASCULER LE REGIME DU PRESIDENT SALL
Convoqué par le juge du 8ème Cabinet d’instruction, le 3 mars, Ousmane Sonko qui était accompagné par une foule de militants au tribunal a été arrêté sur ordre du procureur Serigne Bassirou Guèye pour « troubles à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée ». Transporté dans les locaux de la Section de recherche sis à la Caserne de Gendarmerie Samba Diery Diallo de Colobane, il est placé en garde à vue dans cet endroit ; ce qui a déclenché six jours de violentes émeutes à Dakar et dans plusieurs régions du pays. Face à l’ampleur de la tension et leur lot de dégâts, l’armée a été réquisitionnée pour assurer la sécurité des lieux stratégiques à Dakar comme le Palais de la République. C’est ainsi que le Khalife général des Mourides afin d’éviter que l’irréparable se produise, a initié une mission de médiation auprès des autorités et des responsables du Mouvement de défense de la démocratie (M2D) qui soutient Ousmane Sonko. Cette mission a abouti à la libération de Sonko le 8 mars 2021 après son placement sous contrôle judiciaire par le défunt Doyen des juges qui a hérité de cette affaire après le désistement du juge du 8ème Cabinet. Et à la décrispation de la tension même si les responsables du M2D ne cessaient de dénoncer le non-respect par le pouvoir en place des engagements qu’il avait pris.
LES 14 MORTS QUE L’ETAT DU SENEGAL TENTE DE FAIRE OUBLIER
Lors de cette série de manifestations qui s’était déroulée du 3 au 8 mars 2021 suite à l’arrestation de Ousmane Sonko, 14 victimes âgées de 12, 16 et 17 ans dont 12 tuées par balles ont été dénombrés à Dakar, Bignona et à Diaobé. Dans un rapport 512 pages relatif à ces événements, l’Ong Amnesty International accuse les forces de l’ordre et de défense d’être responsables de ces 14 morts des émeutes de mars 2021. De son côté, lors d’une conférence de presse tenue au mois d’avril 2021, le gouvernement du Sénégal avait annoncé la mise en place d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur ces événements malheureux. Commission d’enquête qui tarde encore à voir le jour.
LA DECISION SURPRENANTE DU DOYEN DES JUGES MAHAM DIALLO DE RENVOYER CETTE AFFAIRE EN CHAMBRE CRIMINELLE
Nommé au mois de novembre 2021 pour remplacer l’ex-Doyen des juges d’instruction, feu Samba Sall, décédé au mois d’avril dernier, c’est Oumar Maham Diallo qui a finalement conduit à terme la procédure d’instruction de ce dossier. Dans un avis d’ordonnance de règlement définitif signé le mardi 17 janvier dernier, adressé aux avocats des différentes parties prenantes de cette affaire, l’ex président de chambre à la Cour d’appel de Ziguinchor a informé sa décision de «renvoi et de mise en accusation » contre Ousmane Sonko et Ndèye Khady Ndiaye. Ces derniers étaient inculpés de viol et menaces de mort et placés sous contrôle judiciaires depuis mars 2021. Par ailleurs, le Doyen des juges d’instruction, Oumar Maham Diallo, a indiqué que le procès dont il n’a pas précisé la date, se tiendra à la Chambre criminelle de Dakar. Avec cette décision de renvoi, le Doyen des juges d’instruction a suivi le Parquet qui, dans son réquisitoire à charge, avait non seulement demandé une mise en accusation d’Ousmane Sonko mais aussi son renvoi devant la Chambre criminelle, pour viols et menaces de mort
UN «RENVOI ET MISE EN ACCUSATION» SI LOIN DE LA DEPOSITION DES TEMOINS
Cités pour la plupart par les avocats de Sonko, la majorité des témoins à l’exception de Sidy Ahmed Mbaye, (neveu de Maodo Malick Mbaye, responsable de l’Apr) accusé d’avoir transporté la jeune dame à la Gendarmerie pour déposer sa plainte, ont plutôt fait des dépositions à charge lors de leur audition par le doyen des juges. Dernier à être entendu après l’ex-Capitaine de la gendarmerie nationale, Seydina Oumar Touré qui avait entendu Adji Sarr après le dépôt de sa plainte qui a mouillé l’ancien procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, le jeune marabout, Baye Mbaye Niasse a déclaré à la sortie de son face-à-face avec le magistrat avoir remis à ce dernier une clé Usb contenant des enregistrements audios d’une conversation de la plaignante avec Mamour Diallo (directeur général de l’ONAS) attestant la thèse d’un complot. Des audios qui seront par la suite largement diffusés sur les réseaux sociaux.
OUMAR MAHAM DIALLO, SOURD A LA VOIX DES UNIVERSITAIRES
Outre la déposition des témoins, plusieurs personnalités du monde universitaire ont également pris position sur cette affaire de « viol et menaces de mort ». Dernière en date, la sortie de l’ancien Recteur et ancien Doyen de la Faculté des Sciences juridiques et politiques de l’Ucad, le professeur Kader Boye, et son collègue Pr Penda Mbow. Dans une tribune publiée à la Une de Sud quotidien le 12 janvier dernier, l’ancien Doyen de la Faculté de Droit de l’Ucad, le professeur Kader Boye citant les « circonstances de lieu et de temps de la prétendue commission de l’infraction décrites par la plaignante même sur un plateau de télévision », a invité le doyen des juges Maham Diallo à « rendre une ordonnance qui, dans notre entendement de juriste, ne saurait être qu’un non-lieu... » « Contrairement à ce qui est dit, le juge ne prend pas sa décision uniquement sur la base de son intime conviction. Mais sur les éléments probants qui pourraient caractériser l’infraction et sur l’ensemble des faits attestés qui entourent cette affaire. L’on se demande toujours comment cette affaire a pu franchir l’obstacle de l’enquête préliminaire », s’était-il demandé.
Auparavant, c’est l’historienne et ancienne ministre de la Culture Pr Penda Mbow, très engagée dans le combat pour la défense de la cause féminine qui était montée au créneau pour fustiger l’instrumentalisation de la jeune Adji Sarr par des hommes politiques. « Pour la première fois dans l’histoire politique du Sénégal et dans les institutions, une femme est devenue un instrument entre les mains d’hommes politiques. Et cet instrument entre les mains d’hommes politiques est manipulé. On l’a transformée, non plus en tant que citoyenne, mais en tant qu’objet pour des objectifs purement politiques. Et c’est la plus grave forme de violence qu’on puisse exercer sur la femme ».