UN PROCESSUS ÉLECTORAL DÉCIDÉMENT CHAHUTÉ
Avec plus de 900 000 électeurs exclus des listes et des candidats rejetés pour des motifs invraisemblables, la fiabilité du fichier électoral et la transparence du contrôle des parrainages sont au cœur de vives tensions, plongeant le pays dans la crise
Depuis le début du processus électoral menant vers la prochaine présidentielle, le pays est plongé dans le chaos, avec des polémiques féroces qui laissent tout le monde perplexe. Tout a commencé avec le retrait des fiches et des clés USB pour la collecte des parrainages, lorsque la Direction générale des élections a refusé de remettre au mandataire d’Ousmane Sonko ses fiches et sa clé USB. Des actions judiciaires ont été engagées. Il s’y ajoute que des leaders légitimes connus et reconnus sur le terrain politique se sont retrouvés avec des doublons qui ont entraîné l’invalidation de leurs candidatures au niveau de la commission de contrôle des parrainages du Conseil constitutionnel. Dans le même temps, des candidats « fantômes » passaient avec succès cette étape. D’autres candidats comme l’ancienne Première ministre Aminata Touré se sont retrouvés avec des parrains de toute une région — à Saint Louis en l’occurrence — déclarés « introuvables » !
La DGE s’est obstinément refusée à remettre à Ousmane Sonko, par le biais de son mandataire, ses fiches de parrainages et sa clé USB. À la suite de cet épisode, le leader de la coalition Gueum Sa Bopp, Bougane Gueye Dany, a dénoncé des dysfonctionnements concernant les clés USB qui leur avaient été remises par la Direction générale des élections. Face à cette situation, la DGE a reconnu son erreur et en a remis une nouvelle. Parallèlement, les candidats Malick Gackou, Khalifa Ababacar Sall et Bougane Gueye Dany ont subi des harcèlements des forces de défense et de sécurité les empêchant d’effectuer leurs tournées politiques dans différentes localités du pays, pendant que le Premier ministre et candidat de Benno Bokk Yakaar, Amadou Ba, vaquait paisiblement à ses occupations politiques sans être inquiété. Au contraire, il bénéficie partout où il va d’un déploiement massif de policiers et de gendarmes chargés d’assurer sa sécurité, de jalonner son itinéraire tandis que gouverneurs, préfets et sous-préfets sont au garde-à-vous !
Le dépôt de la caution parles candidats à la Caisse de dépôts et de consignations a donné lieu à de nouvelles controverses, chaque candidat devant verser la somme de 30 millions de francs CFA. Une nouvelle polémique a éclaté lorsque la CDC a réceptionné le chèque d’Ousmane Sonko avant de refuser remettre une attestation à son mandataire. Mieux, ce mandataire été prié de venir récupérer son chèque puisque, arguait la CDC — dirigée par un poids lourd de la majorité présidentielle — le nom du leader de Pastef ne figurait pas sur les listes électorales !
Par la suite, un tirage au sort a été effectué par le Conseil constitutionnel pour déterminer l’ordre de passage des candidats lors du contrôle des parrainages, un mode qui a été vivement critiqué par tous les acteurs selon qui cela excluait le mérite. Ainsi, un candidat à la candidature bénéficiant d’une grande popularité et d’une incontestable légitimité, pouvait se retrouver en dernière position, et donc pénalisé par les doublons externes, tandis qu’un inconnu ayant la chance de figurer parmi les premiers à passer le contrôle pouvait passer tranquillement le filtre du contrôle des parrainages
C’est malheureusement ce qui s’est passé, de nombreux candidats ayant passé l’étape du contrôle des parrainages sont inconnus et considérés comme des fantômes dans l’arène politique. Des acteurs importants ont été éliminés en raison de doublons ou d’autres motifs compliqués voire incroyables comme l’ « invisibilité » de leurs parrains ou le fait que ces derniers sont inconnus du fichier électoral !
A quel fichier se fier ? 900.000 électeurs déclarés « inconnus »
Certains candidats ont décidé de se retirer, considérant que le processus était biaisé tout en rappelant que la CEDEAO avait exhorté l’État du Sénégal à revoir le processus de parrainages en raison du manque de transparence du fichier électoral.
L’authenticité du fichier électoral a été décriée par le leader de la coalition Gueum Sa Bopp, Bougane Gueye Dany, qui déclarait ceci : « à quel fichier électoral se fier puisque plus de 900.000 électeurs sont déclarés non électeurs entre autres incompatibilités observées sur le fichier électoral qui, d’après le CENA, n’a pas été mis à jour. À l’heure actuelle, la situation électorale est extrêmement tendue, les acteurs ont dénoncé la situation auprès de l’Union européenne et de la société civile, et ont même écrit une lettre au président Macky Sall pour qu’il réagisse et les rétablisse leurs droits.
Le président Macky Sall, durant les derniers mois de son magistère, reste concentré sur ses objectifs et multiplie les inaugurations sans prêter attention aux récriminations des acteurs politiques qui ne sont pas de son bord. Certains observateurs et analystes estiment que le président Macky Sall cherche à régler ses comptes avec des leaders politiques antisystème tels que Bougane Gueye Dany et Ousmane Sonko, qui avaient boycotté le dialogue national. Dans tous les cas, la situation que nous vivons présentement est sans précédent dans notre pays car, depuis 1960 jusqu’à aujourd’hui, jamais une élection présidentielle ne s’était déroulée dans des conditions aussi obscures.
Selon des experts qui préfèrent garder l’anonymat, personne ne maîtrise les motifs de rejet invoqués lors du contrôle des parrainages. Il a été dit que certains candidats ont présenté des clés Usb inexploitables, d’autres auraient un nombre anormalement élevé de doublons, d’autres encore ne seraient pas inscrits sur les listes électorales, etc.
Pour obtenir leur rétablissement dans la course à la présidentielle, les candidats se disant « spoliés », soutenus par d’autres ayant réussi à passer le filtre du contrôle des parrainages, se sont regroupés pour dénoncer le processus électoral, qu’ils considèrent comme non transparent et injuste et marqué par une « injustice sans précédent ». Cette situation suscite des inquiétudes et des discussions animées à travers tout le pays.