UNE ALLIANCE CONTRE-NATURE PROMETTEUSE
La coalition annoncée entre le Pastef d’Ousmane Sonko, le Taxawu Sénégal de Khalifa Sall, le Pds de Karim Wade et le Pur de Sérigne Moustapha Sy fait couler beaucoup d’encre et de salive
L’alliance annoncée entre le Pastef d’Ousmane Sonko, le Taxawu Sénégal de Khalifa Sall, le Pds de Karim Wade et le Pur de Sérigne Moustapha Sy a fait couler beaucoup d’encre et de salive, mettant sens dessus dessous l’opposition sénégalaise. Cette coalition sonnerait non seulement comme une trahison, selon certains acteurs de l’opposition sidérés par la démarche des leaders cités ci-dessus, mais aussi comme une union « contre-nature » au vu des voies différentes empruntées récemment par les uns et les autres. Pourtant, elle semble reposer sur des calculs mûrement réfléchis pour les joutes à venir.
Ça cogite grave au sein des états-majors et les pions politiques se placent avec délicatesse et finesse par les différents acteurs politiques, en prélude aux élections locales de janvier 2022. C’est dans ce sillage qu’il faudrait ranger l’annonce de la coalition de l’opposition, qui comprend au moins le Pastef d’Ousmane Sonko, le Parti démocratique sénégalais (Pds) de Karim Wade, le Parti de l'unité et du rassemblement (Pur) de Serigne Moustapha Sy et Taxawu Sénégal de Khalifa Sall. Cela, même si des voix se sont levées du côté de l’opposition pour prendre acte et dénoncer une démarche « cavalière » des leaders de ces formations politiques citées un peu plus haut, au vu des discussions qui étaient engagées pour une large coalition de l’opposition pour les élections municipales et départementales de janvier 2022.
ALLIANCE CONTRE NATURE
Quid de cette coalition « contrenature » qui est annoncée entre ces formations politiques au poids politique relativement lourd ? Le questionnement mérite son pesant d’or, d’autant plus que certaines choses, perçues comme des incohérences, sautent aux yeux. Tout d’abord, aucun des partis qui composent cette coalition n’était allé en coalition avec l’un d’entre eux, à l’élection présidentielle de 2019. Le Pur, qui était parti seul à ces joutes, avait son candidat, en la personne du Professeur El hadj Issa Sall qui a totalisé 4,07% des voix.
Quant au Pastef, son candidat Ousmane Sonko était en coalition avec d’autres partis et mouvements politiques pour un score de 15,67% et a terminé à la troisième place, derrière le candidat Idrissa Seck 20,51% et le président sortant réélu au premier tour, Macky Sall, avec 58,26% des voix. Si le Pds de l’ancien président Abdoulaye Wade, qui a vu le rejet de la candidature de Karim Wade, a préféré jouer la carte de la neutralité, Taxawu Sénégal victime du même traitement des « 7 Sages » avait purement et simplement misé sur le candidat de Rewmi, Idrissa Seck. L’autre fait marquant reste sans conteste les dossiers judiciaires des uns et des autres.
Presque tous, à l’exception du président du Pur, Sérigne Moustapha Sy, ont un dossier judiciaire sur le dos. Karim Wade fait l’objet d’une condamnation de six ans de prison ferme et 138 milliards de francs CFA d’amende pour enrichissement illicite par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). De son côté, Khalifa Sall a été reconnu coupable de détournement de 1,8 milliard de francs CFA de la régie d’avance de la mairie de Dakar, et condamné à une peine de 5 ans de prison ferme, assortie d’une amende pénale de 5 millions francs CFA, sans dommages et intérêts. Ces condamnations ont valu à tous les deux la perte de leur droit de figurer sur les listes électorales, selon les dispositions du code électoral, en ses nouveaux articles L29 et L30.
Si pour le leader de Pastef, les choses sont en balbutiement dans l’affaire politico-judiciaire de viol présumé qui l’oppose à une jeune masseuse, il n’en demeure pas moins qu’à ce jour aucun classement sans suite dudit dossier n’a été révélé au grand public. Ce qui voudrait dire qu’une épée de Damoclès trône toujours sur sa tête et que le dossier pourrait être soulevé à tout moment.
LA « COMPROMISSION », CLÉ DE SUCCÉS
Au regard de tout ce qui précède, il demeure constant que cette alliance repose à bien des égards sur une stratégie politique mûrement cogitée. La débâcle enregistrée lors de l’élection législative de 2017, avec cette querelle de tête de liste, ou encore le débauchage opéré par le président Sall dans les rangs de l’opposition, lors de la formation du gouvernement dit « d’ouverture », devraient servir inéluctablement de repère et d’exemple à cette coalition, si elle veut constituer un bloc fort à même de faire bouger les lignes pour tenir tête à la majorité présidentielle qui a quasiment remporté toutes les joutes électorales, depuis 2012.
Pour relever le défi, il faudrait á coup sûr jouer sur la carte de la compromission. Certains choix naturels s’imposent, par conséquent, dans certaines localités stratégiques du pays. A Dakar, département fort de 663.030 électeurs en 2019, Taxawu Sénégal paraît prendre de l’avance sur les autres formations politiques qui composent cette coalition. Dans le département de Mbacké, 364.826 électeurs à la dernière élection, tout comme à Saint Louis département qui comptait 162.702 votants, le Pds semble garder toujours une certaine hégémonie politique, même si celle-ci est difficile à quantifier vu l’absence dudit parti à la présidentielle de février 2019. Dans le département de Tivaouane avec ses 224.919 inscrits sur les listes électorales, le Pur pourrait légitimement réclamer la tête de liste. Il en est de même pour la région de Ziguinchor fort de ses 283.315 électeurs lors de la précédente élection, un des bastions électoraux d’Ousmane Sonko. Des arbitrages pourraient s’opérer pour les autres villes et départements à l’intérieur du pays. Cette stratégie, si elle fait des résultats probants, pourrait bien être reconduite pour les élections législatives de la même année.
LE RETOUR DE L’ASCENSEUR EN 2024
Que dire de la présidentielle de 2024 étant entendu que de ces élections locales et législatives, dépendront en grande partie les résultats de la présidentielle de 2024 ? Une chose reste probante. Le chef de l’État, Macky Sall n’est pas dans les dispositions d’aménager une porte d’entrée à Khalifa Sall et Karim Wade sur les listes électorales. La dernière modification du Code électoral, avec un réaménagement des articles L31 et L32, devenus L29 et L30, tout comme une amnistie, auraient permis à ces derniers de recouvrer leurs droits civiques. Mais, que nenni, alors qu’une promesse allant dans ce sens avait été formulée, avant la présidentielle de 2019.
Il reste, par conséquent, constant que si rien n’est fait d’ici là, Karim et ‘’Khaf’’, sans oublier Serigne Moustapha Sy qui sera certainement atteint par la limite d’âge, seront sur la touche de départ à ces joutes. Seul Ousmane Sonko deviendra le candidat naturel et légitime de cette coalition. A cette effet, il pourrait bénéficier d’un retour de l’ascenseur, si bien évidemment son parti et lui acceptent de faire profil-bas au profit de Khalifa Sall et de Karim Wade dans certaines villes et départements, lors de ces élections prochaines. Cela, au regard du « vide » de leaders charismatiques derrière lui, au niveau local. Il faudrait pour ce faire que cette coalition résiste au temps, aux coups bas du régime de Macky Sall, mais surtout aux problèmes d’égo qui avaient fait voler en éclats les précédentes coalitions.