UNE QUESTION TOUJOURS EVOQUEE, JAMAIS REGLEE
Evoquée lors des dernières concertations sur le processus électoral, mais laissée en suspens pour une éventuelle prise en charge par une Commission, la question du financement des partis politiques a été soulevée depuis belle lurette
Evoquée lors des dernières concertations sur le processus électoral, mais laissée en suspens pour une éventuelle prise en charge par une Commission, la question du financement des partis politiques a été soulevée depuis belle lurette et à de nombreuses reprises. Moult réflexions ont été menées dans ce sens sans pour autant aboutir à une conclusion efficiente. Des réflexions du professeur agrégé des Facultés de Droit, El Hadj Mbodj, en 1998, aux recettes de la société civile et des acteurs politiques en décembre 2015, en passant par les conclusions des Assises nationales de 2009, sans oublier les travaux de la Commission nationale de réforme des Institutions (Cnri) en 2014, des pistes de solution n’ont cessé d’être dégagées. Au final, la question est toujours pendante en dépit des différents régimes qui se sont succédé à la tête du pays. Sud Quotidien relance la problématique en remettant au goût du jour les appréciations des divers acteurs du champ politique, même si elles sont quelque part décalées.
Impuissance ou simple manque de volonté politique de la part des différents acteurs politiques qui se sont succédé à la tête du pays, face à la lancinante question du financement des partis politiques ? Une telle interrogation fait sens, dans la mesure où la question du financement des partis politiques qui ne date pas d’aujourd’hui tarde à trouver une réponse adéquate. Mieux, elle est d’actualité au vu des démêlés judiciaires que connaissent en ce moment l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, et son ex-homologue sud-africain, Jacob Zuma. Sud revisite les réflexions et pistes de solutions qui ne manquent pas sur ce sujet.
DIOUF L’ENVISAGE, WADE L’ENTERRE, MACKY LE SUSPEND
Dans une interview accordée au quotidien Populaire, en août 2010, le professeur agrégé des Facultés de droit, non moins médiateur chargé par le président Abdou Diouf, de réfléchir sur le statut de l’opposition et le financement des partis politiques, El Hadj Mbodj, avait indiqué que la question du financement des partis politiques était une vieille revendication de l’opposition sénégalaise. En 1984, sous le leadership d’Abdoulaye Wade, elle «avait adressé une correspondance au président de l’Assemblée nationale, invitant celui-ci à saisir la plénière afin qu’elle puisse adopter des lois sur le statut de l’opposition et le financement des partis politiques». Aussi, avait-il indiqué, un travail lui avait été demandé par le président Diouf à l’époque, en 1998. «J’ai pu faire ce travail, en étroite intelligence avec beaucoup de partis politiques», avait-il révélé. Mieux, poursuivait-il : «J’avais soumis les recommandations au président Abdou Diouf qui avait l’intention d’adopter cette législation, après l’élection présidentielle. Mais, le sort en a voulu autrement».
Toujours au cours de cet entretien, le Pr Mbodj avait fait état de la «mauvaise volonté» de l’ancien président Wade de mettre en place le statut de l’opposition et le financement des partis politiques, une fois au pouvoir. A sa demande de le rencontrer sur la question, il lui aurait répondu qu’il connaissait ce travail mieux que lui, mieux que ceux qui ont commandé ce travail, et qu’il ne pourrait évoquer la question, si toutefois il lui accordait un entretien. Il en a conclu alors que Wade ne voulait plus examiner la question parce qu’il avait« assez de manne financière pour fonctionner sans aucune assistance quelconque».
Cette même question est revenue sur le tapis puisqu’elle faisait partie des points à discuter lors des dernières concertations sur le processus électoral. Mais, même si des points de convergence existaient entre les différents acteurs qui avaient pris part à ce dialogue, sur notamment la nécessité de prendre à bras-le-corps cette question, il n’en demeure pas moins que ladite préoccupation, comme certaines d’ailleurs, a été mise en suspens. Cela, dans le but de la confier à une Commission. C’est dire ainsi que le président Macky Sall remettait lui aussi à une date ultérieure cette vieille revendication de l’opposition.
QUAND LES TRAVAUX DES ASSISES ET DE LA CNRI SONT OUBLIES !
La nécessité de mettre sur pied une commission qui va plancher sur ces questions était d’autant plus curieuse que l’on faisait mine de ne pas savoir que des travaux antérieurs avaient été menés dans ce sens. C’est l’occasion de se demander ce qu’il est advenu des propositions des Assises nationales de 2009, ou encore des travaux du Pr Amadou Makhtar Mbow et de son équipe de la Cnri ? En effet, sur la question de la modernisation du système partisan et électoral, le « peuple des assises » avait suggéré un certain nombre de mesures. Il s’agissait, entre autres, de «réviser les conditions de création des partis politiques basées sur une exigence de viabilité et de seuil de représentativité nationale; renforcer la protection des libertés publiques intimement liées aux partis politiques; alléger le régime de récépissé, graduer le 0régime des sanctions, garantir l’indépendance des partis politiques vis-à-vis du gouvernement par l’exigence de la dissolution judiciaire». Mieux, il avait été proposé de «renforcer la garantie des droits politiques (Adoption d’un Code de conduite des partis politiques, garantie de la sincérité et de la transparence du jeu politique par l’adoption d’une législation sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales, renforcement du rôle des partis politiques dans les missions d’éducation et de socialisation de nos valeurs communes)».
Il en était de même pour la Cnri qui avait fait des suggestions allant dans le sens de la création d’une Autorité de régulation de la démocratie. Cette institution devait avoir une mission «de contrôle et de supervision de l’ensemble du processus électoral, d’assurer le contrôle de la régularité du fonctionnement et du financement des partis politiques, la vérification du financement des campagnes électorales. Elle organise aussi la tenue de concertations régulières entre les acteurs du jeu politique». Le professeur Amadou Makhtar Mbow et compagnie avaient recommandé, pour un contrôle du circuit de financement des activités des partis politiques, la «stricte application de la loi n° 81-17 du 6 mai 1981 relative aux partis politiques modifiée par la loi n°89-36 du 12 octobre 1989». Cette loi stipule que tous les partis politiques doivent déposer, «chaque année au plus tard le 31 janvier, sous peine de dissolution, le compte financier de l’exercice écoulé».
LA CLE, SELON LES ACTEURS POLITIQUES
BABACAR GAYE, PORTE-PAROLE DU PDS : «Il faut appliquer strictement la loi sur les partis politiques…»
«D’abord, il faut appliquer strictement la loi sur les partis politiques qui sont assujettis à une comptabilité transparente. Ensuite, il s’agira de légiférer sur l’utilisation des ressources publiques dans le financement des activités des partis afin de contrôler les cotisations des adhérents ou membres et d’éviter des fraudes sur le nombre de militants. Il importe également de fixer un seuil plafond pour les dépenses liées au fonctionnement des partis et de la campagne des candidats aux élections. A ces mesures, il faut ajouter par ailleurs la nécessité de rembourser les dépenses de campagne des candidats et listes de candidats qui auront obtenu au moins 5% des suffrages exprimés après avoir vérifié leur emploi, l’effectivité de la dépense et la traçabilité du règlement. Dans le même ordre d’idées, il me semble aussi essentiel d’interdire systématiquement des retraits bancaires en espèces et l’utilisation de ressources financières venant de l’étranger même si c’est sous le couvert d’un Sénégalais expatrié. Voire même d’imposer un paiement des factures de campagne par chèques non endossables».
MOUSSA SARR, PORTE-PAROLE DE LA LD : «On doit tenir compte de la représentativité des partis politiques..»
«Je pense qu’on doit tenir compte de la représentativité des partis politiques, leur participation à des élections, la tenue régulière des instances nationales mais aussi la tenue régulière des comptes des partis politiques. Ce sont là des critères qui peuvent, avec d’autres propositions, permettre de nous entendre sur les conditions de financement d’un parti politique. Parce n’importe quel parti politique ne devra pas bénéficier de l’effort du contribuable sénégalais. La Nation devra financer le parti politique qui répond à des critères bien précis. 249 partis politiques au Sénégal, c’est énorme et cela fausse le jeu démocratique».
MAEL THIAM, ADMINISTRATEUR GENERAL DE L’APR : “Il faudra réglementer les paramètres d’évaluation des montants à financer...»
“Le financement des partis doit faire partie d’un processus d’analyse de la démocratie au Sénégal. Et, si vous analysez tout ce processus, vous vous apercevrez qu’il y a d’autres maillons qui sont beaucoup plus faibles que le processus du financement des partis politiques. Je veux dire la réglementation sur la création des partis politiques. N’importe qui, aujourd’hui, peut créer un parti politique au Sénégal. Cela également mérite une réflexion. Mais, si on doit financer les partis politiques, il faudra réglementer les paramètres d’évaluation des montants à financer pour chaque parti politique. Est-ce que ça va être indexé sur la représentativité de chaque parti politique par rapport à une question électorale ou par rapport à la représentativité en termes de membre ? Dans tous les cas, je trouve tout à fait normal que les partis politiques bénéficient des financements des fonds publics de l’État»
La recette de la société civile
Même la société civile n’a pas été en reste dans cette quête de pistes de solutions. L’on se rappelle de la position des uns et des autres, en décembre 2015, quand éclatait « l’affaire Lamine Diack » du nom de l’ancien patron de l’Iaaf et ex-maire de Dakar poursuivi en France pour «corruption» et soupconné au Sénégal d’avoir financé l’opposition en 2008. Interrogé à l’époque sur la question, Me Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme (Lsdh) disait que «la solution la plus simple, c’est de faire en sorte qu’un parti politique qui est éligible à la participation d’élections puisse avoir les moyens de financer sa campagne. C’est l’Etat qui doit organiser ce financement des partis». Pour lui, si le financement était effectif, l’Etat pourrait astreindre les partis à une obligation, du moment que l’argent serait logé au Trésor public, donc soumis à une obligation de rendre compte et de tenir une comptabilité publique.
Lui emboitant le pas, le Directeur exécutif d’Amnesty Sénégal, Seydi Gassama, qui pense que les partis politiques concourent à la bonne marche de la démocratie, avait estimé aussi que «l’Etat devrait pouvoir financer leurs activités». Non sans préciser que cela ne voulait pas dire que l’Etat doit financer toutes les activités des partis. Il était d’avis, tout de même, que les membres des partis politiques «doivent participer au financement de leurs associations» et que «les partis doivent également pouvoir générer d’autres sources de financement, y compris les contributions des donateurs».Toujours dans ses propositions, M. Gassama avait préconisé que «la loi interdise, de façon claire et sans ambiguïté l’usage des ressources extérieures pour financer les campagnes électorales». Mieux, il est d’avis qu’il faut plafonner les dépenses de campagne électorale.
De son côté, Birahim Seck du Forum civil, n’en dira pas moins. Il pense que «des pays comme le Sénégal doivent aller dans le sens d’avoir des mécanismes de prévention contre le financement illicite des partis politiques mais surtout des campagnes électorales». Entre autres propositions faites par M. Seck, il faut retenir le plafonnement des dépenses électorales mais également celles du financement des campagnes électorales, la soumission des dirigeants des partis politiques mais aussi des candidats à l’élection présidentielle à l’exercice de déclaration de patrimoine, tout comme l’existence d’une loi sur les conflits d’intérêts.