UNE TREIZIÈME LÉGISLATURE MARQUÉE PAR DES SCANDALES
Cette législature, la dernière de son illustre président Moustapha Niass, l’enfant de Keur Madiabel, lanceur de pierres à ses heures perdues, en a fait voir de toutes les couleurs aux Sénégalais. Retour sur ses multiples scandales
Les Sénégalais vont accomplir leur devoir civique dans cinq jours pour choisir dans les 54 circonscriptions électorales (46 départements et 8 circonscriptions de la diaspora) leurs 165 représentants à l’hémicycle de la place Soweto. Il s’agira de la XIVe législature du Sénégal depuis l’institution de la loi no 60-44 du 20 août 1960 portant création de cette chambre du parlement. Alors que la campagne électorale bat son plein avec son lot de promesses et de mensonges, votre journal préféré revient, pour sa part, sur les scandales qui ont jalonné la XIIIe législature. De l’affaire des 1500 F CFA d’impôts payés par le député sénégalais au scandale de trafic des passeports diplomatiques, en passant par les affaires de trafics de faux billets et de viols répétitifs qui ont défrayé, entre autres, la chronique, cette XIIIe législature qui est également la dernière de son illustre président, Moustapha Niass, l’enfant de Keur Madiabel, lanceur de pierres à ses heures perdues, nous en a fait voir de toutes les couleurs. Retour sur une législature marquée par des scandales tous azimuts !
Chaque député paie 1500 F CFA d’impôts, selon Ousmane Sonko
Après avoir révélé lors d’un panel de « Les samedis de l’Economie» que l’Assemblée nationale devait 2,7 milliards F CFA au fisc sénégalais sous la XIIe législature, Ousmane Sonko, le leader du parti Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), est revenu à la charge une fois élu député, en 2017, en indiquant que le député sénégalais ne paye que 1.500 FCFA d’impôts. L’affaire fait grand bruit et agite le landerneau politique. Le Sénégalais lambda est scandalisé. Réagissant sur la question, le député Mamadou Diop Decroix soutient qu’il «est manifeste que, comparé au système d’imposition appliqué aux salariés, le système d’imposition appliqué aux députés induit une différenciation très nette en faveur du député et qui permet donc de dire que le député ne paie pas le juste impôt même s’il paie bel et bien un impôt».
Un député trafiquant de faux billets
Le 14 novembre 2019, le site lavoixplus.com annonce, en exclusivité, qu’un «honorable parlementaire de la banlieue dakaroise», serait « depuis quelques minutes », entre les mains des pandores de la Section de recherches de la gendarmerie de Colobane. L’affaire fait l’effet d’une bombe et les supputations vont bon train jusqu’à ce que Libération online révèle l’identité du député. Il s’agit de Seydina Fall alias Boughazelli de Guédiawaye. Le fauxlion (simb) devenu député de la mouvance présidentielle. Le député de l’Alliance pour la République (APR) a été appréhendé en flagrant délit alors qu’il exécutait une commande urgente de 46 millions CFA en billets noirs et de mercure pour les laver auprès d’un client, Malick Samb. En fait, celui-ci, arrêté par les gendarmes dans le cadre d’une enquête de faux monnayage, a révélé au cours de son audition le rôle du parlementaire et, en intelligence avec les enquêteurs, a joué le jeu de la chèvre. Boughazelli mord à l’hameçon et se présente au rendez-vous. A la vue des gendarmes, le député, filmé avec ses sacs remplis de faux billets, lâche son fameux cri qui affole par la suite la toile : «Wooy yakuna». Une perquisition effectuée chez lui et en sa présence permet de mettre la main sur un autre lot de billets noirs et une importante quantité de mercure. Le député, arrêté en flagrant délit, est relâché sur convocation sous la pression des pontes du pouvoir qui invoquent l’article 51 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Face à l’ampleur du scandale, le député sera démissionné le 18 novembre 2019 à travers un communiqué du Service de Communication de l’Assemblée nationale. Arrêté de nouveau par la gendarmerie après sa démission forcée, Boughazelli a été déféré au parquet le vendredi 22 novembre 2022. Il sera par la suite interné dans une clinique privée. Le 03 juin 2020, l’ex-député bénéficie d’une liberté provisoire accordée par le Doyen des juges d’instruction suite à une demande introduite par ses conseils devant la Chambre d’accusation. Depuis, il vaque tranquillement à ses occupations.
Des députés trafiquants de passeports diplomatiques
Suite à une saisine du ministre de la Justice relativement à l’implication présumée de deux députés dans une affaire de trafic de passeports diplomatiques, l’Assemblée nationale met en place, le 22 octobre 2021, une commission ad hoc aux fins de lever l’immunité parlementaires des députés Mamadou Sall et Mamadou Villiembo Biaye, tous deux membres de la mouvance présidentielle. Le 09 novembre, à l’issue d’une plénière portant sur l’examen des conclusions de la commission ad hoc, quatre-vingttrois (83) députés ont voté pour la levée de l’immunité parlementaire, contre trois (3) abstentions. Les faits imputés aux députés remontent au début du mois de septembre avec l’arrestation du sieur El Hadj Djadji Condé suite à une plainte d’une commerçante grugée dans une affaire de trafic de passeports diplomatiques. Les deux députés de la mouvance présidentielle ont été ainsi cités dans l’affaire pour leur concours dans l’établissement de documents d’état civil dans le but de faciliter l’obtention de passeports diplomatiques à des tiers. Ils ont été inculpés par le juge d’Instruction du deuxième cabinet en décembre 2021 et condamnés en mai 2022 par la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Dakar. Pour Mamadou Sall, le tribunal lui a infligé une peine de 2 ans dont 6 mois de prison ferme. En ce qui concerne Boubacar Biaye, il a écopé de 2 ans dont 5 mois de prison ferme.
Un député présumé violeur
En début février 2021, le pays est secoué par une sordide affaire de « viols répétitifs et menaces de mort ». Le mis en cause, le député Ousmane Sonko, arrivé 3e lors de la dernière présidentielle de 2019. Une sulfureuse masseuse, Adji Sarr, l’accuse de l’avoir violée et fait subir les derniers outrages lors de séances de massage nocturnes. Sur sa page Facebook, le chef de file des « Patriote » et principal opposant du régime après le ralliement de Idrissa Seck à la mouvance présidentielle, crie au complot et balaie d’un revers de la main les accusations qui interviennent, selon lui, après celles relatives à ses liens avec le MFDC, au financement de son parti par l’Etat islamique, à la plainte pour diffamation portant sur les 94 milliards, la plainte de Franck Timis, aux dizaines de millions de Tullow oil et aux mallettes de Karim Wade et Yaya Jammeh. Le leader de Pastef qui se considère comme l’homme politique le plus diffamé, calomnié et persécuté, dénonce une tentative de liquidation à tout prix avant 2024 après celles de Khalifa Sall et Karim Wade. Convoqué d’abord le 8 février par la gendarmerie nationale, Ousmane Sonko refuse d’y déferrer et invoque son immunité parlementaire. Le 26 février 2021, 98 députés votent pour la levée de son immunité parlementaire. Un seul de ses collègues a voté contre et 2 se sont abstenus. Les députés de l’opposition avaient quitté la salle avant le vote. Convoqué le 03 mars 2021 par le Doyen des juges, Samba Sall, Ousmane Sonko choisit un itinéraire tortueux pour se rendre au tribunal. Il est finalement arrêté par les gendarmes. Des heurts éclatent entre les forces de l’ordre et les sympathisants de l’opposant pendant trois jours et font 14 morts et de nombreux dégâts matériels. Le 8 mars 2021, Ousmane Sonko est placé sous contrôle judiciaire. En avril, le doyen des juges chargé du dossier décède et est remplacé le 22 novembre 2021 par Maham Diallo, précédemment président de la Cour d’Appel de Ziguinchor. Depuis avril 2022, le juge convoque des témoins de l’affaire et organise des confrontations sans que l’affaire ne soit encore jugée.
Un député argentier
Le titre est apparu en 1317 sous l’Ancien Régime, en France, quand des surintendants s’occupaient de la comptabilité particulière de l’hôtel du roi. Au Sénégal, qui n’est pas un royaume, du moins officiellement, le ministre des Finances est l’argentier de l’Etat et les institutions bancaires reconnues et le Trésor public gardent l’argent du contribuable. C’est donc dans ce pays qu’un député de la XIIIe législature abrite des coffres d’argent à domicile. L’affaire a fait grand bruit quand le député-maire de Agnam, Farba Ngom, a été victime d’un vol portant sur près de 1 milliard de francs – la version officielle. Le présumé voleur n’est autre que le chauffeur et garde du corps du député, Doudou Diaw. Devant les enquêteurs, le présumé voleur qui gagnerait le misérable salaire de 60 000 F CFA aurait reconnu s’être servi dans l’une des chambres qui servaient de banque dans le domicile du député en passant par la fenêtre. Alors qu’il est accusé d’avoir dérobé 890 millions de F CFA, lui soutient mordicus n’avoir pu prendre que 300 millions dont les 160 ont été confiés à un ami. Doudou Diaw a été placé sous mandat de dépôt le 14 avril 2022 par le juge du 2e cabinet. Dans un autre pays de droit, le procureur se serait autosaisi pour demander la levée de l’immunité parlementaire du député et les banques constituées parties civiles. Sans compter que les innombrables machins de lutte contre la corruption se seraient saisis de l’affaire pour que le député milliardaire explique l’origine de sa fortune subite !
Un député embastillé
Prenant le micro au cours du rassemblement pacifique organisé par l’inter coalition Yewwi-Wallu le 8 juin 2022, à la place de la Nation, le député Cheikh Abdou Bara Dyoli Mbacké accuse le chef de l’Etat, Macky Sall, de faire des choses pas catholiques du tout dans l’intimité de son bureau au Palais de la République. Sur ordre du ministre de la Justice, Me Malick Sall, le député est arrêté le 10 juin 2022 par la DIC pour «offense au chef de l’Etat, diffamation et diffusion de fausses nouvelles», sans que son immunité parlementaire ne soit levée. Au même moment, la victime présumée, le président Macky Sall, fume, à Paname, le calumet de la paix avec l’un de ses plus virulents insulteurs sur les réseaux sociaux, Kalifone Sall. Le 7 juillet, après son audition sur le fond par le Doyen des juges, le député est remis en liberté provisoire. Voilà à quoi les contribuables sénégalais ont été confrontés avec cette XIIIe législature qui nous aura révélé des députés trafiquants de passeports diplomatiques, laveurs de faux billets de banque, fraudeurs fiscaux, présumé violeur et, last not but least, banquier. Et comme, dans ce pays magique, on prend toujours les mêmes et on recommence, difficile d’espérer en une XIVème législature qui réconcilierait les Sénégalais avec leur Assemblée nationale !