VICTOIRE ILLUSOIRE
L'indifférence exprimée par le peuple, malgré l'implication du couple présidentiel, ne peut être passée sous silence. Elle pèse de tout son poids dans toute analyse efficiente des résultats du référendum
Le référendum a vécu, le "Oui" l'a remporté, la révision de la constitution aura bien lieu. Cependant, que le pouvoir ne s'y méprenne, loin de faire dans le triomphalisme qui signifierait un regain d'arrogance aux yeux de la majorité constituée du camp du "Non" et des abstentionnistes, il devrait plutôt méditer ce taux de participation de seulement 38,26%, après tout l'arsenal déployé.
Le pire qui peut arriver à quelqu'un qui a joué son va-tout et obtenu une victoire, c'est de ne savoir clairement et précisément, quels sont les mérites de celle-ci et les réelles opportunités qu'elle ouvre. Le lendemain du vote, retourner aux affaires essentielles qui obsèdent les administrés et furent néanmoins suspendues le temps de la campagne, est ce qui attend inéluctablement les vainqueurs, après cette extraordinaire mobilisation. Pourvu alors que la victoire équivaille à une solution aux difficultés de ces administrés. Sinon la déception sera grande et son impact négatif sur la relation entre le pouvoir et l'électorat assuré.
Ce référendum, a pour le moins, eu le mérite de rendre plus évident une réalité consistant en un nouveau script paradigmatique, dans la relation entre leaders de parti et membres de la base, d'autre part dans le jeu d'alliance des forces politico-sociales. L'indifférence exprimée par le peuple, malgré l'implication personnelle du couple présidentiel et de tant d'icônes religieuses, artistiques et sportives, dont il a sollicité le concours, ne peut être passée sous silence, surtout compte tenu des moyens plus ou moins suspectés, déployés. Elle pèse de tout son poids dans toute analyse politique qui se veut efficiente.
Enseignements à en tirer
Le ndigël de chefs religieux ou même l'onction de ce dernier à un homme politique en vue des élections, semble de plus en plus incongru et contre-productif. Le citoyen d'aujourd'hui s'est quelque peu émancipé de cette ère où, son existence propre n'avait de sens pour lui, qu'à travers la corporation, le groupe social, la confrérie, etc. Il agit désormais selon ses convictions et intérêts propres et est très jaloux de ses libertés acquises.
L'argent certes pollue, mais ne suffit plus comme seul facteur de motivation du votant. La preuve par les résultats du référendum du 20 mars qui avait pris des allures d'élection présidentielle, tant la mobilisation a été forte du coté du pouvoir : 61,74% d'abstention, 37,29% pour le "Non" et 62,71% pour le "Oui", alors que pour un million investi par le camp des vaincus, cent millions l'auraient été par celui des vainqueurs. L'argent investi ici a non seulement échoué a drainer vers les urnes le minimum requis en matière de référendum (80% des inscrits), mais aussi a assurer un résultat proportionné au budget investi.
L'on ne sait voter que "pour ou contre" quelqu'un, au Sénégal ; ni pour un projet de société, encore moins de révision ou autres. On a beau se leurrer de formules sucettes du genre "on est une vieille démocratie mûre", mais en réalité la majorité d'entre nous est resté anachronique et vote selon ses émotions, son ressentiment ou affection envers un candidat.
Les partis politiques, en dehors de celui au pouvoir, souffrent de manière très apparente de ce que j'appellerais un SIMA (Syndrome insidieuse de morosité acquise), vidés qu'ils sont de toute leur capacité galvanisante et inspiratrice, ainsi que d'imagination et d'enchantement. Ils n'ont plus que l'air d'épouvantails à moineaux dans un champ. La cause en est que les multiples tentatives avortées sont passées par là et ont malheureusement eu sur leurs différentes organisations, le même effet qu'elles ont sur l'homme, alors que ce dernier est un être sensible contrairement à la personne morale qu'est le parti. C'est parce que ces leaders actuels de parti se sont plus préoccupés d'utiliser leur leadership à ériger leur charisme en culte héroïque au sein du parti, qu'à protéger cette œuvre qu'ils ont fondée pour qu'il leurs survive. Ils n'ont pas osé partager leur leadership et en construire un, collectif et collaboratif en lieu et place, par le biais d'habilitation et de responsabilisation d'autres éminents membres du parti.
Problèmes avec le mandat présidentiel
Le taux d'abstention dans ce référendum s'explique aussi par le fait de la focalisation du peuple à la promesse inédite faite avec insistance, de ramener le présent mandat à cinq ans. Alors que notre problème au Sénégal, quant au mandat présidentiel, ne réside pas dans sa durée, ni même le nombre ou l'âge limite, au point où l'on en vienne à verrouiller constitutionnellement ces dispositions. Notre obsession à enfermer le mandat dans certaines limites n'est qu'une anticipation de notre part, en vue de circonscrire les éventuelles forfaitures des élus, sujets à une tenace présomption de propension concussionnaire.
Notre problème réside dans la manière que le pouvoir est exercé, sans contrôle, aux seuls intérêts de l'élu et aux dépens des populations. Nous n'avons commencé à nous intéresser réellement à la durée du mandat qu'une fois convaincus de la duplicité des hommes politiques, qui une fois élus se remplissent ostentatoirement les poches de milliards de nos francs sans aucun égard pour nos droits ou conditions lamentables. Plutôt que de résoudre le problème par des mesures dissuasives idoines, telles que la saisie de tous les biens des personnes convaincues de détournement de deniers publics ou de corruption dans les marchés publics, assorties d'incarcération d'un minimum de dix ans, l'on préfère laisser faire que de sévir utilement. On dit d'ailleurs en Ouolof : "Sénégalais khamoul kou togne ku fayou la kham". Comprenez : la solidarité indulgente du Sénégalais est acquise à celui qui subit une peine, quelle que soit la gravité de la faute commise, pourvu seulement que ce dernier soit célèbre.
Ne voit-on pas des gens réclamer publiquement et véhémentement qu'on libère un détenu, condamné par les tribunaux compétents, l'innocentant au passage, au seul motif qu'il n'était pas le seul à commettre ce type de crime et que d'autres soupçonnés vaquent librement à leurs occupations. Cette forme d'imposture connu depuis l'antiquité sous le nom latin de Tu quoque est réputée ruineuse pour les valeurs d'une société. Autant insister avec la même véhémence pour que la traque continue sans discrimination et que ceux qui ont abusé de leur pouvoir pour s'enrichir indûment, soient châtiés de la même sorte et que le principe soit systématisé. C'est plus logique et constructif.
Encore une fois les priorités ont été sacrifiées au profit d'un épisode politicien, alors qu'on aurait pu en faire l'économie et consacrer les milliards engloutis par exemple à sécuriser cette autoroute Malick Sy-Patte d'Oie, lieu de tant d'homicides impunis, que nous ne saurions nous y habituer.