WIRI WIRI HONTEUX
Macky Sall vient de montrer qu’il ne s’embarrasse point de considérations éthiques pour respecter un engagement ferme tenu devant le peuple, seul souverain
Scénario en 3 actes
Après les actes 1 (l’engagement), 2 (le clair-obscur) et 3 (le reniement), le rideau vient tomber sur cette longue et lassante tragi-comédie qui a fini par prendre les allures d’une véritable bouffonnerie et dont le Président Macky Sall, l’histrion principal, ne s’est pas gêné au soir du 16 février pour dire aux 13 millions de Sénégalais que les cinq adjuvants du grand théâtre constitutionnel l’ont sommé de continuer le spectacle jusqu’en 2019.
Cette tragi-comédie disputerait bien le titre Wiri Wiri, au célèbre téléfilm du «Soleil levant» qui passe actuellement sur la TFM. Parce qu’il a fallu attendre 49 mois de slalom pour entendre le candidat de l’Alliance pour la République (APR), de Macky-2012 et puis de Benno bokk yaakaar, Macky Sall, qui, dans l’entre-deux tours de la présidentielle de 2012, s’était engagé, s’il était élu, de convertir le septennat en quinquennat en appliquant cette réforme au mandat en cours, déclarer qu’il ne peut plus honorer sa promesse à cause de la décision du Conseil constitutionnel. Laquelle décision le contraint, en vertu de l’article 92 de la Constitution, d’aller au bout de son actuel mandat, en 2019. Ainsi le président est tombé du Capitole sur la Roche tarpéienne.
En se barricadant lâchement derrière le Conseil constitutionnel pour commettre un parjure et valider une forfaiture, le président Macky Sall vient de poser le primum movens d’une rupture avec le peuple sénégalais dont le combat démocratique ces 16 dernières années, tourne essentiellement autour de l’instauration d’un quinquennat.
Cet engagement pris devant le peuple lui a valu des milliers de suffrages qui ont pesé dans sa brillante victoire du second tour de la présidentielle de 2012. Aujourd’hui se défiler, renoncer à son engagement au nom d’un respect scrupuleux des dispositions constitutionnelles revient à commettre un parjure.
Ayant saisi pour avis les sages de la Haute instance, sur la base de l’article 51 de la Constitution, le Président requérant en a reçu une décision coercitive. Et voilà que ses aèdes-conseillers veulent justifier ce tripatouillage en engageant une guerre sémantique, puérile et picrocholine sur les notions d’avis et de décision.
Triomphe des conseillers occultes
Quand le juriste Mounirou Sy, du fantomatique mouvement Fekke Maci Boole de Youssou Ndour, se bombe le torse et défie ses collègues juristes pour baratiner les Sénégalais que le Conseil constitutionnel ne délivre jamais des avis mais toujours des décisions, je le renvoie au brillant publiciste le docteur Rodophe Arsac, enseignant à la faculté de Grenoble, qui a publié, en 2006 dans le n°68 de la revue française de Droit constitutionnel, un excellent texte intitulé «La fonction consultative du Conseil constitutionnel». Il y juriste démontre comment la demande d’avis est différente de la demande de décision. À la page 228, il dit : «Le Conseil rend des avis lorsqu’il est consulté… Contrairement à la décision, l’avis ne nécessite aucune force obligatoire. Si les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités, la fonction consultative n’est pas concernée par cette disposition. En matière d’avis, le respect est d’autant plus significatif qu’il n’est aucunement appuyé par quelque obligation ou sanction que ce soit. Toutefois en passant outre à certains avis défavorables du Conseil constitutionnel, le président peut affaiblir son autorité.»
Et c’est ce même Mounirou Sy, sans consistance intellectuelle, sans argument, qui disait, devant les réactions poussées et tenaces des partisans du quinquennat, que «les gens le (le maintien du septennat, Ndlr) prennent comme du wax waxeet, parce que c'est le temps qui détermine certains comportements». Il y a de quoi plaindre les étudiants de ce professeur qui n’a cure des considérations éthiques dans les paroles et actes qu’il pose.
Quand l’éminence grise de sa Majesté Macky Sall, Ismaïla Madior Fall, soutient pour sa part que l’avis du Conseil constitutionnel lie le président, il devait se rappeler ses propos lors de l’émission Grand jury de la RFM du 29 janvier 2012 quand il flétrissait l’ancien président de la Haute juridiction, le défunt Cheikh Tidiane Diakhaté. «Il y a toujours une suspicion légitime sur le Conseil constitutionnel. Ce qui fait qu’il apparaît comme une cour de juridiction qui est à l’instar de la tour de pise, inclinée d’un côté, et c’est celui du pouvoir», disait-il avec morgue. Avant d’indiquer que «le Conseil ne devait pas ignorer «la valeur juridique de la déclaration du président Wade de 2007», lorsque lui-même indiquait qu’il ne pouvait pas se présenter. Et d’ajouter : «En droit constitutionnel, on estime que le Président de la République est considéré comme un des interprètes authentiques de la constitution.»
Abdoulaye Wade n’avait déclaré sa non-représentation qu’une seule fois alors que le Président Macky a rabâché neuf fois qu’il allait réduire son mandat. Puisque, comme le défend Ismaïla Madior Fall, «le Président de la République est considéré comme un des interprètes authentiques de la constitution» donc son mentor devait faire sienne ce cours magistral fait à Abdoulaye Wade. D’autant que le constitutionnaliste martèle que «la déclaration, le témoignage présidentiel sur le sens de ces dispositions est un élément que le Conseil constitutionnel ne peut pas ignorer».
Par conséquent, la Haute instance ne devait pas ignorer les déclarations itératives du Président Macky Sall afférentes à la réduction du mandat en cours. Surtout que, comme le rappelait le constitutionnaliste, «le Conseil constitutionnel ne doit pas et ne peut pas ignorer les manifestations qui exigent l’invalidation de la candidature de Wade. Un juge constitutionnel doit aussi être à l’écoute de sa société politique et pouvoir anticiper sur l’avenir. Parce que le droit constitutionnel, c’est un droit dans lequel il y a des considérations non juridiques qui influent et parfois influencent la décision du juge».
Le conseiller du Président Sall aurait bien fait de dire aux juges constitutionnels de prendre en compte dans leur décision rédhibitoire cette volonté manifestement majoritaire du peuple qui aspire à un mandat de cinq ans d’application immédiate. Mais aujourd’hui qu’il jouit des voluptés du pouvoir les principes de 2007 sont devenus obsolètes au point qu’ils ne sont point applicables à l’actuel locataire du palais de la République.
Dans la même période où Ismaïla Madior tenait ses propos, Abdou Latif Coulibaly tenait au Sud du pays, plus précisément au centre culturel de Ziguinchor une conférence dans laquelle il qualifiait de «tragédie» la décision du Conseil constitutionnel autorisant Abdoulaye Wade à briguer un troisième mandat. «C’est une tragédie non pas parce que cette décision pareille a été rendue, mais parce que cette décision a été négociée par le Président Wade avec des juges qui sont supposés être garants et protecteurs de la démocratie dans notre pays», affirmait-il. Il a même subodoré un parfum de corruption en soutenant que «la preuve que ce jugement a été négocié, c’est l’augmentation faramineuse du salaire des cinq juges du conseil constitutionnel». Avec Wade, la décision et négociée, mais ne peut-on pas en dire autant avec son successeur ?
Au mois de septembre 2011, l’ancien journaliste, alors patron de La Gazette déclarait : «Les juges du Conseil constitutionnel n'auront pas le courage de déclarer irrecevable la candidature de Wade.» Aujourd’hui c’est ce même manque de courage qui habite ces sages dont la nomination ne dépend que du bon vouloir du président de la République. Toutes postures et contre-postures, ces déclarations et contre-déclarations, les pétitions principe des conseillers du président de la République qui vont dans le sens opposé de la volonté populaires sont dictées non seulement par le principe du respect de la loi mais par un désir abyssal à vouloir prolonger la jouissance que procurent les ors du pouvoir.
Comme dans un polar
Une chose est sure : depuis juillet 2014 ou même bien avant, le président Sall connaissait déjà la position du conseil constitutionnel en déclarant au micro d’un journaliste de RFI : «Je ne sais pas combien de fois j’ai déclaré que je réduirai mon mandat à cinq ans. C’est une volonté et une conviction personnelles, mais que là ce n’est pas moi qui fais la loi. Il appartiendra au parlement ou au référendum, selon le schéma qui sera arrêté.»
Alors pourquoi avoir maintenu comme dans un polar le suspense, tenir en haleine les Sénégalais sur une fausse conviction et polluer le débat public sur une question qu’il savait d’avance résolue et que les analystes politiques avaient décryptée comme les prodromes d’une rétractation ? Aujourd’hui certains de ses alliés tirent leur révérence de la coalition Benno bokk yaakaar et d’autres Sénégalais qui avaient adhéré à son projet politique le renient à cause de sa pirouette de dernière heure.
Certes il appert que Macky Sall a peur, sur la base des sondages défavorables commandités périodiquement par le Palais, de remettre son fauteuil en jeu en 2017 où l’éventualité d’un second tour est constante. Mais ces deux ans qui séparent 2017 de 2019 risque d’accroitre le nombre de Sénégalais qui lui ont tourné le dos. Ses ouailles se trompent s’ils pensent obtenir sa réélection grâce au PSE, aux autoroutes Ila Touba, Diamniadio/AIBD, au pont de l’Emergence, au pôle urbain de Diamniadio avec le centre Abdou Diouf, à l’autosuffisance en riz, aux bourses familiales, aux nouvelles universités, à la Couverture maladie universelle, à la découverte du pétrole et du gaz, à l’érection d’infrastructures dans les foyers religieux, à la promesse mirifique des milliards aux régions lors des conseils de ministres délocalisés, à l’embellissement de la place de l’Indépendance, et à la promotion de la transhumance avec à la clé la distribution de strapontins aux nouveaux prosélytes.
Leçon non sue !
En 2012, les Sénégalais ont montré qu’ils sont assis sur un socle de valeurs et qu’ils lui accordent une place primordiale dans la conduite des affaires de la Cité. Malheureusement le Président Sall vient de montrer avec l’acte de reniement qu’il a posé le mardi 16 février 2016 à 20h qu’il ne s’embarrasse point de considérations éthiques pour respecter un engagement ferme tenu devant le peuple, seul souverain pour décider de son sort.
Quand Abdoulaye Wade a voulu adouber son fils, Karim Wade, à la mairie de Dakar en 2009 en voulant se défaire du maire Pape Diop qui pouvait se targuer d’un bon bilan, les électeurs l’ont désavoué en choisissant Khalifa Sall sans connaitre son programme. Quand il a voulu prétendre à un troisième mandat, les Sénégalais nonobstant ses nombreuses réalisations, l’ont défait en passant par l’avertissement du 23 juin 2011. C’est donc dire que les valeurs et l’éthique déterminent en grande partie le choix de celui qui doit présider aux destinées de ce pays. On pensait que le chantre de la gouvernance sobre et vertueuse avait compris la leçon, il se trouve malheureusement que l’acte de reniement qu’il a posé il y a trois jours montre le contraire.