«60% DES SENEGALAIS DEVRAIENT SE VACCINER POUR REPRENDRE UNE VIE NORMALE»
Dans cet entretien accordé à «L’As», le directeur de Téranga Pharma (Ndlr, remplaçant de Pfizer), Dr Mahamadou Sow, par ailleurs membre de l’Ordre des Pharmaciens du Sénégal, diagnostique les maux qui gangrènent l’industrie pharmaceutique

Au Sénégal, l’industrie pharmaceutique peine à décoller. Au moment où le monde est confronté à une crise sanitaire sans précédent et que beaucoup de firmes internationales s’attèlent à la fabrication de vaccin contre le coronavirus, au Sénégal, environ 90% des médicaments consommés sont importés. Une situation très préoccupante dans la mesure où la production locale est passée de 10 à 5%. Dans cet entretien accordé à «L’As», le directeur de Téranga Pharma (Ndlr, remplaçant de Pfizer), Dr Mahamadou Sow, par ailleurs membre de l’Ordre des Pharmaciens du Sénégal, diagnostique les maux qui gangrènent l’industrie pharmaceutique. Il n’a pas manqué de livrer le secret pour contenir cette pandémie à coronavirus dont les dégâts sont incommensurables.
L’AS: Dans quelle situation se trouve l’industrie pharmaceutique locale au Sénégal ?
La situation actuelle de l’industrie pharmaceutique n’est pas fameuse. Mais elle a de belles perspectives, si l’Etat du Sénégal arrive à mettre en place les réformes promises. Il faut rappeler que le tissu industriel sénégalais était bien représentatif avec deux grandes multinationales en l’occurrence Pfizer et Sanofi Aventis. Au cours de l’année 2017, le groupe Sanofi a quitté le Sénégal et vendu ses actions à un groupe étranger Médis. Lequel groupe a mis en chômage technique son personnel en décembre 2019, suite à des problèmes de pertes cumulées. La même année, le groupe Pfizer a quitté le Sénégal et licencié tout son personnel. Ce qui fait que la production locale qui était près de 10%, représente moins de 5% aujourd’hui par rapport à la consommation locale. Donc aujourd’hui, nous ne produisons même pas près de 4% de notre consommation. C’est dire que la situation n’est pas fameuse. N’empêche, il y a l’émergence de nouveaux acteurs, particulièrement le groupe Téranga pharma qui vient de commencer ses activités de production et participe activement à renforcer le tissu local industriel.
Est-ce que l’industrie pharmaceutique sénégalaise est assez résiliente pour faire face à une crise sanitaire ?
Je dirai Oui et Non ! Non, parce que nous n’avons pas encore les capacités de production suffisantes et nécessaires pour pouvoir assurer notre souveraineté pharmaceutique. Oui, parce qu’ avec le Pap2Aqui est aujourd’hui le référentiel socio-économique du gouvernement, il est clairement indiqué que la souveraineté pharmaceutique à l’horizon 2035 constitue un enjeu majeur pour le gouvernement sénégalais. Sous ce rapport, nous pouvons dire que nous pouvons nous préparer à faire face aux prochaines épidémies qui vont forcément arriver dans 10 ou 15 ans. Maintenant dans l’immédiat, il serait difficile d’en assurer ; parce que pour assurer une souveraineté pharmaceutique, il faudra au moins 10 ans de travail. D’autant qu’en amont, il faudrait d’abord identifier les maladies fréquentes dans le pays. Ensuite, il faudra identifier également les molécules qui vont soigner ces maladies. A la suite de cela, il faut faire le diagnostic de la chaîne des valeurs et voir les sources d’approvisionnement depuis la formulation des molécules, ensuite la matière première, la fabrication jusqu’au produit fini. Nous savons que les matières premières ne se fabriquent pas en Afrique, c’est la Chine qui détient le monopole de ce marché. Cette souveraineté est très importante, parce qu’il y a dans nos hôpitaux des maladies fréquentes telles que les maladies chroniques (le diabète, l’hypertension et le cholestérol, le cancer) mais également les maladies infectieuses (les infections respiratoires, vaginales et dermiques). Il faut donc que nous puissions produire à travers un processus d’identification bien structuré et parfaitement orienté vers la consommation sénégalaise.
Quel est l’apport de l’industrie pharmaceutique dans la lutte contre la Covid-19
Cet apport est essentiel. Si nous prenons l’industrie locale, en termes d’offre de produits, il n’ y a pas de médicaments sur le peu d’industrie pharmaceutique qui reste au Sénégal. Par contre dans le cadre de l’approvisionnement en produits pharmaceutiques, il est important de constater à travers notre Pharmacie Nationale d’Approvisionnement (PNA) mais également avec les grossistes répartis, que ce sont des pharmaciens qui sont le plus dotés de produits pharmaceutiques qui répondent à la Covid notamment l’Azicomiscine mais également l’Hydroxychloroquine. Parce que le traitement de la Covid-19 est d’abord un traitement symptomatique. Fondamentalement, il faut disposer d’un bon stock de médicaments contre ces maladies.
Que faire pour se positionner dans la dynamique de production de vaccin ?
Aujourd’hui, il est très clair que nous ne pouvons pas produire de vaccin contre la Covid. C’est impossible. Mais, il faut comprendre qu’en l’état actuel des choses, le monde compte 5 voire 6 vaccins qui sont reconnus (2 vaccins américains du nom de Pfizer et celui de moderna). Des vaccins qui ont des conditions de stockage très difficiles dans les pays africains, parce que le coût de la logistique et du stockage est plus élevé que le coût du vaccin. Aujourd’hui, il y une vraie suspicion par rapport aux effets secondaires, parce que personne ne maîtrise les effets secondaires de ces vaccins. En termes d’approvisionnement de disponibilité, de conservation, d’utilisation et de dispensation jusqu’au niveau des Sénégalais, il sera difficile que le Sénégal puisse choisir ces deux vaccins. Par contre, il y a 4 autres vaccins qui peuvent être utilisés au Sénégal parce que respectant les conditions de stockage, c’est-à-dire entre 2 et 8 degrés. Parmi ces vaccins, nous avons le choix entre le vaccin russe, chinois et anglais. L’intérêt de ce question, c’est de vacciner au moins 60 à 70% pour que l’immunité collective ait. Ce qui permettra donc d’éliminer la transmission. Mais, le sentiment de se faire vacciner est très eu développé au Sénégal. Les gens ont peur de ce vaccin, mais en tant que pharmacien et scientifique je peux leur dire ayez confiance aux autorités sanitaires. Cela dit, il faut ajouter à la stratégie un plan national de sensibilisation. Parce que cela ne sert à rien de se procurer des vaccins pour qu’au finish les populations ne le prennent pas. Ce plan va créer un esprit de combat. Lequel devra commencer par le chef de l’Etat et toutes les institutions de la République qui vont se faire vacciner à la vue et au su de tout le monde. Si nous voulons que ces couvre-feux cessent, si nous voulons reprendre la vie normale, il faudrait qu’au moins 60% des Sénégalais se vaccinent.
Ne devrait-on pas développer la collaboration avec les firmes pharmaceutiques multinationales ?
C’est indéniable, parce que c’est une voie qu’il faut non seulement explorer, mais aussi percevoir dans les priorités. Tous les dix ou quinze ans, il y a une épidémie ; et on ne sait jamais quelle est la férocité de la prochaine épidémie. En termes de vaccins, il y a l’Institut Pasteur. Il s’agira de voir avec cet institut qui a une large expérience en matière de vaccin comment avoir une collaboration étroite avec une multinationale qui fabrique des vaccins. Ce qui permettra au Sénégal d’avoir une unité qui va fabriquer des vaccins, et une forte réactivité qui va permettre d’avoir des doses de vaccins suffisantes pour faire face à l’avenir à de telles épidémies. Nous devons investir dans la production de vaccin contre les infections respiratoires en priorité.