CES MAUX QUI AFFECTENT LES ÉCOLES DE FORMATION DE SANTÉ
Manque de reconnaissance, faible niveau des formateurs, chômage des diplômés
Il suffit d'un petit tour dans quelques quartiers pour voir que les écoles de formation privées en santé poussent comme des champignons dans le pays. Beaucoup de ces écoles ne respectent pas les normes et les conditions requises pour offrir une bonne formation aux étudiants qui souhaitent faire carrière dans la santé. Les professionnels de la santé, les syndicalistes comme les apprenants exhortent les autorités étatiques à inspecter ces établissements qui accentuent davantage les problèmes sanitaires.
Difficile de faire le tour des grandes artères de Dakar sans voir une école de santé privée. Depuis quelques années, le nombre d'établissements de formation en santé a connu une croissance vertigineuse. Mais la plupart d'entre eux, ne sont pas encore reconnus par l'État. D'où l'urgence des professionnels de la santé de tirer la sonnette d'alarme et d'alerter sur les conséquences d'une telle situation.
Sous le couvert de l'anonymat, une ex-étudiante d'une école de formation privée de santé confie à "L'As" que le directeur de son établissement entrait dans une colère noire à chaque qu'on lui demandait si l'école est reconnue ou pas par l'État. "Un jour, il est venu avec deux individus à l'école pour dire qu'ils viennent du ministère de la Santé, mais ce n'était pas vrai. Il voulait juste nous rassurer pour qu'on lui fasse davantage confiance", raconte notre interlocutrice.
A l'en croire, ce directeur était très audacieux. "Il avait l'établissement d'une bonne logistique et nous trouvait des stages dans les structures de santé, car c'est un infirmier d'État et il avait beaucoup de relations dans le secteur de la santé. Lors de l'examen d'État, il amenait les étudiants passer les épreuves sous le couvert d'une autre école de formation reconnue par l'État", révèle cette étudiante qui considère le directeur comme un truand. En plus de l'inscription qui s'élevait à 150.000 Fcfa, les étudiants déboursaient 50.000 Fcfa mensuellement.
"Un jour, je suis partie au ministère de la Santé pour vérifier la liste des écoles de santé reconnues, et je n'ai pas vu notre école sur cette liste. C'est ainsi que j'ai commencé à me rendre compte que notre directeur est un escroc. C'est ce jour-là que j'ai commencé à chercher une autre école pour poursuivre ma formation car j'avais déjà validé ma première année avec comme option sage-femme d'État", renseigne notre interlocutrice. Elle se rappelle que cela n'a pas été facile de quitter cette école, car le directeur refusait de lui donner son attestation pour qu'elle puisse s'inscrire dans une autre école. "Mais j'ai négocié avec lui jusqu'à ce qu'il me donne ce sésame. Je me suis inscrite dans une autre école de formation reconnue d'où est sorti notre directeur", indique cette étudiante qui exerce maintenant comme polyvalente dans un poste de santé à Ngékhokh.
La fameuse école a finalement fermé ses portes faute de payement de la location. "Il a été expulsé des locaux et beaucoup l'ont poursuivi en justice. Il a finalement quitté le pays pour fuir ses responsabilités", affirme-t-elle. N M, appelons-la ainsi, a connu un meilleur sort. Formée dans une école reconnue, elle travaille actuellement comme infirmière d'État dans une clinique privée de la place. "Mes camarades de promotion et moi n'avons pas eu de problèmes lors de notre formation.
Notre école disposait de matériel adéquat pour les exercices. Le seul hic, c'est l'insertion professionnelle. Nous rencontrons d'énormes difficultés pour être recrutés dans la fonction publique. Nous travaillons tous comme polyvalent pour un salaire qui tourne autour de 50 000 Fcfa", se plaint notre interlocutrice qui a décroché son diplôme d'État depuis 2009.
A l'en croire, une pile de dossiers des infirmiers d'État et sage-femme attend au niveau du ministère de la Santé. "Les écoles de formation privée se chargent de la formation et du stage dans les structures sanitaires les pus proches, mais notre insertion n'est pas leur préoccupation. Une fois qu'ils ont leur diplôme, il revient aux étudiants de s'insérer professionnellement. Certains ont eu la chance par le biais de bras long d'entrer dans la fonction publique", souligne la jeune fille.
Les syndicalistes s'indignent et alertent les autorités
Face à la prolifération des écoles qui ne respectent pas les normes requises, (ce qui n'honore pas le secteur de la santé), les syndicalistes sonnent l'alerte et invitent l'État à réorganiser le secteur. Selon le secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de la santé (Syntras) Souleymane Joe Mané, la création d'école de formation en santé est une initiative à encourager pour disposer de personnels de santé. "Mais elle mérite d'être réorganisée en respectant les textes pour une gestion du plan de carrière. Les autorités doivent travailler pour l'adéquation entre l'offre et la demande", indique le syndicaliste qui appelle à relever le niveau des formateurs.
De l'avis de Souleymane Joe Mané, un formateur qui n'a que le Bfem ne peut pas enseigner quelqu'un qui a le baccalauréat. "Les formateurs sont des infirmiers devenus infirmiers d'État au cours de leur carrière, alors qu'auparavant pour ce diplôme l'on ne demandait que le Bfem. Leur niveau est donc faible par rapport à l'étudiant qui a son premier diplôme universitaire. Les autorités doivent revoir ce fossé", suggère le syndicaliste qui plaide pour la réforme de la formation initiale.
A propos de la reconnaissance des écoles de formation, le syndicaliste se montre formel. "C'est le ministre de l'Enseignement technique qui délivre la licence et autorise l'installation des écoles de santé. Il est chargé de contrôler ces structures de formation, alors que cela devait revenir au ministère de la Santé", relève Souleymane Joe Mané qui considère que beaucoup d'écoles ne sont pas reconnues par l'État. "Les étudiants qui sortent de ces écoles n'ont aucun recours, car ils n'ont pas eu les informations au préalable, ce qui démontre le manque de contrôle des autorités sur ces écoles", fulminet- il. C'est pourquoi, il plaide pour que la reconnaissance revienne au ministère de la Santé qui maîtrise mieux les produits formés dans ces écoles.
Mballo Dia Thiam, secrétaire général du Sutsas "Il faut inspecter les écoles, car beaucoup d’étudiants exercent seulement sur des mannequins"
Le secrétaire général du Syndicat unique des travailleurs de la santé (Sutsas), Mballo Dia Thiam, affirme que la prolifération des écoles de santé est née de la volonté des autorités de libéraliser la formation dans ce secteur. "Il n'y avait que l'Ecole nationale de développement sanitaire et social (Endss) et l'Ecole nationale des travailleurs sociaux spécialisés (Entss). Mais dans les années 2000-2003, quand le gouvernement a voulu faire un recrutement massif de personnels de santé, il a été confronté à un déficit de ressources humaines. Les autorités ont fait recours aux infirmiers à la retraite et à des policiers libérés", explique Mballo Dia Thiam.
C'est ainsi, dit-il, que l'État a libéralisé la formation dans le secteur de la santé. S'agissant de l'autorisation de la création d'écoles de santé, le syndicaliste informe qu'elle fait partie des prérogatives du ministère de la Formation professionnelle. "Les autorités ont élaboré un cahier de charge avec des contenus de cours basiques que doit respecter le déclarant", dit le secrétaire général du Sutsas qui trouve nécessaire d'inspecter les écoles sur les engagements pris concernant leur cahier de charges. Et de renchérir : "beaucoup d'écoles ne s'y conforment pas".
Pour Mballo Dia Thiam, beaucoup d'apprenants surtout ceux de la filière sage-femme n'ont jamais assisté à un accouchement. "Ces derniers exercent seulement sur des mannequins, ils n'ont même pas été en salle d'accouchement. Ce sont les matrones qui envahissent les salles d'accouchement alors que ce rôle devait revenir aux sages-femmes. Il a été remarqué une pléthore de sages-femmes en chômage, environ 5000 et cet effectif est formé pour la plupart dans les écoles de santé qui se multiplient", signale le syndicaliste.
Il trouve que le ministère de la Formation professionnelle qui autorise la création de ces écoles n'a pas les compétences requises pour faire une évaluation périodique sur le respect des cahiers de charges. "Nous avons constaté que la maternité de l'hôpital Aristide Le Dantec est fermée depuis quelques années, l'hôpital Abass Ndao a des problèmes, ce qui fait que les étudiants en formation dans le privé butent sur les terrains de stage, difficile pour eux de trouver un stage. Devant cette situation, les apprenants ne peuvent pas tous se retrouver dans une salle d'accouchement car il y a des normes à respecter pour assister une femme en couche", dit M. Thiam.
C'est pourquoi, le syndicaliste propose une inspection dans les écoles de formation privées, mais aussi des sanctions positives ou négatives. "Il s'agit de subventionner ces écoles ou de fermer celles qui ne respectent pas leurs cahiers de charges", dit-il. Au moment où l'on parle de valorisation du capital humain, indique Mballo Dia Thiam, il est nécessaire de retenir les gynécologues qui préfèrent exercer dans les cabinets privés une fois leur formation bouclée. "Il faut encourager ces derniers à servir leur pays en pratiquant dans le public où le déficit est réel, surtout dans les régions", clame Mballo Dia Thiam
Dr Abdoulaye Ndoye, Vice-PCA De L'hôpital de Saint Louis "L'encadrement des étudiants est un facteur bloquant"
Embouchant la même trompette que Mballo Dia Thiam, le vice-président du Conseil d'administration de l'hôpital de Saint Louis, Dr Ndoye, indique que les écoles de formation en santé ont un problème de niveau. "Elles restent confrontées à un problème de qualification et de ressources humaines sur les lieux de stage. L'encadrement est aussi un autre handicap. Ils ne bénéficient pas de formation pointue et le résultat n'est pas bon", dénonce le dentiste qui propose d'analyser cette situation en profondeur et de revoir les programmes dispensés dans les écoles.
"Les étudiants sont confrontés à un problème d'encadrement alors que la santé c'est la pratique. Le matériel n'est pas adéquat, la formation nécessite un matériel adéquat", poursuit le spécialiste en santé qui en veut pour preuve le niveau très faible des écoles de formation à Saint Louis. Il invite les autorités à revoir le niveau et le corps enseignant qui ne fait pas beaucoup de pratique.
"Il faut insister sur la déontologie, car la santé est un domaine particulier d'où la nécessité de travailler sur des modules qui mettent l'accent sur les contacts humains. L'accueil dans les hôpitaux laisse à désirer, alors que c'est un point important. Quand la femme en état de grossesse vient pour accoucher, elle voit les professionnels de la santé qui éclatent de rire ou palabrent, ce qui est tout à fait anormal. Ce sont ces types de comportement que l'on doit bannir et former les futurs personnels à y mettre fin", martèle-t-il.
Dans la même veine, un médecin, sous le couvert de l'anonymat, confie qu'il donnait des cours dans les écoles de formation, mais il a arrêté. "J'ai arrêté quand j'ai appris que celles-ci ne répondaient pas aux normes. Les locaux comme le matériel n'étaient pas adéquats, c'est de l'anarchie", accuse-t-il.
ENDSS, pionnière dans la formation en santé
Créée en 1992, l'Ecole nationale de développement sanitaire et social (Endss) regroupe toutes les écoles paramédicales et sociales pour harmoniser les programmes pour que la formation soit ensemble. C'est en 1994 que l'école a connu quelques changements à la faveur d'un nouveau. Ainsi, l'établissement dispose de trois départements. Il s'agit du département de la science de base de la santé avec des filières comme infirmiers d'État, sage-femme d'État, préparatoires en pharmacie, techniciens en laboratoire dentaire et la filière hygiénique.
Le deuxième département concerne les sciences spécialisées pour le second cycle et forme des techniciens supérieurs spécialisés en odontologie, néphrologie, imagerie, anesthésie et enfin le département de formation des enseignants en administration qui seront recrutés après leur formation dans cet établissement public.
Contrairement aux écoles privées de santé, l'Endss a un effectif réduit qui tourne autour de 15 étudiants par filière recrutés à la suite d'un concours sélectif avec le niveau du baccalauréat. Les formateurs qui y enseignent ont été formés par ladite structure, en plus des médecins spécialistes qui viennent de l'université pour y dispenser des cours. Selon le surveillant général de l'Endss, Yankhoba Diédhiou, le taux de réussite lors des examens d'État tourne autour de 100%.
"Ce résultat se justifie par le bon encadrement des étudiants, contrairement aux étudiants du privé", dit-il. Pour asseoir sa thèse, M Diédhiou indique que le privé a un taux de réussite de 50%, parfois même il peine à atteindre ce taux. En ce qui concerne l'insertion professionnelle, le surveillant général de l'Endss affirme qu'elle n'est pas automatique. "La demande est très forte par rapport à l'offre, le recrutement dans la fonction publique n'est pas facile pour les titulaires de diplômes. Souvent, nos étudiants se plaignent du fait que ceux du privé ont plus de possibilité d'être recrutés par le biais des connaissances", renseigne notre interlocuteur qui estime qu'il y a moins de transparence dans le recrutement. Et cela s'accentue de jour en jour. D'après le surveillant général, les étudiants du second cycle ne sont pas confrontés à un problème de recrutement, puisqu'étant déjà des fonctionnaires.
Légèreté dans la délivrance d'agrément
Les conditions de création d'une école privée de formation professionnelle ne sont pas draconiennes, d'après une enquête menée par "L'As". D'autant que toute personne physique ou morale souhaitant ouvrir une école privée d'enseignement technique et professionnelle doit en demander l'autorisation au ministère de l'Enseignement technique et de la Formation professionnelle. La démarche se fait par une personne titulaire de diplôme professionnel dans au moins une des spécialités déclarées. A défaut, s'adjoindre un directeur technique titulaire d'un diplôme d'une des spécialités.
Les documents à fournir sont le dossier du déclarant responsable, le dossier du directeur technique et celui de l'établissement. La période de dépôt est du 10 avril au 10 août de chaque année. Il lui sera ensuite délivré un récépissé de dépôt. L'autorisation d'ouverture est gratuite et le délai de délivrance pour le récépissé de dépôt est immédiat L'autorisation d'ouverture est délivrée après la visite de la commission pédagogique pour la vérification de la conformité des déclarations. En cas de perte ou de vol, le déclarant doit se rapprocher de la direction de la Formation professionnelle et technique.