COMMENT LA GUINÉE TRIOMPHE D'ÉBOLA
Visite au Centres de traitement Ébola (CTE) de Nongo
C'est un travail de fourmi que de combattre la maladie à virus Ébola. Les Centres de traitement Ébola (CTE) du pays, avec le protocole de Médecins Sans Frontières (MSF), s'acharnent quotidiennement à combattre une épidémie aussi meurtrière que pugnace. Une lutte obstinée qui rend de plus en plus imminente la sortie de crise.
Kadiatou Soumah est comblée. Bientôt les 21 jours d'observation pour son bébé vont arriver à terme, et rien n'indique qu'elle lui ait transmis Ébola. Déclarée guérie depuis le jeudi 8 octobre dernier, après une admission le 29 septembre, elle vient grossir la liste des 438 guéris de cette maladie virale. Un sourire irrépressible transfigure son visage quand elle parle de sa victoire sur cette épidémie.
"Je rends grâce à Dieu et à ma mère. C'est elle qui m'a convaincue de venir dans ce centre après les premiers signes de la maladie. En fait, j'avais peur avec toutes les rumeurs sur le centre", confesse-t-elle. Dans la chambre des accompagnants où elle savoure ses derniers jours dans le Centre de traitement Ébola (CTE) de Nongo, Conakry ; un beau bébé gigote sur le lit, chouchouté par sa grand-mère. Les bagages offerts par MSF à son arrivée sont empaquetés dans l'imminence d'un retour à la maison.
Pour cette femme d'une trentaine d'années, le pire est derrière. Mais à son instar, le personnel du CTE de Nongo, comme ceux des autres centres du pays, doit d'abord affronter les préjugés tenaces qui rebiffent les potentiels malades à les fréquenter dès les premières manifestations d'Ébola. Pour cette raison, une prise en charge psychosociale et un aspect promotion de la santé complètent la médication. La démarche paraît simple à vue d'œil.
En plus de l'équipe Outreach, qui va chercher les cas signalés par une équipe d'investigation, les HP (promoteurs de santé) les accompagnent à chaque intervention. Leur rôle consiste à préparer mentalement le patient et sa famille à l'acceptation de la maladie et des codes de conduite qu'induit sa condition de malade.
"Nous accompagnons l'équipe qui part chercher les malades pour expliquer à la famille en quoi il est important d'admettre le patient au CTE, leur expliquer c'est quoi Ébola, les signes, car ils sont similaires au paludisme. Les gens disent : "C'est le paludisme, ça va passer", alors que ça empire", explique Angeline Tinguiano, HP dans le projet de santé Ébola a Nongo. Un fatalisme qui, dans la phase initiale de la maladie, a fait des ravages. Les éventuels refus ne sont suivis d'aucune contrainte si le malade supposé refuse de rejoindre le centre. Mais le pire est déjà derrière.
Protocole strict
Mercredi 7 octobre 2015, l'OMS déclarait qu'aucun nouveau cas d'Ébola n'avait été enregistré dans la semaine qui a pris fin le 4 octobre, dans les trois pays les plus touchés par l'épidémie (Guinée, Liberia, Sierra Leone) depuis mars 2014. En écho à cet encouragement, le médecin superviseur du CTE, Badé Béavogui, annonce une bonne nouvelle.
"Au niveau médical, nous sommes avec le protocole de MSF pour le traitement systématique, symptomatique. Actuellement s'ajoute le Favi piravir qui était en essai à Guéckédou et qui est maintenant officialisé dans la prise en charge d'Ébola", déclare-t-elle.
Un paramètre qui booste les statistiques de la rémission. Alors qu'au pic de l'épidémie entre mars 2014 et mi-2015, plus d'une quinzaine de personnes arrivaient quotidiennement pour trois à quatre cas confirmés en moyenne. Les présentes admissions journalières tournent autour de 5 personnes pour une personne infectée.
D'ailleurs, le seul cas confirmé, un jeune homme vêtu d'un maillot de foot sombre de la capitale madrilène, est sur le seuil de la tente réservée aux malades. Il est entouré de trois combinaisons jaunes qui lui font ses perfusions, loin de l'équipe de désinfection, en sécurité au-delà des deux mètres réglementaires. Son abri est attenant à celui des "cas suspects", où un homme âgé, assis sur une chaise, attend l'issue de son test.
Le CTE de Nongo continue de recevoir du monde. Ils ne sont pas tous frappés, mais on s'entoure du maximum de garanties pour parer à toute éventualité. Pour les visiteurs aussi, la sécurité est d'ordre militaire. Il aura fallu se laver les mains une bonne dizaine de fois durant le temps passé dans le CTE de Nongo à Conakry.
Les consignes d'hygiène sont très strictes ; déroutantes pour qui vient pour la première fois dans ce préventorium à ciel ouvert implanté en juillet 2015, qui a pris le relais de l'Hôpital Donka dans la lutte contre Ébola. Thermoflash obligatoire, lavage des mains dans une solution chlorée à 0,05, pulvérisation des chaussures, déshabillage pour changer de vêtements dans le vestiaire…, le rituel est lourd, les comportements-barrière multiples, mais l'impératif hygiénique est au-dessus de tout pour ces agents sanitaires qui reçoivent les cas suspects ou confirmés de la maladie à virus Ébola.
D'ailleurs c'est le branle-bas de combat dans la salle d'habillage. La voiture de l'équipe 'outreach' vient d'arriver avec une personne qui présente les signes.
"Du point de vue diagnostic différentiel avec le paludisme, on peut faire la confusion. Seuls les résultats du laboratoire peuvent nous édifier", précise le médecin superviseur Badé Béavogui. Une précaution de rigueur pour éviter les tâtonnements similaires à la phase initiale de l'épidémie, où beaucoup de personnes non atteintes avaient été mises par mégarde avec des affectés. Après un test au laboratoire, les cas positifs sont admis en isolation et les cas négatifs réorientés vers une structure sanitaire pour soigner le mal dont ils souffrent.
L'ambiance à l'intérieur est plus décontracté qu'on ne l'aurait cru de l'extérieur pourtant. Les airs de reggae s'échappent d'un des bâtiments près de la buanderie où sont séchées par centaines les bottes blanches et les tenues vert-mauve et bleu.
Même après une minute d'usage, les tenues sont automatiquement lessivées. Quant aux combinaisons fermées, elles sont incinérées après chaque contact avec le malade, nous explique la HP. Le protocole est le même. Le patient supposé est accueilli à l'entrée et séparé de ses accompagnants : le "triage", dans leur jargon. "On explique à la famille, dès réception au centre, que ce n'est pas pour le tuer qu'on l'amène dans ce centre", fait savoir Angéline Tinguiano.
Des idées reçues qui ont rebuté beaucoup de personnes susceptibles d'avoir contracté la maladie à fréquenter le CTE. D'ailleurs, derrière l'incinérateur pour les effets à brûler, se trouve une morgue où la famille peut s'assurer, derrière une lucarne, que le cadavre n'a été ni démembré, ni charcuté comme le laisse penser une méchante rumeur.
"En cas de décès, les médicaux font le constat, en informent l'équipe psycho-sociale qui prend contact avec la famille avant que la Croix-Rouge ne fasse l'enterrement sécurisé. D'ailleurs, elle est de vigueur pour les décès par Ébola ou de cause naturelle", poursuit la HP. Des précautions loin d'être superflues puisque la charge virale est toujours réelle avec le corps en décomposition.
En plus du CTE de Nongo, celui de Forécariah, à la frontière avec la Sierra Leone, est déjà fonctionnel. Vendredi dernier (le 16 octobre 2015), les localités de Boké Boffa et Dubréka étrennaient leurs nouveaux centres. Nul doute que la Guinée va tenir le pari de 42 jours, depuis la première déclaration de non-cas, qui le sépare de la fin de l'épidémie.