POUR UNE HIERARCHISATION DES PRIORITES SANITAIRES
Peut-on se permettre la construction de nouvelles bâtisses dédiées à la prise en charge de maladies ou autres types d’accidents nécessitant une prise en charge sanitaire ?
Mballo Dia Thiam : « Ces deux centres sont des priorités dans la perspective de l’après Covid-19 »
Entre un gap énorme en infrastructures, des problèmes de mise à niveau de nos équipements obsolètes et un déficit en ressources humaines et en qualité, sans oublier les problèmes de motivation du personnel de santé, de grands défis post-Covid-19 se posent à notre pays où le système sanitaire est plus que jamais fragilisé par l’actuelle pandémie. D’où le bruit autour du projet de création de deux unités pour la greffe de moelle et pour la procréation médicalement assistée (Pma) au niveau de l’hôpital Dalal Jamm de Guédiawaye. Une polémique lancée rendu public par le président du conseil d’administration dudit établissement de santé dans une lettre de démission adressée au chef de l’Etat. Sautant sur l’occasion, des médecins demandent d’abord la hiérarchisation des priorités de santé.
Peut-on se permettre la construction de nouvelles bâtisses dédiées à la prise en charge de maladies ou autres types d’accidents nécessitant une prise en charge sanitaire ? Des médecins interrogés par « Le Témoin quotidien » souhaiteraient que les investissements de l’Etat suivent la hiérarchie des priorités sanitaires. Surtout dans un contexte de pandémie qui a davantage fragilisé notre système de santé. Titulaire d’un diplôme universitaire en Procréation médicalement assistée (Pma), Dr Mamadou Demba Ndour, du service de gynécologie de l’hôpital de Matam, estime que le Sénégal, en termes de priorités, peu bel et bien se permettre la construction d’un centre pour faciliter la procréation chez les femmes en difficulté d’enfanter, et d’un centre de greffe de moelle. Pour cause, plaidant pour sa propre chapelle, le gynécologue convoque la souffrance de cette catégorie de femmes qui, d’après lui, ont le droit d’être assistées, et à moindre coût, vu la place qu’occupe la procréation dans les sociétés négro africaines. « Nos sœurs sont, à tort, victimes de toutes sortes de harcèlements et de réprimandes physiques et psychosociaux. Elles subissent des attaques dans le cercle familial le plus restreint, mais aussi dans l’environnement sociétal », explique l’administrateur hospitalier.
A l’en croire ces centres, ainsi que d’autres permettant, entre autres, la transplantation rénale, la prise en charge des grands brûlés, la chirurgie réparatrice, la prise en charge intégrée et exhaustive des cancers, et bien d’autres centres de recherche dans des domaines variés, auraient dû exister depuis belle lurette. On devrait même, selon lui, discuter actuellement de leur démultiplication. Il fonde son raisonnement sur le nombre important d’évacuations sanitaires vers l’Europe ou le Maghreb qui coûterait beaucoup plus cher que le coût de ces unités de prise en charge. D’après Dr Demba Ndour, ce projet de création de deux nouvelles unités de procréation médicalement assistée et de greffe de moelle à l’hôpital Dalal Jamm de Guédiawaye n’est qu’une question d’équité. « Un berger de Loughéré Thioly qui souffre de maladie rénale, une femme de Mlomp Kassa présentant une infertilité primaire ou un autre sénégalais de Thilmakha souffrant d’une hémopathie sévère, ont-ils les entrées nécessaires pour bénéficier d’une prise en charge par l’Etat de leurs soins à Paris ou à Berlin ? », s’est-il interrogé tout en indiquant qu’au Sénégal, on a une offre de soins à deux vitesses. Certains, « pour un simple check up », dit-il, peuvent se permettre d’aller à l’h-Hôpital américain de Paris avec une prise en charge, au moment où d’autres qui meurent suite à une brûlure à mosaïque supérieure sont laissés à eux-mêmes. Dr Ndour semble sûr de n’être pas emporté par une tumeur cancéreuse, en revanche, dit-il, « si j’essaie de faire ombre à mon ami traumatologue, je peux bien me retrouver avec une fracture étagée du rachis ».
« Oui ! Mais avec une hiérarchisation des priorités »
Sauf que investir sur un centre de Pma et sur une unité de transplantation médullaire pendant que des services comme la réanimation, les laboratoires, l’imagerie etc. sont dans un état lamentable ne relève pas d’un très grand sens de l’opportunité. Pour ne pas dire des priorités. C’est le point de vue de l’anesthésiste-réanimateur Dr Mamadou Mansour Diouf qui pose le problème de la hiérarchie des priorités en santé. Il demande de ne plus jamais mettre la charrue avant les bœufs. A titre d’exemple, ce praticien de la santé à Bordeaux considère que « pour greffer de la moelle à un patient qui a une leucémie, on lui fait un conditionnement avec chimiothérapie plus une radiothérapie (une irradiation corporelle totale) qui va entrainer des aplasies prolongées. Et si le patient fait un choc septique dans ces conditions, tu le mets dans un service de réanimation qui n’a rien pour gérer un patient en aplasie. Le bon sens voudrait qu’on règle d’abord ce type de problème avant de se lancer tête baissée » dans la construction d’un centre pour greffe de moelle. Selon notre interlocuteur établi à Bordeaux, cette dernière opération ne peut pas s’envisager sans une réanimation configurée pour une chambre stérile, un flux d’air…, ou sans un centre de transfusion où les produits sanguins labiles sont disponibles, sans une pharmacie qui pourrait assurer la disponibilité correcte des produits de chimiothérapie, ou des anti-infectieux...
L’urgentiste Dr Boubacar Signaté de « Sos médecins » abonde dans le même sens que Dr Mamadou Mansour Diouf. Ce même s’il admet que « les insuffisants rénaux doivent bénéficier de la meilleure des prises en charge, jusqu’à la greffe rénale. Et l’Etat doit construire toute structure nécessaire pour cela. Les femmes en état de procréer ou non, qui n’en sont biologiquement pas capables, doivent disposer d’une unité de procréation médicalement assistée. Ceci n’est pas discutable ». « Le service de réanimation de l’hôpital Dalal Jamm n’est toujours pas opérationnel, de même que le service de gynécologie qui n’est toujours pas fonctionnel. Aujourd’hui, c’est bien de construire une filière de soins optimale, bien articulée, avec une chaine dont tous les maillons sont solides et bien fixés. Malheureusement, à l’hôpital Dalal Jamm, la chaine n’a pas encore le nombre de maillons nécessaires. Cet établissement public de santé, qui a ouvert ses portes aux malades et autres accompagnants depuis cinq ans, fonctionne encore comme un centre de santé ! Les structures essentielles de son plateau technique telles que l’imagerie médicale, les laboratoires, les blocs opératoires, les services d’urgence, la réanimation… » ne sont toujours pas fonctionnelles », voilà ce qu’a écrit le Pca démissionnaire de l’hôpital Dalal Jamm de Guédiawaye, le Pr Papa Touré, qui s’indigne du fait que le chef de l’Etat, destinataire de sa lettre, ait voulu construire « deux bâtiments destinés à abriter un centre de greffe de moelle et une unité de procréation médicalement assistée à hauteur de deux milliards de francs CFA. Une décision qui ne devrait même pas être agitée vu l’urgence à Dalal Jamm dans ce contexte de pandémie de Covid-19, et surtout à nos impératifs de santé publique ». Dr Diouf, et qui ne mâche jamais ses mots quand il parle du système de santé national, trouve que le plateau technique basique obsolète de nos hôpitaux constitue aujourd’hui la priorité. Et non pas un centre de greffe de moelle ou de Pma.
Mballo Dia Thiam : « Le projet de Macky Sall à Dalal Jamm est une priorité à l’approche Post-Covid-19 »
Pour sa part, le président de l’Alliance And Gueusseum, Mballo Dia Thiam estime que la Pma est une technologie dont le Sénégal ne doit pas se priver. Au contraire, pense-t-il, c’est « une priorité à l’approche après Covid-19 ». Déjà, dit-il, on a investi près de 40 milliards pour la construction de Dalal Jamm où les gens sont dans l’hôpital de jour. Qui ne fonctionne donc pas la nuit. Et faisant allusion au contexte de pandémie, M. Thiam se désole de la question des respirateurs et des masques qui pose encore problème dans la prise en charge correcte de la maladie. « Nos hôpitaux ne sont pas financés au prorata de leurs charges. Qu’il s’agisse de la qualité des ressources humaines ou des équipements qui tombent en obsolescence… On a des gaps dans presque toutes les structures sanitaires du pays. La science s’est développée. Et si on veut être au diapason, on doit acheter des matériels adaptés. Il faut investir pour mettre à niveau les plateaux techniques, équiper les hôpitaux, acheter des équipements dernière génération adaptés, et surtout motiver le personnel de santé », a listé le secrétaire général du Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale (Sutsas) qui invite les autorités sanitaires à travailler en direction de la prévention des maladies chroniques et surtout mortelles…