DIRE QUE LE PRÉSIDENT A PROVOQUÉ LA TROISIÈME VAGUE EST UN FAUX DÉBAT
Ibrahima Seck milite pour des mesures de restriction dans la lutte contre le Covid-19, mais pas généralisées dans le pays
Pr Ibrahima Seck milite pour des mesures de restriction dans la lutte contre le Covid-19, mais pas généralisées dans le pays. Dans cet entretien, le chef du Service de médecine préventive et de santé publique à la Faculté de médecine de l’Ucad insiste sur l’importance du vaccin et balaie les rumeurs qui l’accompagnent. Pr Seck écarte tout lien entre la sévérité de la 3ème vague de coronavirus et les tournées économiques du président de la République.
L’Etat a décidé de rendre gratuit l’accès à l’oxygène dans le privé comme le public. Comment appréciez-vous cette décision ?
La tension sur l’oxygène anime aujourd’hui le débat national en ce qui concerne la prise en charge des cas sévères. C’est une bonne chose qu’une telle mesure soit prise par l’Etat. Je salue l’initiative du chef de l’Etat visant à rendre gratuite la fourniture de l’oxygène à tous les patients concernés du public comme du privé.
Quel impact cette décision peut-elle avoir sur la lutte contre le Covid-19 ?
L’impact est considérable. Il y avait un problème de coût et de disponibilité. En mobilisant aujourd’hui les gaziers pour améliorer la production et en rendant gratuit l’accès à l’oxygène, l’impact est qu’il y aura une amélioration de la disponibilité et de l’accessibilité de cet oxygène pour tous les patients concernés. Je rappelle que ce ne sont pas tous les malades atteints de Covid-19 qui en ont besoin. Cet oxygène est un des intrants nécessaires pour la prise en charge des cas sévères qui sont en détresse respiratoire avec une hypo-oxygénation.
Cette 3ème vague est sévère en termes de contamination et de décès. Quels sont les facteurs qui l’ont accélérée ?
Les facteurs favorisants n’ont pas beaucoup changé. On a tous constaté qu’il y avait un relâchement dans le respect des mesures barrières. Le port du masque avait été abandonné, le respect de la distanciation physique aussi. Les cérémonies religieuses, coutumières et funéraires qui occasionnent des rassemblements avaient repris de plus belle sans aucun respect des mesures barrières. Donc, tous les facteurs favorisant la transmission du virus au sein de la communauté étaient bien présents. C’est ce qui explique, à mon avis, cette explosion des cas. Il s’y ajoute l’apparition des mutants qui n’existaient pas lors de la 1ère et de la 2ème vague. C’est le variant Delta qui est incriminé. Il se caractérise par une forte contagiosité (1 personne malade peut contaminer très rapidement 6 à 8 personnes) et une plus grande sévérité des cas. On observe actuellement des cas sévères chez les sujets jeunes sans comorbidité et les femmes enceintes. Ce qui était rare avant.
Scientifiquement, est-il prouvé que les tournées économiques du président de la République ont provoqué ou accéléré cette 3ème vague ?
3ème vague ? (Rires) Vraiment, je pense que c’est un faux débat, car si on regarde la carte de répartition des cas, on ne retrouve pas plus de cas dans les localités visitées lors de la tournée présidentielle (Matam, Kaffrine, Tamba, Kédougou et Sédhiou). Au contraire, l’épicentre de la pandémie est dans la région de Dakar. C’est dans les 5 départements de la région de Dakar (Dakar, Pikine, Guédiawaye, Keur Massar et Rufisque) où on retrouve presque 70% des cas déclarés.
Que faut-il faire concrètement pour contenir ce variant ?
Il faut, plus que jamais, amener les populations à respecter les interventions non pharmaceutiques. Il faut éviter systématiquement les rassemblements inutiles. Si le rassemblement est inévitable, il faut faire respecter les mesures barrières, le port du masque, la distanciation physique, se laver les mains avec de l’eau savonneuse ou avec du gel hydro-alcoolique. Voilà ce qu’il faut faire. Il faut en plus un contrôle rigoureux et permanent.
Ne pas imposer de restrictions connues lors des 2 premières vagues a-t-il été une bonne stratégie ?
Cela est aussi un grand débat. Faudrait-il encore lors de cette 3ème vague appliquer les mesures de restrictions sur les déplacements ou le confinement, le couvre-feu ? Est-ce que cela sera supportable par les populations qui tirent l’essentiel de leurs revenus au niveau du secteur informel ? Donc la question se pose avec acuité. Je pense qu’on peut les appliquer, mais pas de manière généralisée et permanente. Il faut les appliquer de manière sélective en fonction de l’incidence des cas par zone géographique et surtout pendant une période d’au moins deux semaines. Ensuite, il faut évaluer l’efficacité de ces mesures. Si à la suite de leur application le nombre de cas a diminué, il faut un allègement. Sinon il faut augmenter graduellement les mesures. Cela doit aussi s’accompagner d’une bonne campagne de sensibilisation. Il ne faut jamais appliquer les mêmes mesures pour tout le pays. Pour me faire comprendre, j’utilise cette métaphore : quand la cuisine de votre maison prend feu et que les sapeurs-pompiers viennent éteindre le feu, ils ne vont certainement pas arroser indifféremment toute la maison. Ce serait inefficient. Ils se concentreront au niveau du foyer et ensuite mettront des mesures conservatrices tout autour.
Comme quoi par exemple ?
Comme je viens de l’expliquer précédemment, il faut veiller au respect des interventions non pharmaceutiques (port du masque, respect de la distanciation sociale, interdiction des rassemblements, fermeture des lieux de culte, réglementer la charge dans les transports en commun, éviter certains regroupements inutiles au niveau de la région de Dakar, etc.). Après, il faut évaluer au bout de deux à trois semaines. En fonction des résultats obtenus, juger de l’opportunité d’alléger ou de renforcer les mesures barrières. C’est comme ça qu’il faut aller graduellement avant d’arriver au stade extrême d’état d’urgence ou de couvre-feu.
Mais rien n’est fait depuis cette déclaration du Président, menaçant de revenir à l’état d’urgence alors que la situation s’aggrave de jour en jour. L’Etat est-il en train d’abandonner les populations ?
Je n’ai pas ce sentiment. L’Etat est en train de faire ce qu’il peut. Vous avez mentionné entre autres les mesures de gratuité envers l’oxygène par exemple. Il y a aussi la sensibilisation sur le port du masque. On a tendance à penser que la réponse à une urgence sanitaire doit être uniquement l’affaire du ministère de la Santé. Je le répète, la réponse à une pandémie est nationale, multisectorielle. Elle interpelle tout le monde, particulièrement dans le respect des interventions non pharmaceutiques. Par contre, la riposte contre la pandémie, c’est le cœur de métier du ministère de la Santé. Cela doit se faire dans une approche pluridisciplinaire. Le ministère de la Santé doit pouvoir regrouper toutes les disciplines qui sont censées l’aider à gérer ce problème de santé publique. Concernant la transmission de la maladie au sein de la communauté pour freiner la propagation, c’est le concours de tous les ministères pour amener les populations à adopter un comportement favorable à la santé. Les ministères des Transports, de la Famille, de la Jeunesse, de la Communication etc. tout le monde doit participer à la réponse nationale. La sensibilisation doit même être relayée par les autres ministères. Vous, les journalistes, pouvez utiliser les mots les plus appropriés pour faire comprendre aux populations l’importance de se prémunir. Il faut que les journalistes soient formés à la Communication sur les risques et l’engagement communautaire (Crec) et non à la communication de crise. Il s’agit plus de communiquer sur les risques encourus pour attraper la maladie et sur ce qu’il faut faire pour l’éviter et le dire dans toutes les langues en termes simples. Si tout cela est fait, le ministère de la Santé pourra se concentrer sur la riposte contre la pandémie.
Comment doit s’organiser cette riposte ?
Avant, il faut une bonne préparation. Il faut que le système de santé soit outillé avec des plateaux techniques renforcés. Le plateau technique renforcé veut dire 3 choses : Il faut des structures de prise en charge adéquates, des équipements, matériels, produits et médicaments, et du personnel qualifié. Ensuite, il faut savoir que la riposte doit être menée au niveau de 3 fronts : prise en charge correcte des cas, le dépistage des cas suspects et la prévention. Si tout cela est fait, il faut aussi assurer la résilience du système de santé par le maintien du fonctionnement des autres services de santé essentiels non Covid-19 (Pev, santé maternelle et infantile, la lutte contre le paludisme, le diabète, Hta, etc.). Au total, la riposte doit reposer sur une bonne préparation, une surveillance adéquate, un bon système de dépistage et de prise en charge des cas, sans oublier de continuer à faire fonctionner les autres services de santé.
Les hôpitaux sont aujourd’hui saturés
Il faut renforcer les capacités d’accueil, et pour cela présentement, à défaut de pouvoir construire des hôpitaux comme l’on fait les Chinois en 10 jours. Il faut de l’imagination, de la créativité pour arriver à augmenter les capacités d’accueil des hôpitaux. Il faut réorganiser certains services chirurgicaux qui ne sont pas nécessaires dans l’immédiat et les réaffecter dans la riposte. D’autres services non urgents devraient simplement être reportés sine die.
L’approche Cte est-elle une stratégie pérenne ?
Oui, parce qu’on ne sait pas quand est-ce cette pandémie se terminera. Il faut apprendre à vivre avec le virus. En tout cas, ce n’est pas demain la fin. Il faut essayer de mettre en place des stratégies pérennes jusqu’au jour où on nous dira que maintenant on est à zéro cas. Actuellement en Europe, certains pays parlent de 4ème vague ou de 5ème vague, alors qu’ici au Sénégal on en est à la 3ème.
Avec ces vaccins, est-ce qu’on peut avoir une immunité contre le Covid-19 ?
Tout à fait. Lorsqu’au sein d’une population on vaccine près de 70% à 80%, on entraîne une immunité collective provoquée. Cela veut dire que les 30% restants seront protégés par les 70% qui sont vaccinés. Il faut inciter la population à se faire vacciner.
Que le ministre de la Justice dise que malgré sa vaccination il est un cas positif ne sape-t-il pas les efforts de l’Etat dans le cadre de la campagne de vaccination ?
Encore une fois, ce n’est pas parce qu’on est vacciné qu’on ne peut pas attraper la maladie. Il faut que les gens le sachent. La vaccination ne protège que contre les formes graves. Elle n’évite pas d’être infectée si on est exposé. Ainsi, si le ministre de la Justice est devenu positif après sa vaccination, cela est bien possible. Ce sur quoi il faut insister, même vacciné, c’est continuer à respecter les gestes barrières. Le port du masque, la distanciation physique, le lavage des mains doivent être observés en permanence.
Pour le vaccin Johnson & Johnson, l’Agence américaine du médicament parle de «risque accru» de développer une malade neurologique. Est-ce que c’est sûr de l’injecter aux Sénégalais ?
Oui, il est sûr, car il a reçu l’autorisation de l’Agence américaine du médicament (Fda). Cependant, il y a eu des effets secondaires à type de syndrome de Guillain-Barré qui est une atteinte neurologique signalée chez certaines personnes ayant reçu ce vaccin. Des études de pharmacovigilance ont été menées et ont montré que ce sont des cas très rares. C’est pourquoi l’Agence américaine du médicament l’a toujours autorisé.