MACRON EN MARCHE VERS LE FN
La classe politique française ne récolte que ce qu’elle a semé depuis plus d’une décennie par la polarisation des positions, l’hystérisation des postures, l’exagération des dangers et l’invention d’un ennemi intérieur, musulman, immigré voire étranger
Le 21 avril dernier, l’hebdomadaire français d’extrême-droite Valeurs actuelles, publiait une tribune signée par une vingtaine de généraux à la retraite, une centaine d’officiers et un millier de militaires. Ils y menacent ouvertement les institutions françaises d’un putsch si l’honneur de leur pays, selon eux souillé, n’était pas restauré. Le texte des militaires factieux a une symbolique indéniable. Il paraît soixante ans jour pour jour après le coup d’Etat d’Alger. Le 21 avril 1961, quatre généraux, Raoul Salan, Maurice Challe, Edmond Jouhaud et André Zeller, adversaires de l’indépendance de l’Algérie, qu’ils n’imaginaient que partie intégrante dans la France, perpétraient un putsch contre le pouvoir de De Gaulle. L’échec du coup de force a poussé certains de ses auteurs à poursuivre leur entreprise au sein de l’Organisation de l’Armée secrète (Oas), milice terroriste d’obédience fasciste et nostalgique de l’Algérie française.
Soixante ans après le putsch d’Alger et vingt ans après la qualification de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la Présidentielle, la France persiste à se donner pieds et poings liés à l’extrême-droite, qui est en passe de remporter dans le pays la bataille culturelle.
Il ne fait plus de doute que Marine Le Pen est aux portes du pouvoir. C’est d’ailleurs sur les thèmes chers à son courant que s’inscrit le curseur du débat public français : islam, immigration, identité, races, etc. Depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, il y a une normalisation de la parole raciste, xénophobe et islamophobe dans le pays, sur laquelle surfe le courant d’extrême-droite, qui est celui des généraux putschistes de Valeurs actuelles. Les signataires de la tribune dite «des généraux», évoquent le «délitement», «l’antiracisme», «l’islamisme», «les hordes de banlieue», qui font écho au débat public français devenu un concours de qui sortira la plus grosse énormité raciste.
Emmanuel Macron et toute la classe politique française, de gauche comme de droite, ne sèment que ce qu’ils ont récolté depuis plus d’une décennie, par la polarisation des positions, l’hystérisation des postures, l’exagération des dangers et l’invention, par la dernière loi sur les séparatismes, d’un ennemi intérieur, musulman, immigré voire étranger. Récemment, face à la crise du Covid qui frappe durement le pays, l’urgence était de pointer le danger «islamo-gauchiste» chez les universitaires…
Je suis négativement fasciné par l’effondrement moral de ce grand pays. Cette perte de repères de la France, accélérée ces quinze dernières années, a des causes qui remontent certainement à plus loin. Mais elle doit beaucoup à son personnel politique. Quand une classe politique est à ce point médiocre et dénuée de cette décence et de cette dignité que doit conférer la pratique politique, il n’est guère surprenant de voir surgir en son sein des trouffions racistes et sans honneur aux relents putschistes.
En 2021, dans un pays démocratique, membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu, membre du G8 et pays phare en matière de libertés publiques, une menace claire de putsch émerge dans la presse sans que cela ne semble choquer grand monde. Ceci s’apparente à la phase ultime de ce que Badinter appelait il y a vingt-cinq ans, la «lepénisation des esprits».
Après la sédition meurtrière provoquée par un président mauvais perdant aux Etats-Unis, la menace d’un coup d’État en France. Deux démocraties parmi les plus grandes qui montrent des signes inquiétants d’effondrement à la face du monde. Ceci nous interpelle, nous autres pays plus jeunes et plus fragiles. La démocratie et la République ne sont jamais un processus définitif. Elles sont toujours à bâtir pour enfouir le plus profond possible les racines des institutions républicaines et celles des libertés publiques et de la pluralité des opinions dans le respect du consensus civique.
En s’en prenant à l’islam et «aux hordes de banlieue», ces «putschistes en charentaises» sont dans une démarche politique qu’ils espèrent concrétiser par l’élection de Marine Le Pen en mai 2022. Ce serait l’épilogue d’un long processus politique et d’une vieille sédimentation de discours et de positionnements et l’accomplissement du rêve des putschistes d’Alger en 1961, qui ont constitué l’avant-garde fondatrice du Front national.
On ne discute pas avec le fascisme, on le combat. On ne singe pas le fascisme, on lui oppose une vision du monde radicalement différente. Mais Emmanuel Macron, dont la colonne vertébrale est si mobile qu’elle en a disparu, en mettant le curseur sur l’immigration, l’islam et la question identitaire au détriment des urgentes préoccupations sociales dans son pays, a, pendant cinq ans, apporté de l’eau au moulin de l’extrême-droite.
L’homme qui devait, en 2017, faire barrage au Front national, se révèle être son marchepied vers le pouvoir.