AMADOU FALL, LE RACCORDEUR DES CIVILISATIONS
A 65 ans, cet ancien instituteur est un connaisseur de l’histoire et de la culture casamançaises. Après avoir « rampé » jusqu’au doctorat, il a soutenu, en 2011, une thèse sur les baïnouks
A 65 ans, cet ancien instituteur est un connaisseur de l’histoire et de la culture casamançaises. Après avoir « rampé » jusqu’au doctorat, il a soutenu, en 2011, une thèse sur le thème « La conception de l’être et de l’au-delà dans l’Égypte pharaonique et chez les peuples des rivières du Sud : exemple les baïnouks, les balantes, les diolas, les mankagnes », sous la direction de l’égyptologue Aboubacry Moussa Lam (Ucad).
Ses yeux semblent fatigués. Mais, l’homme dégage plutôt bonne mine dans son élégante chemise rouge-noire assortie d’un chapeau et d’une écharpe blanche que lui avait offert son ami Lamine Kéba Sonko, ancien champion de javelot, à l’occasion d’une fête organisée par l’Association mondiale des couples quarantenaires. Lui, n’a pas réussi à franchir ce cap symbolique en couple. Après trente ans de mariage, sa première épouse, originaire de Kaguitte, a brutalement demandé le divorce. Un épisode amer qu’il a encore du mal à digérer. On le sent dans sa voix. De cette première union sont nés trois enfants, dont une fille mariée et vivant actuellement à Atlanta, aux Etats-Unis.
Depuis, il s’est remarié. « C’est (donc) mon épouse (actuelle) qui m’a conseillé de m’habiller ainsi », explique-t-il, en réponse à notre compliment sur son look. En pays animiste, Amadou Fall ne serait jamais habillé en rouge-noir, couleurs réservées au roi. En effet, le rouge est le symbole de la puissance, de la royauté. « Les adeptes de la religion traditionnelle, comme on en trouve encore en Casamance, ne s’habillent jamais en rouge, parce que cela diminue la puissance du roi, c’est source de calamités », explique Amadou Fall. L’homme est un connaisseur de l’histoire et de la culture casamançaises. Une connaissance nourrie par la passion pour cette belle région. « Quand on aime quelqu’un ou quelque chose parce… c’est qu’on n’aime pas assez. Moi, j’aime la Casamance sans savoir pourquoi », justifie-t-il. Il a consacré toute sa vie à scruter ce « miroir paléo-ancestral » qu’est la Casamance. « Depuis 1990, j’enquête sur les peuples et l’histoire de cette région », dit-il. Une persévérance dont le couronnement a été la soutenance, en 2011, d’une thèse de doctorat sur le thème « La conception de l’être et de l’au-delà dans l’Égypte pharaonique et chez les peuples des rivières du Sud (Casamance) », sous la direction de l’égyptologue Aboubacry Moussa Lam (Ucad). Un travail de raccordement des civilisations qu’il poursuit à travers divers chantiers.
Cependant, Amadou Fall estime que rien n’est encore fait en matière de recherche dans cette région, notamment sur le paléolithique, une période encore peu connue en Afrique de l’Ouest. « La Casamance est un trésor anthropologique », résume-t-il. C’est pourquoi l’historien est en colère contre les gouvernements qui se sont succédé à la tête du Sénégal depuis l’indépendance, parce qu’ils n’ont « pas mis assez de ressources pour connaître notre histoire, notre culture ». Il juge anormal qu’il n’y ait pas un musée digne de ce nom en Casamance. Idem pour les autres régions.
En plus de sa casquette d’universitaire – il est vacataire à l’Université Assane Seck de Ziguinchor dans trois départements : histoire, sociologie et tourisme –, Amadou Fall est un grand passionné de la radio. Depuis 1995, il est une voix familière des ondes (Dunya, Walf Fm, Rsi) et a animé plusieurs conférences sur la crise casamançaise. Par ailleurs, il est le président du comité scientifique du Bureau organisation pour la revalorisation du patrimoine baïnouk (Borepab). A ce titre, il contribue modestement à documenter l’histoire de ce peuple. « De la Falémé à Diogué, toute la région naturelle de Casamance est imbibée de culture baïnouk », soutient-il. C’est d’ailleurs, ajoute-t-il, l’extrême humanité des baïnouks, les premiers à s’installer dans la région, qui a fait de la Casamance un « kaléidoscope humain ». Lui-même en est une belle illustration. Il est baïnouk du côté de sa mère (une Coly de Niamone) et diola du côté de son père (un Badji de Thionk Essyl), et compte une grand-mère peule (de la famille El Hadji Omar Foutiyou Tall). Son nom de famille actuel, Fall, remonte à la conversion de sa famille à l’islam. « À l’époque, quand quelqu’un se convertissait à l’islam, on lui faisait croire qu’il devait également abandonner, en plus de son prénom, son nom de famille pour celui de son convertisseur », explique-t-il. Il donne ainsi la clé pour comprendre ce qui paraît une anomalie, ou en tout cas une curiosité, en Casamance : des diolas qui se nomment Ndiaye, Fall, Diop, Guèye, Sarr, Diouf ou Diallo…
Au-delà d’être une synthèse du Sénégalais – sur le plan ethnique –, Amadou Fall est aussi un citoyen de l’Afrique tout court. Il est né en 1955 à Abidjan, en Côte d’Ivoire, où son père, douanier, était affecté. Le papa décédé très tôt, il a grandi à Dakar auprès de sa maman infirmière. Une trajectoire personnelle qui a sans doute forgé son caractère et a fait de lui « un panafricaniste convaincu ». Militant de longue date du Rassemblement national démocratique (Rnd) de Cheikh Anta Diop, il avait voté pour le libéral Abdoulaye Wade en 2000. « Le jour de l’élection, j’étais hospitalisé, mais j’ai demandé à sortir pour aller voter, parce que j’étais convaincu qu’Abdou Diouf devait tomber », se souvient-il. Il sera vite déçu par son successeur lorsqu’il entend Wade se prononcer, à la conférence de Durban (Afrique du Sud), en 2001, contre le rapatriement du patrimoine africain sous le prétexte que nous n’avons pas de musées où conserver ces objets. Comme quoi, le détail fait la révolte !