VIDEOAPATRIDIE : ILS SONT AVEC NOUS, MAIS... «N'EXISTENT PAS»…
Ouestafnews - Ne lui demandez pas son âge, elle ne saurait y répondre avec la promptitude que requiert une telle question. Son plus grand regret : n’être pas allé à l’école. L’image de ses camarades du quartier empruntant le chemin des bancs avec leurs cartables la hante encore. Son nom, c’est Dié Fall, et elle souffre d’un mal qu’elle partage avec quelque 10 millions de personnes dans le monde. Bienvenue chez les apatrides.
«Quand je suis née, je n’ai pas été déclarée et puis ma mère qui est décédée par la suite ne m’a jamais dit qui est mon père » : ainsi parle Dié Fall. Son âge ? Il faut se fier à ses souvenirs de la crise tragique entre le Sénégal et la Mauritanie en 1988 pour se dire, avec certitude, bouclé au moins 35 ans. Sa voix est claire, le ton franc. Le regard est perçant mais devient par moments tristement vague, à l’évocation de quelques souvenirs douloureux.
Mademoiselle Fall dit n’avoir jamais fréquenté l’école mais conte sa vie d’apatride dans un français acceptable, résultat certainement de ces quatre ans de vie de couple avec un ressortissant français. Dans le flot de souvenirs qui assaillent sa mémoire, l’absence de scolarité est semble-t-il vécue plus douloureusement que ce père qu’il n’a jamais connu et dont elle ignore s’il est encore en vie.
« Si j’avais fait l’école, je serai avocate à l’heure actuelle, j’en suis sûre », martèle-t-elle, le poing droit serré comme si cette ambition longtemps couvée, est encore dans l’ordre du possible. Pour Dié, qui porte le nom de famille de sa mère, l’origine du mal est l’absence de pièce d’Etat civil, suite à sa non-déclaration à la naissance.
« Aujourd’hui, c’est terrible ça m’a empêché d’avoir mes diplômes de coiffeuse, d’ouvrir un commerce et même de me marier », soupire cette native de Diourbel (centre du Sénégal). Selon la définition retenue par les Nations-Unies est « apatride » toute « personne qu’aucun Etat ne reconnaît comme son ressortissant par application de sa législation. »
Selon les spécialistes, les situations occasionnant l’apatridie sont multiples, outre la non-déclaration des naissances comme le montre l’exemple de Dié Fall, des personnes sont devenues apatrides à cause de certaines politiques de discrimination ethniques ou religieuses, de l’émergence de nouveaux Etats et les transferts de territoires entre Etats existants et les manquements dans les lois sur la nationalité.
Au Sénégal le taux de déclaration des naissances a aujourd’hui atteint 80%, selon Mirrka Mattila, spécialiste de la protection des enfants au niveau du bureau Afrique de l’ouest et du centre de l’Unicef (Fonds des nations Unies pour l’enfance). Cela laisse toujours sur le bord de la route quelque 20 %. Au Nigeria, géant démographique du continent, ce taux des « déclarés » est seulement de 25%. Le Sénégal qui a signé tous les textes internationaux sur l’apatridie, s’est toutefois engagé dans une série d’initiatives préventives.
« Le Sénégal est en train de moderniser son état civil en numérisant les actes de naissance pour faciliter et rendre plus fiable l’octroi des extraits de naissance », précisait Abibatou Babou Wade, point focal de la lutte anti-apatridie et directrice des Affaires civiles et du Sceau au Ministère de la Justice du Sénégal. Selon Mme Wade, les audiences foraines (campagnes d’inscription sur les registres d’Etat civil de personnes non déclarées à la naissance) entre 2015 et 2016 ont permis l’inscription de 300 000 personnes dans les registres d’Etat civil.
Une chance qui fuit Dié Fall, cependant. « Sur recommandations du HCR, J’ai fait des démarches lors d’audiences foraines mais les inscriptions s’adressent aux personnes de moins de quinze ans, c’est ce que l’on m’a dit à plusieurs reprises », confie cette dame, qui n’a cessé de multiplier en vain les démarches. « Disons que je vis mais je n’existe pas », lâche-t-elle sur un ton trahissant une certaine lassitude.
En février 2015, sous la houlette du HCR, les Etats ouest africain ont donné un coup de fouet à leur engagement en faveur de la lutte contre l’apatridie, avec l’adoption de la « déclaration d’Abidjan » qui comporte 25 engagements.
Deux ans après l’adoption de cette déclaration, 45.000 personnes apatrides ou à risque d’apatridie ont pu obtenir des documents d’identité en Afrique de l’Ouest. 10.555 certificats de nationalité ont été délivrés en Côte d’Ivoire de même que 34.000 extraits de naissance principalement au Bénin, au Mali, en Côte d’Ivoire.
Deux ans après les efforts concertés des Etats ont abouti à l’adoption début mai 2017 à Banjul en Gambie, d’un plan régional d’éradication de l’apatridie au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) qui selon les chiffres de l’Onu compte près d’un million de personnes apatridies ou à risques d’apatridie.