AU COEUR DE LA MAFIA DU BOIS À MÉDINA YÉRO FOULA
La coupe abusive du bois dans cette région est une véritable mafia huilée à coups de milliards, qui tue les forêts de la zone enfouie dans le Fouladou des profondeurs
La coupe abusive du bois dans le département de Médina Yéro Foula (région de Kolda) est une réalité vivace. De nombreux jeunes oisifs et chômeurs vivent de ce trafic illicite très lucratif. Une véritable mafia huilée à coups de milliards, mais qui tue à petit feu les forêts dans cette zone enfouie dans le Fouladou des profondeurs, à la lisière de la frontière gambienne.
Effrayé par un tir de sommation, Kalidou Camara lâche aussitôt sa charrette chargée de troncs de bois de vène (communément appelé bois rouge) et se couche sur le sol. La tête collée au prie-Dieu. La peur au ventre, le jeune homme au physique gringalet navigue entre frayeur et désespoir. Et dans sa tête, tout s’entremêle, confus. Mais pour autant, le coupeur de bois veut sauver sa peau, échapper aux hommes à ses trousses. Un dilemme ! Pris au piège et encerclé par les agents des Eaux et Forêts et Chasse. L’instant d’après, Kalidou Camara, le corps ruisselant de sueur, est alpagué, menotté et mis dans la fourgonnette à trafiquants de bois. Sans tarder, lui et ses «frères» d’infortune tous épinglés pour trafic de bois, sont conduits manu militari au service départemental des Eaux, Forêts et Chasse de Médina Yéro Foula.
Il était 20h, ce mois de mars 2018. La nouvelle de leur arrestation se répand vite dans la zone. Malgré l’heure tardive, parents, amis et proches accourent au chevet des jeunes coupeurs de bois. Qui, les mains liées, sont serrés comme des sardines dans une petite pièce. Sous la supervision de quelques agents des Eaux et forêts, veillant au grain. La consigne est toute simple : payer une amende pour éviter la prison. Une opportunité pour certains. Un gros problème pour d’autres. Kalidou Camara n’est pas fait du même bois, il passera trois nuits et trois jours en détention. «J’ai été arrêté un jeudi, puis libéré le dimanche suivant. On devait tous nous transférer à la prison de Kolda. Heureusement pour moi, mes parents ont payé une amende de 300 000 FCfa. Cependant, les moins chanceux ont été transférés, jugés et emprisonnés. Ils ont écopé de fortunes diverses», atteste le Mifois. Qui jure la main sur le cœur avoir abandonné à jamais cette coupe prohibée.
Cependant, l’eau a coulé sous le pont. Mais la coupe illicite de bois n’a jamais faibli à Médina Yéro Foula (Myf). Une localité enfouie dans le Kolda des profondeurs. Ici, «Timba» (appellation commune donnée au trafic illicite de bois, en référence à la marque internationale Timberland signifiant étymologiquement «la terre des arbres»), est une réalité vivace. Le phénomène ne cesse de briser le destin de jeunes villageois, de surcroît pères et soutiens de familles. Et malgré les multiples interventions et opérations coups de poing, déroulées en permanence par les services des Eaux et Forêts aidés par l’Armée, la coupe abusive de bois prend une proportion dangereuse. Les lois et mesures coercitives (voir entretien) n’ont pu freiner l’ardeur des trafiquants. Qui, armés de coupe-coupe, sont de plus en plus déterminés à commettre leur forfait pour faire fortune. Dans cette course au vène, tous les moyens sont bons. Corruption, mysticisme et sacrifice, tout y passe. Le bonheur est dans le trafic illicite de bois. Au prix du sang !
De loin, Médina Yéro Foula semble isolé du reste du monde. Et les sautes d’humeur du terrain rendent ardu l’accès. De près, le coin semble mal famé : dédale de maisons construites, pêle-mêle, au hasard des caprices de la nature. À y flâner, des cases en banco et des maisons en dur s’accrochent prestement à un sol rocailleux. En regardant l’horizon de ce carré de terre logé à la lisière de la frontière sénégalo-gambienne, on eût dit qu’une main ingénieuse avait dessiné des baliveaux et des collines sur un immense tapis bleu orné de bois géants. Ici, la forêt est un enchevêtrement d’estrades féconds et humides où pousse une végétation généreuse. Où la nature suspend le temps et revêt la robe du bonheur. Mais progressivement, cette zone perd ses arbres gigantesques. Et le désert avale inlassablement sa forêt et ses réserves naturelles.
«Nous souffrons le martyr du trafic de bois»
Accroché au détour d’une ruelle sablonneuse, le vieux barbu, Lamine Diallo, affiche la mine des mauvais jours. Le sexa a le corps ruisselant de sueur. Lamine Diallo : «J’ai deux fils qui croupissent en prison pour trafic de bois. Toute la famille est meurtrie. On nous avait demandé de payer une amende de 800 000 FCfa pour chacun. Mais, je n’avais pas cette grosse somme. Au finish, ils ont été jugés et emprisonnés. Depuis lors, je remue ciel et terre pour leur chercher une liberté provisoire. En vain ! Si c’est au niveau local, on peut négocier. Mais si l’affaire atterrit à la barre, ça devient encore plus compliqué. Nous souffrons tous les jours le martyr de ce trafic.» Pour ce pater d’une fratrie de 8 enfants, la coupe illégale de bois s’est accentuée, parce que les jeunes de la localité n’ont rien d’autre à faire. Le chômage pousse donc beaucoup de jeunes de la zone à s’aventurer dans ce trafic qui ne cesse de briser des pans de vie. «Myf, dit-il, est peuplé de jeunes et il n’y a aucune opportunité qui s’offre à eux. L’État devrait revoir sa politique, pour juguler ce phénomène qui a pris une proportion inquiétante dans la zone. 60% des jeunes de Myf viennent des villages, ils sont plus rattachés à la Gambie qu’au Sénégal». Un fait. Les populations ont leurs enfants qui étudient en Gambie, dont le village Saré-Bodjo niché près de la frontière sénégalaise, constitue une des principales plaques tournantes du trafic illégal du bois de vène en provenance de la Casamance.
À Myf, la coupe de bois est vie et engrange une véritable manne financière. Le tronc de bois de vène est vendu à 75 000 FCfa à la frontière gambienne. Il est échangé contre 15 000 FCfa dans la brousse. Un taureau, un cheval ou une moto pour porter deux, trois ou quatre troncs ou plus. De simple activité lucrative, ce trafic est devenu une véritable mafia qui enrichit et fait vivre de nombreuses familles et jeunes de la localité. «De grandes multinationales financent ce trafic. Les Chinois sont les principaux bailleurs, ils ont leur quartier général installé à la frontière sénégalo-gambienne. Ici, des familles entières vivent de ça. C’est pourquoi, il est très difficile de faire entendre raison aux populations. Lesquelles, pour commettre leur forfait, n’écartent ni mysticisme encore moins la corruption. Les mesures draconiennes n’y peuvent rien. Donc, il revient aux autorités de sensibiliser davantage. Au cas contraire, la situation va perdurer, avec comme principales conséquences, mort d’hommes, arrestations à la pelle, tension sociale, etc.», conseille mère Salimata. Une vieille femme édentée, témoin oculaire de la coupe illicite de bois à Myf et environs immédiats.
Affable, Amadou Niang a 29 ans, une balafre sur le visage. Le jeune habitant du quartier Laly Dème de Myf a fait du trafic de bois son gagne-pain. Sa principale source de revenus. Depuis une décennie, il fait le tour des forêts de Médina Yéro Foula à la recherche du bois rouge. Un bois prisé devenu rare. Le Mifois sait que les risques sont énormes, le danger patent et perpétuel. Mais, il n’en a cure. Le risque en vaut la chandelle. Amadou : «J’ai abandonné très tôt l’école et je me suis mis au trafic de bois pour subvenir aux besoins de ma famille démunie. Le danger nous guette toujours, mais à part la coupe illicite de bois ou l’agriculture et rarement l’élevage, où peut-on faire fortune ? Il n’y a aucune activité économique dans la zone. La pauvreté règne en maître ici, le département manque de tout. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes ont quitté la localité pour fuir la misère. Certains, après avoir empoché un pactole grâce au trafic de bois, sont allés clandestinement en Europe, et d’autres sont partis à Dakar pour avoir une place au soleil.» Lui n’a certes pas embarqué dans des pirogues de fortune ou arpenté le mortel désert libyen, mais continue de tuer les forêts de son village natal. À ses risques et périls !
L’arrestation, la prison, la mort…
À Myf, chaque coupeur de bois a son histoire. Son récit de vie, ponctué par des motivations et des peines. «On se connaît presque tous. Les coupeurs de bois sont tous des fils du terroir. Ou presque. Seuls de rares personnes viennent d’ailleurs. Le sujet est sensible, parce que les agents des Eaux et Forêts sont aidés par des civils qui vivent parmi nous. Ces derniers vendent la mèche et reçoivent une contrepartie en échange d’informations. L’an passé, un jeune Diakhanké a tué à coups de machette un de ses amis du village de Sinthiou Yéro. Parce que ce dernier l’avait signalé aux agents et il a été mis aux arrêts puis emprisonné pendant 2 ans», pleure Daouda Sy*, des trémolos à la voix. Le jeune coupeur de bois de renseigner qu’avant cette tragédie, d’autres drames du genre ont ému dans la zone.
Toutefois, au delà des histoires hideuses qui ternissent l’image de la localité, Médina Yéro Foula forme une société simple qui ne s’est jamais constituée en classes ni en castes. Où cohabitent en symbiose Peuls et Wolofs, Mandingues et Diolas, tous unis par les liens du bon voisinage et du sang.
Il y a peu, Saliou Bâ, un jeune écolier, s’adonnait au trafic du bois. Pour payer ses études et soutenir sa maman, vendeuse de cacahuètes. Par malheur, il a été épinglé et écroué pendant un mois. «J’ai fait la prison, avant de payer une amende pour recouvrer la liberté. Aujourd’hui, j’ai tourné la page. Je suis maintenant dans le transfert d’argent, j’arrive tant bien que mal à régler mes besoins. Même si avant, je pouvais gagner jusqu’à 500 000 FCfa en une journée de trafic. Seulement, le trafic de bois et devenu plus compliqué, les agents ne baissent guère les bras, ils sont toujours aux aguets et connaissent les coins et recoins de la forêt. Pis, la sanction est devenue plus sévère, les Eaux et Forêts réclament désormais 1 milion ou au minimum 800 000 FCfa d’amende aux trafiquants. En ce moment, mon oncle paternel est sous mandat de dépôt, il croupit depuis 2 mois à la prison de Kolda. On attend toujours son jugement. Il s’était établi dans un village à la lisière de la Gambie, où il s’adonnait au trafic de bois. Il a été épinglé et mis au gnouf», explique Saliou Bâ, le cœur meurtri. Toujours selon cet habitant du quartier Kikala de Myf, la coupe illicite de bois n’est pas l’apanage des jeunes, elle est aussi pratiquée par les adultes et vieux de la zone. Puisqu’elle est génératrice de revenus. Abdoulaye Sow, son voisin d’infortune d’ajouter : «La Gambie dont les forêts naturelles ont pourtant été décimées, ne joue pas franc-jeu avec le Sénégal, le pays est complice. Parce que les coupeurs sénégalais ne sont jamais inquiétés ni arrêtés une fois qu’ils passent la frontière. Pis aujourd’hui, ce sont des mineurs qui s’activent dans ce trafic à cause du mauvais voisinage. Des élèves ont abandonné les classes, parce qu’ils ont vu tel ou tel camarade de quartier, coupeur de bois, conduire une moto ou construire une maison pour sa famille.»
Le trafic du bois à Myf est une mafia bien huilée. Une sorte d’échelle pyramidale représentée au sommet par les bailleurs, et en bas, on retrouve les coupeurs et les intermédiaires ou chalands. À côté, figurent les agents des Eaux et Forêts faisant office de garde-fou. Et dans ce triptyque, chaque entité a sa partition, un rôle à jouer dans ce trafic illégal générant de l’argent facile, généralement sale. Une donne aux conséquences néfastes sans précèdent et principale cause des abandons d’école dans la zone. «J’ai connu trois abandons en pleine année scolaire. Des élèves ont été aussi renvoyés pour absence injustifiée. Souvent tentés par la recherche effrénée du gain, ils pratiquent cette activité. Parce que mine de rien, ils empochent 150 000 FCfa en quelques heures. La plaie est profonde et il faudra une bonne politique des autorités compétentes pour changer la donne», explique M. Diop*, professeur au Centre de formation professionnelle de Médina Yéro Foula. Un longiligne homme qui ne cesse de mettre la craie… dans la plaie pour sensibiliser les Mifois sur les conséquences du trafic de bois.
«Il y a une importante manne financière qui se cache derrière cette coupe illicite de bois. D’où la corruption à des niveaux insoupçonnés», accuse le jeune coupeur de bois, Abdoulaye Sow, la main sur le cœur. Vérité implacable ! Toujours est-il que la mafia du bois représente 11 à 13 milliards de dollars américains chaque année, l’équivalent en valeur marchande, du marché de la drogue, selon Interpol. Des statistiques des Douanes chinoises livrées par le journal «Le Monde» renseignent qu’en 2015, les industriels chinois ont acheté 58 000 m3 de bois en provenance de la Gambie, pour un montant de 41 millions de dollars. Un pactole qui représenterait l’équivalent de 140 000 arbres abattues. Il y a 3 ans, l’écologiste et ancien ministre de l’Environnement révélait dans une de ses sorties que «le Sénégal a perdu plus d’un million d’arbres depuis 2010 et la Gambie a réussi à empocher près de 140 milliards de FCfa». Et aujourd’hui, regrette El Ali Haïdar, ces chiffres ont presque doublé, le trafic ayant pris une proportion inquiétante. Parce que, selon lui, le gouvernement sénégalais ne met pas assez de moyens pour surveiller le Médina Yoro-Foula. Au moment où les Chinois installés en Gambie pillent et souillent notre pays, en installant tranquillement le désert.